BIATHLON – Depuis 2011, Nordic Magazine publie, dans chacun de ses numéros, un long portrait consacré à un athlète. C’est à chaque fois l’occasion de mieux connaître celle ou celui dont on admire les exploits. Retrouvez ici l’article qui a été consacré, en décembre 2015, à Antonin Guigonnat.
Depuis octobre, Antonin Guigonnat porte les couleurs du ski-club de Morzine-Avoriaz (Haute-Savoie). Le jeune homme en éprouve une vraie fierté. C’est que, bien qu’il ait grandi à Juvigny (Haute-Savoie), à la frontière franco-suisse, son histoire est profondément et sentimentalement enracinée dans cette capitale du Haut-Chablais blanc. Elle se mêle même à l’épopée des lieux reconnus « grande réalisation du patrimoine du XXe siècle. »
En 1963, son grand-père, Henri Tavernier, fils d’un agriculteur-ardoisier, est de ceux qui ont cru en la folie du légendaire Jean Vuarnet, enfant du pays devenu célèbre par son titre olympique de descente à Squaw Valley en 1960, de l’architecte Jacques Labro et du promoteur Gérard Brémond : transformer un plateau autrefois fréquenté par les bergers en station de ski. À Morzine, il a ainsi commencé à louer des skis dans son atelier de tailleur de vêtements, alors même qu’Avoriaz n’était encore qu’un vaste chantier dominé par les pelleteuses et les grues.
L’aïeul était donc un précurseur, lui qui aimait à glisser sur les pentes des Hauts-Forts, sur Chavanette, au Fornet… Son petit-fils, désormais “ambassadeur sportif”, marche, tête droite, carabine dans le dos et skis de fond aux pieds, sur ses traces : « Ça fait plaisir à ma grand-mère, à mes oncles et tantes aussi. »
Du ski alpin au biathlon, un Lucky Luke sur neige
Enfant, il a d’ailleurs débuté la glisse par la pratique du ski alpin. « C’est mon père, pisteur-secouriste aux Gets (Haute-Savoie), qui m’a ensuite fait découvrir le ski de fond », poursuit-il. Plus exactement, c’est sa sœur aînée, Cloé, qui lui en a donné l’idée : « Un jour, je l’ai accompagnée. Ce que j’ai vu m’a plu. » Ce qui a d’emblée séduit le petit frère ? La possibilité de se jeter au bord de la piste dans la poudreuse, avoue celui-ci. Le Haut-Savoyard est joueur, du genre à défier les copains d’un »cap ou pas cap ? ».
« La vie n’a qu’un vrai charme : c’est celui du jeu. » Cette citation de Charles Baudelaire, Antonin Guigonnat pourrait la faire sienne. C’est sans doute l’une des raisons qui ont attiré le coéquipier de Martin Fourcade, numéro un mondial, vers le biathlon. Le pas de tir est un terrain de jeu grandeur nature. Il s’y retrouve face à lui-même, comme d’autres, vaillants guerriers solitaires, cherchent à marquer des points face à leur PlayStation ou leur Xbox. C’est toujours pour l’aspect ludique que ce Lucky Luke sur neige s’est entraîné à “lâcher les balles” de plus en plus vite.
S’il touche dans le mille, Antonin Guigonnat fait aussitôt le malin. « J’aime bien la provocation », admet-il. Mais n’y cherchez pas d’arrogance, pas même cet excès de confiance en soi qui ferait battre des montagnes. « C’est même tout l’inverse », confie l’athlète de haut niveau. C’est d’ailleurs marche après marche qu’il a construit sa jeune carrière. Cette « progression régulière » l’a conduit jusqu’à l’équipe de France A. Le départ d’Alexis Bœuf a accéléré son arrivée. Lui succéder lui a imposé beaucoup plus de rigueur dans le travail.
À son actif depuis ses débuts, une médaille de bronze de sprint aux championnats d’Europe d’Otepää (Estonie) et, en 2010, un titre de vice-champion du monde jeunes de relais à Torsby (Suède), avec Florent Claude et Simon Desthieux, ses conscrits. À ce dernier, il avait lancé la veille : « Demain, je tire à dix. » Ce qu’il fit. « Pour faire rire, j’aime bien la ramener », insiste-t-il. Seul un diable russe a empêché les tricolores de monter tout en haut du podium.
Optimiste malgré les épreuves de la vie
À son passif, une seule déception. Celle de n’avoir pas été sélectionné en 2011 pour les Mondiaux juniors de Nove Mesto (République tchèque). Un sentiment vite oublié. Antonin Guigonnat est résolument un optimiste, même lorsque, l’été dernier, une rupture partielle du ligament du genou contrarie sa préparation estivale — « encore que je n’ai pas perdu beaucoup de temps » —, ou, pire, dans ces moments douloureux que la vie sait si bien imposer. En mars, la mort accidentelle d’Idris Hirsch, son ami skieur-alpiniste, sur le flanc ouest de l’Oberland (3 970 m), en Suisse, l’a bouleversé. « Je crois en un monde parallèle où mes amis ne reposent pas, mais continuent de faire ce qu’ils aimaient en veillant sur nous », écrit-il sur Facebook, peu après le décès d’un autre conscrit, le Vosgien Romain Claudon.
Élagueur de métier (il travaille dans l’entreprise de son père), pilote de drone, réalisateur de vidéos qu’il diffuse sur YouTube, Antonin Guigonnat a le regard tourné vers le ciel, vers la lumière et… qui sait, vers la gloire qui l’attend.
Cet article est paru dans Nordic Magazine #17 (décembre 2015)
Photos : NordicFocus