Dans l’histoire française du sport olympique
Vingt-trois ans après celui qui a été un modèle d’inspiration, Patrice Bailly-Salins, sacré champion du monde de biathlon en 1995 à Antholz (Italie), c’est à son tour d’être au centre de toutes les attentions en ce dimanche d’avril ensoleillé, dans son village de Morbier (Jura). Entourée de ses amis, des membres de sa famille dont une partie venue de sa Normandie natale, des entraîneurs qui ont jalonné son parcours, Anaïs Bescond y fête ses trois médailles olympiques glanées en Corée du Sud, à Pyeongchang. Les enfants du ski-club de Morbier-Bellefontaine ne manquent pas une miette de cette célébration qui salue un exploit historique pour le sport féminin français.
« C’est là qu’on se rend compte que tout le monde l’apprécie, que tous les gens saluent sa sympathie, sa gentillesse, son sourire permanent, sa simplicité… En la voyant, je me dis qu’on a réussi son éducation », se réjouit, très émue, sa maman Jo. « Pour moi, c’est une grande fierté car elle a fait son bonhomme de chemin, rapporte, heureuse, sa grande sœur Coralie. Sport-études au collège des Rousses, lycée sport-études à Pontarlier, pôle France à Prémanon, obtention de son bac et sa licence par correspondance puis un Master 2, ce n’est pas donné à tout le monde ! Elle a touché le Graal olympique, je suis très admirative de ce qu’elle a fait… »
L’intéressée garde elle aussi un souvenir très fort. « Ce fut un moment intense émotionnellement. Voir les gamins avec les yeux qui brillent, comme moi pour le retour de Patrice à l’époque, m’a fait réaliser que j’ai en fait bouclé la boucle ! À mon tour maintenant de leur donner envie de réaliser leurs rêves sportifs », souligne Anaïs Bescond.
Rentrée des Jeux avec une médaille d’or et deux de bronze, l’athlète jurassienne a aussi eu les honneurs de la République en recevant, des mains du Président Emmanuel Macron, l’insigne de Chevalier de la légion d’honneur. Sa précieuse décoration est soigneusement rangée, comme ses médailles, dans son petit appartement des Rousses, dans le Jura, là où tout a commencé pour la jeune Normande…
Or mondial
Après avoir quitté le Calvados pour raisons de santé concernant le benjamin de la tribu, Antonin, les Bescond posent leurs valises en terre nordique. Très vite, la petite Anaïs s’affirme skis aux pieds. « Je me souviens d’une gamine marquante par ses qualités de ténacité et de technique, surtout en style classique. Elle a eu rapidement de bons résultats, et en parallèle, elle tirait très bien au stand de tir de Morbier », se remémore Jean-Marie Bourgeois, son premier entraîneur au ski-club local.
Jusqu’au jour où la jeune fille doit finalement choisir entre biathlon et ski de fond : « Connaissant ses qualités mentales, je lui ai dit que le biathlon était fait pour elle, ajoute le papa de Célia Bourgeois, fondeuse sélectionnée aux Jeux de Vancouver. Ensuite, elle a eu la chance d’être bien entourée, notamment par Stéphane Bouthiaux, un des meilleurs entraîneurs du monde ! »
Le Pontissalien – qui vient de passer la main à Vincent Vittoz à la tête de l’équipe de France hommes de biathlon – prend sous son aile Anaïs, d’abord au comité du Jura où il officie… « Un jour, je suis allé voir ses parents et leur ai dit qu’avec le potentiel qu’elle avait déjà sur le pas de tir et sa technique en ski, elle pourrait devenir un jour championne du monde », confesse-t-il.
Prémonition réalisée lors des Mondiaux d’Oslo 2016, avec le relais mixte tricolore ! C’est que la jeune championne avait de l’énergie à revendre : « Je ne sais pas vraiment d’où vient cette culture de la gagne. J’ai horreur de l’inefficacité, j’aime la rentabilité. » « Petite, elle faisait ses devoirs dans le bus pour avoir le temps de faire autre chose en rentrant à la maison », éclaire sa maman.
« En 1992, en regardant les Jeux d’Albertville, elle me disait déjà qu’elle voulait faire les Jeux, rappelle Christian, son papa. Elle avait 5 ans ! Dès ses premières compétitions de ski, elle avait déjà détourné la formule de Pierre de Coubertin en : »L’important, c’est de gagner » ! » Et puis, il a y eu les Jeux olympiques de la Jeunesse, les championnats du monde jeunes de biathlon à Bessans (Savoie), couronnés d’or collectif, puis l’année suivant à Kontiolahti en Finlande où Anaïs décroche en 2005 la première place avec Sophie Boilley, Marie Dorin-Habert et Marion Blondeau.
Gros caractère
« C’est de mes meilleurs souvenirs. On avait d’ailleurs bien fêté la victoire », s’amuse Marie Dorin-Habert qui connaît par cœur la Morberande pour avoir vécu sa carrière avec elle. « Nanas a un caractère de cochon, parfois exécrable, mais c’est quelqu’un qui peut donner énormément, qui a un cœur gros comme ça. C’est un vrai Saint-Bernard qui te prend sous son aile et te donne tout son savoir. Elle a énormément d’amour à donner, c’est une pépite qui rayonne. Elle va beaucoup me manquer, regrette la Dauphinoise. On s’est toujours réjouie des performances l’une de l’autre. On n’a jamais vraiment été rivales. Le jour de sa médaille sur la poursuite de Pyeongchang, j’étais aussi heureuse que c’est moi qui l’avais gagnée ! »
Caractère de cochon, le mot est lâché ! Un héritage de la maman disent certains, « non elle est pire que moi ! », réfute celle-ci… mais c’est évident que son tempérament de battante l’a aidé dans les moments difficiles de son parcours comme sa fracture de fatigue au pied, son éviction des Mondiaux 2017. « Mais elle s’est toujours battue et depuis quelques années, elle va chercher tout ce qui peut lui permettre à un moment ou à un autre, d’avoir le jour des compétitions un petit truc en plus », dit son papa. « Anaïs fait partie de ses grandes championnes qui se révèlent lors des moments qui comptent. Je suis admiratif de l’envie et du sérieux qu’elle met dans son travail, chaque jour, c’est vraiment un bel exemple pour la jeunesse », salue Lionel Petite, un de ses fidèles partenaires.
« Oui j’ai du caractère, mais la vie en groupe m’a appris à mettre de l’eau dans mon vin. J’ai appris à écouter et à comprendre les autres », soupire l’athlète. « Son caractère est un gros point fort pour le sport mais parfois, ça lui joue des tours dans la vie de tous les jours. Elle dit les choses comme ça lui vient, et des fois, croyez moi, ça calme ! Mais dans le fond, c’est une vraie crème », assure Marion Blondeau, sa meilleure amie, ancienne championne du monde jeunes et juniors de biathlon.
Clarinette et jeux de plateaux
Son compère de l’équipe de France, Simon Desthieux, avec qui Anaïs partage de nombreux entraînements au stade Jason Lamy Chappuis des Tuffes, à Prémanon (Jura), salue cette combativité. « Elle a éclos tard comme souvent dans le biathlon et c’est une belle preuve qu’il faut parfois s’accrocher et continuer à rêver, félicite le champion olympique du relais mixte. Elle a tellement horreur de perdre lors de nos jeux d’entraînement que ça en devient vite très drôle. Une fille comme elle nous pousse à nous dépasser car elle cherche toujours à progresser, à gratter des petits détails. » Et surtout, elle adore jouer.
« J’ai besoin d’être entourée, de partager », annonce cette grande fan de jeux de plateaux, de clarinette, de BD fantasy, de films « bon public », qui précise aussitôt : « Par contre, je suis très à cheval sur les règles et ai horreur de la triche. » Filous passez votre chemin !
« Très souvent dans les hôtels lors des coupes du monde, un groupe de sept ou huit personnes se forme autour d’une table et d’un jeu, et à la baguette, c’est toujours Nanas », s’amuse Bouthiaux qui souligne son rôle « fédérateur de grande sœur dans les moments de franche rigolade. » « Elle a cette aura, ce truc qui fait qu’on la suit les yeux fermés. Dans un escape game, c’est elle qui nous sortirait du jeu », assure son amie Marion.
Pour autant, son sourire et sa bonne humeur ont longtemps caché une faille personnelle : la gestion de son corps et son rapport à la nourriture. « Dans le haut-niveau comme dans la société, le culte de la minceur et de l’affutage prédomine, résume Marion Blondeau. Nanas, qui n’a pas le morphotype »idéal », a longtemps souffert des remarques du staff, alors que c’est quelqu’un de très puissante qui affiche aujourd’hui un sacré palmarès. »
« C’est un sujet difficile et délicat que j’aborde depuis peu sans pleurer, confie la championne. Peut-être que cette différence physique explique ma volonté de gagner, de me battre, de toujours avancer, de prouver que c’était possible au final. » Si elle continue une année de plus sur la coupe du monde de biathlon, c’est, dit-elle, qu’« elle a encore une marge de progression et des choses à faire et à prouver. » Sans doute plus à elle même qu’aux amoureux du biathlon qui ont trouvé, en sa personne, une championne exemplaire.
Anaïs Bescond en quelques dates
- 15 mai 1987 : Naissance à Aunay sur Odon (Calvados)
- Mars 2005 : championne du monde jeunes du relais dames
- 16 janvier 2014 : première victoire en coupe du monde sur le sprint d’Antholz
- 9 mars 2016 : vice-championne du monde individuel à Oslo, derrière Marie Dorin-Habert
- Mars 2018 : décroche trois médailles olympiques (or relais mixte, bronze relais dames et poursuite)
Portrait paru dans Nordic Magazine #27 (juin 2018)
Photos : Nordic Magazine et Nordic Focus.