Auteure de la meilleure performance française en championnat du monde (5e du 10 kilomètre skate de Falun en 2015), Anouk Faivre-Picon a mis un terme à sa carrière voici quinze jours à l’issue de la Vasaloppet.
Le palmarès de la Pontissalienne, ce sont aussi 116 départs en coupe du monde depuis 2008, des victoires sur de nombreuses longues distances – notamment trois marathons de l’Engadine, en Suisse – et une vingtaine de titres de championne de France.
Figure atypique et attachante du circuit, elle aura régalé les fans de ce sport par ses performances, mais aussi ses chroniques et interviews pendant plus d’une dizaine d’années. Pour Nordic Magazine, au moment de tourner la page, elle revient sur les principaux moments de sa carrière et évoque son amour du ski.
- Pourquoi avez vous choisi ce moment pour annoncer votre retrait du ski de compétition ?
Je pense avoir fait le tour de ma discipline, j’ai participé plusieurs fois aux Jeux olympiques et aux championnats du monde, au Tour de Ski et j’ai eu la chance de pouvoir évoluer sur différents circuits, ceux de la coupe de France, de la coupe d’Europe [le circuit OPA], de la coupe du monde et de terminer par la Visma Ski Classics depuis deux ans. En terminant par la Vasaloppet, une longue distance de légende qui se dispute en style classique, même si cette dernière saison a été perturbée, j’ai le sentiment d’être arrivée au bout d’histoire.
J’ai aussi eu le sentiment d’avoir fait le tour de mes capacités physiques. Après deux mois de préparation à la Vasaloppet, en poussée simultanée, le temps de la vie de famille est venu. Si ce dernier défi m’a tenue depuis janvier, je me projette aujourd’hui dans une vie sans planning d’entrainement, sans pression, avec la possibilité de passer des week-ends en famille. Même si je reconnais que, en tant que sportive de haut niveau, j’ai pu passer un temps de qualité avec mes enfants entre deux entrainements et week-ends de compétition.
- Si vous vous retournez sur ces dernières années, quels sont les plus beaux souvenirs sur les skis que vous gardez ?
Mon meilleur souvenir sur les skis reste une sortie de ski sur le Mont d’Or avec mon père. J’avais douze ans, nous étions passés à côté de la Boissaude, nous avions mangé une soupe à La Grangette, la neige crissait sous mes skis… J’ai le souvenir d’un sentiment de plénitude, en relation avec mon environnement, et de me dire que ce sport était fantastique et pourrait faire partie de ma vie. Je me souviens aussi de belles sorties de ski de fond en famille sur le Chasseron, avec mon grand-père.
- Et avec un dossard sur le dos, quelles images gardez-vous ?
Je me souviens principalement de moments partagés avec beaucoup de personnes, je crois que c’est ce que j’ai le plus aimé. Depuis mes premières courses juniors, en passant par les relais en équipe de France avec Aurore [Jean], Célia [Aymonier], Coraline [Hugue], jusqu’aux dernières courses avec le Team [Nordique Crédit Agricole Franche-Comté devenu Decathlon Experience], avec Roxane [Lacroix] et Céline [Chopard-Lallier], il y a eu beaucoup de belles rencontres. Je pense aussi aux instants partagés, les soirs de victoire comme de défaites, avec les membres de l’équipe technique de l’équipe. Leur rôle et leur présence sont essentiels.
J’ai aussi l’impression d’avoir vécu un rêve, celui d’une vie à découvrir le monde grâce au ski. Mes spatules m’ont emmenée en Turquie, sur le plateau d’Anatolie, en Russie, en Suisse, dans la vallée de Saint-Moritz, en Italie, à Toblach, en Chine, en Corée, à Pyeongchang, en Norvège, à Oslo, en Suède, à Falun, en République tchèque, à Liberec, en Sibérie, en Nouvelle-Zélande et, c’est un peu plus inédit, en Islande. Et je crois que j’ai autant aimé mes déplacements en France, aux Confins, sur les plateaux du Vercors, des Glières ou encore dans les hauteurs de Bessans.
- Vous parlez peu de résultats ou de victoires ?
C’est parce que pour moi, même si j’étais une compétitrice dans l’âme, le plaisir du ski a toujours primé. Je retiens ma première victoire en cadette à la Malmaison, une course qui m’avait rendue très fière, ou mon premier podium en coupe de France, au Grand-Bornand, ma première coupe d’Europe, à Abtenau en Autriche, ou mon premier titre de championne de France en 2010 aux Saisies.
Mes expériences les plus difficiles m’ont toujours beaucoup apportée.Anouk Faivre-Picon
Ensuite, j’ai de supers souvenirs de notre quatrième place en relais au Jeux olympiques de Sochi en 2014, de ma 5e place aux Mondiaux de Falun en 2015, ou de ma 8e place en coupe du monde à Davos en 2011 ou de ma 11e place sur le Tour de Ski, en classique, à Val di Fiemme. Mes victoires sur les courses populaires, comme le marathon de l’Engadine, la Foulée Blanche, la Mara et bien sûr La Transjurassienne sont aussi de très bons souvenirs. Je suis aussi heureuse d’avoir pu boucler les 90 kilomètres de la Vasaloppet en poussée simultanée, loin derrière Marit [Bjoergen], mais comme un accomplissement et un beau point final à ma carrière.
- Vous avez traversé aussi des moments plus difficiles, et appris à vous relever.
Oui, mes expériences les plus difficiles m’ont toujours beaucoup apportée. L’hiver 2006/ 2007 fut une saison blanche, suite à une rupture de mes ligaments croisés. Et finalement cette année m’a permis de retourner à la fac, de retrouver de la confiance en finalisant mon master et à clarifier mon envie de poursuivre le sport de haut niveau. Ma non-sélection aux championnats de monde de Rovaniemi, en junior, comme celle au Tour de Ski 2014-2015 furent aussi des moments difficiles, mais je suis toujours revenue plus forte. Par exemple, si j’ai regretté de ne pas participer aux Jeux olympiques de Vancouver, j’ai réussi à me mobiliser pour réaliser une bonne fin de saison en coupe du monde.
Les championnats du monde de Seefeld en février 2019 restent mon plus mauvais souvenir de ma carrière, je ne me sentais pas du tout soutenue par les entraineurs. Cette situation n’était que la suite des difficultés rencontrées à partir du moment où j’ai décidé de devenir maman. Au moment de ces championnats en Autriche, Even était encore petit et concilier ma vie de mère et d’athlète de haut niveau ne fut pas facile. Au final, j’ai quand même réussi à accrocher une vingtième place en skiathlon et une 26e place sur le 30 kilomètres libre. Je n’oublie rien et je crois que ces moments m’ont forgé le caractère.
- Quels changements avez-vous observé depuis le début de votre carrière ?
Quand j’ai commencé, la génération des Manu Jonnier, Vincent Vittoz ou Christophe Perrillat étaient au sommet, c’était hier et cela fait pourtant 15 ans… J’ai l’impression que tout s’est encore plus professionnalisé. Avant, je pouvais considérer qu’une séance de bois avec mon père pouvait se substituer à une séance de musculation. Aujourd’hui, même en ski-roues, toutes les disciplines du ski de fond semblent avoir gagné en intensité. Je m’en suis rendu compte ces deux dernières années sur le circuit Visma Ski Classics. Personne ne vient sur ce circuit pour se recycler, tout le monde se donne les moyens de performer au plus haut.
Ces prochaines années, je vais m’appliquer à minimiser mon empreinte carbone.Anouk Faivre-Picon
Je suis toujours curieuse de mon environnement et de la nature, et le changement climatique est aussi pour moi une évolution majeure. Si les saisons se font toujours, on sent quand même qu’il se passe quelque chose. J’ai toujours eu conscience de notre responsabilité et, c’est paradoxal, cela ne m’a pas empêché de courir aux quatre coins de la planète. Je ne pense pas que j’appréhenderais aujourd’hui ma carrière de la même manière au regard des indices liés au réchauffement et à l’impact de nos déplacements. Ces prochaines années, je vais m’appliquer à minimiser mon empreinte carbone. J’aimerais que mes enfants puissent faire du ski à Pontarlier, à la Malmaison, sans se poser de question.
- Qu’est ce que vous aimeriez dire ou transmettre à la nouvelle génération de champion qui émerge actuellement en France ?
J’ai envie de dire à la jeune génération qu’ils sont aux portes de leur saison et de leur carrière. Que si le sport de haut niveau est bien une histoire de potentiel au départ, que c’est surtout une histoire de travail et de persévérance. Il ne faut jamais perdre de vue ses objectifs, et arriver à se décentrer pour penser la manière dont on skie, dont on glisse, comment on se relève, comment on progresse. Je n’étais pas plus douée qu’une autre, mais j’ai avant tout beaucoup aimé le ski et ai eu la chance d’être bien entourée, notamment par ma famille. Je suis reconnaissante envers beaucoup de personnes, comme Jean-Pierre Lacroix, qui fut beaucoup plus d’un sponsor au long de ma carrière.
Notre quatrième place à Sochi est faite pour être battue.Anouk Faivre-Picon
Je voudrais aussi leur dire que cette vie vaut la peine d’être vécue. J’ai peut-être mis du temps à le réaliser, mais je n’aurais pas pu vivre ces expériences sans le ski. J’ai appris l’anglais avec l’équipe américaine en Nouvelle-Zélande, j’ai partagé des fous rires pour rien avec Aurore, j’ai traversé la Suède en train couchette, j’ai lu et relu pendant mes déplacements, j’ai visité Prague, Oslo, Moscou ou Istanbul pendant des escales, j’ai répondu à des questions pour la radio, j’ai interviewé Charles Belle [Nordic Magazine avait imaginé cette rencontre pour son numéro 7]. Et je n’en reviens toujours pas et ne regrette rien.
- Vous aviez des modèles qui vous ont inspirée ?
Oui, bien sûr, je pense à Thomas Wassberg ! Non, quand j’ai commencé le ski, mes modèles furent Manu Jonnier et, dans un autre sport, Novak Djokovic. Ils semblaient pouvoir traverser les grands événements de manière détachée, ils donnaient l’impression de pouvoir s’extraire du contexte de la course, et, au final, ils arrivaient à performer. Les Américaines Sophie Caldwell ou Jessie Diggins m’impressionnaient aussi par leur capacité à performer le jour la course, alors qu’elles pouvaient être en retenue pendant l’entrainement. J’ai admiré aussi Charlotte Kalla et Marit Bjoergen. J’aime l’approche du ski de Marit, elle est toujours là, et l’amour du ski passe avant la compétition tout comme Riitta-Liisa Roponen qui accroche encore une médaille aux derniers mondiaux de Oberstdorf. Elle était encore là sur la Vasa voici quinze jours, j’ai appris à la connaître et nous avons beaucoup échangé ces dernières années, elle m’a conseillé avant la Fossavatnsgangan, la course que j’ai disputée en Islande.
- Vous vous reconnaissez parmi des skieurs de la nouvelle génération ?
Je me suis reconnue dans le parcours de Roxane Lacroix ou Céline Chopard-Lallier, avec lesquelles je partage le même amour du ski et des paysages jurassiens. Aujourd’hui, j’ai de l’admiration pour Cloé Pagnier, de Chaux-Neuve, Kevin Lancia, des Fourgs, qui m’impressionnent par leur détermination et leur envie de faire du ski. Et puis, je me régale avec la nouvelle génération qui aujourd’hui fait parler d’elle en équipe de France. Je souhaite juste leur dire que notre quatrième place à Sochi est faite pour être battue, j’espère les voir faire beaucoup mieux, elles ont le potentiel pour se hisser au plus haut niveau. Parmi les étrangères, je suis également de près les performances d’Ebba Andersson, dont j’aime le style et la philosophie.
- Et maintenant, quels sont vos projets ?
Je vais dès la semaine prochaine finaliser mon brevet d’Etat en ski alpin dans le massif du Mont Blanc. Aussi, ma reconversion était déjà bien entamée, puisque je serai vraisemblablement devant des élèves l’année prochaine [comme enseignante]. Mais, dans un futur proche, mon projet est de passer du temps avec Mathias [Wilbaut, son mari, entraîneur de l’équipe de France juniors], Even et Stina, avec ma famille et mes amis, et profiter du printemps.
- Biathlon | Ski nordique : la nouvelle combinaison des équipes de France sera officiellement dévoilée le 28 octobre
- Biathlon | Lou-Anne Dupont Ballet-Baz, membre du tout nouveau groupe Excellence 2030 : « C’était une occasion à ne pas rater »
- Biathlon | Ski nordique : le programme du samedi 12 octobre
- Combiné nordique : deux côtes cassées pour Laurent Muhlethaler
- Biathlon : Anaïs Bescond se confie sur sa nouvelle vie dans le rôle de coach