BIATHLON – Originaire de l’Oise, Aristide Bègue s’est épanoui à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales) et dans le biathlon qui lui a offert des émotions très contrastées. Atypique dans sa préparation, le Pyrénéen sait désormais ce qu’il veut : réussir à sa façon.
Du village de Sommereux dans l’Oise, où il est né en 1994, Aristide Bègue ne garde pas le souvenir de la jolie église datant de 1911 construite en briques, ornée de hautes fenêtres et d’un joli balcon blanc. Ni du point culminant du bourg, le lieu-dit Le Moulin, perché à… 186 mètres d’altitude ! Non, ce qui a marqué le jeune homme qui a quitté l’ex-Picardie à l’âge de six ans, ce sont surtout l’amitié pour Quentin et Anaïs qu’il ne voulait pas quitter, ainsi que les deux poneys Rookie et Gélinotte qu’il montait joyeusement dans les prés qui entouraient la maison familiale. Une ancienne ferme que son papa André avait retapée durant de longues années.
« On faisait même du vélo dans la maison tellement elle était grande », se souvient, amusée, sa sœur Myrtille, de deux ans et demi sa cadette. « J’ai aussi l’image de notre voiture arrêtée au bord de la route, tombée en panne le jour du déménagement ! », s’amuse le jeune homme alors promis à une nouvelle vie dans les Pyrénées-Orientales, destination du voyage. C’est en Occitanie, où résidaient déjà des cousins, que M. Bègue, conseiller principal d’éducation, a demandé sa mutation et où la maman allait devenir institutrice. Direction Font-Romeu donc, un des temples du sport en France.
Inspiré par Simon Fourcade
Au cœur de la Cerdagne entre Mont-Louis et Bourg-Madame, le garçon trouve un terrain de jeu exceptionnel, à la mesure de sa boulimie d’efforts physiques. « Il avait un grand besoin de se dépenser », note Sophie, sa maman. « Avant de déménager, j’étais entraîneur de foot et de tennis de table dans l’Oise », encourage le papa pour mieux souligner l’importance de la pratique sportive dans l’éducation.
Hébergé avec sa famille au cœur du Centre national d’entraînement d’altitude qui jouxte le collège et le lycée de la station pyrénéenne, Aristide Bègue assouvit sa passion pour le sport. Tous les sports. Il passe par la gymnastique, l’athlétisme, l’équitation, la course d’orientation, la natation et découvre les joies des sports d’hiver avec le ski alpin, le patinage artistique, le ski de fond…
La venue en stage de l’athlète Paula Radcliffe, la femme la plus rapide du monde sur le format marathon, reste un souvenir fort de sa jeunesse. « Mon jardin, c’était la piste d’athlétisme et ma salle de jeux, le terrain d’entraînement ! », résume-t-il, en soulignant que l’ultra-traileur Kilian Jornet, Martin Fourcade et bien d’autres immenses champions ont usé leur fond de culotte sur les bancs de l’école pyrénéenne. Les nageuses Laure Manaudou et Christine Caron, le patineur Philippe Candeloro et, plus tôt, la championne olympique du 400 mètres à Mexico, Colette Besson, ont également fréquenté la structure. Plus récemment, les vedettes du ski de fond suédois et norvégien ont trouvé, dans les Pyrénées-Orientales, un terrain d’altitude idéal pour préparer les Jeux de Pékin 2022.
« À Font-Romeu, on s’habitue à croiser des champions. J’ai échangé avec Vincent Luis [sacré champion du monde de triathlon fin août, ndlr.] dernièrement, ou des gens qu’on voit à la télé comme Mo Farah [légende du demi-fond quatre fois champion olympique 5 000 mètres et 10 000 mètres] et Yohann Diniz [triple champion d’Europe du 50 kilomètres marche], résume Myrtille. On discute beaucoup chez le kiné et c’est marrant de constater que beaucoup sont fans de biathlon. » Mais c’est bien l’enfant de La Llagonne, Simon Fourcade, qui va mettre le biathlon dans la vie d’« Ari » : « Tout le club de Font-Romeu s’était réuni pour suivre sa course. Je me suis dit : »C’est ça que je veux faire ! » »
« Tout ce qui a trait à l’exemplarité par le sport et pour les jeunes, a toujours été important pour moi. Je suis ravi qu’on puisse s’identifier à moi pour construire son parcours, même si je ne me considère pas comme une idole, loin de là », se réjouit l’aîné des Fourcade, nouvel entraîneur de la relève du biathlon tricolore.
Au fond du trou
Précis derrière la carabine, plutôt à l’aise sur les skis de fond, Bègue se construit autour de sa passion. « Quand il a signé un podium sur sa première course de ski, vers huit ou neuf ans, je lui ai dit que s’il travaillait, il pourrait y arriver. Il n’est pas le plus talentueux des skieurs, mais sans doute un des plus appliqués. Avec le temps, il a aussi travaillé de profondes ressources mentales », note, sans fierté mal placée, le paternel.
Le fiston décroche ses premières médailles internationales. Et sans s’en rendre compte, se laisse griser par le succès. « En rentrant des Mondiaux juniors avec une médaille au lycée, j’étais une star. Sur le moment, j’en tirais de la satisfaction, mais pas de la joie. Comme si je faisais les choses pour les autres, sans les vivre moi-même. J’étais devenu arrogant. Jusqu’au jour où mon groupe de proches amis m’a remis à ma place en me disant que j’avais changé ! »
Il encaisse et poursuit son bonhomme de chemin vers la compétition de haut niveau. Sa première sélection coupe du monde à Nove Mesto (République Tchèque) en décembre 2016 se solde par un échec. Le jeune homme se met trop de pression. « Ari est excessif en tout : très content ou très mécontent, il n’y a pas de demi-mesure chez lui, il est entier », décrit la petite sœur. « Le biathlon me définissait en tant qu’homme. Sans ce sport, j’avais l’impression de n’être rien », lâche-t-il.
Là aussi, une similitude partagée avec Simon Fourcade. « J’ai traversé aussi ce moment difficile : j’en occultais tout ce qui se passait autour, témoigne le jeune retraité du circuit mondial. Ce n’est pas la partie la plus rayonnante de ma vie, même si c’est la période où j’ai fait beaucoup de sacrifices pour mon sport. Je me suis rendu compte que cette façon d’évoluer était très néfaste car on se met des œillères et on se ferme aux autres ! »
Confiant dans l’optique d’une participation aux Jeux olympiques de PyeongChang, le Pyrénéen tombe dans le surentraînement lors de sa préparation. Il vit une nouvelle désillusion quand il est exclu des collectifs de l’équipe de France en mai 2018 après, pourtant, une saison « pleine en termes d’implication, mais exempte de gros résultats. » « Cette annonce m’a fait du mal, même si, avec le recul, elle m’a été bénéfique. » Il tombe dans une dépression qui ne dit pas son nom. « Le voir exclu des groupes m’a fait aussi relativiser sur la fragilité du sportif de haut niveau. Personne n’est protégé et seul le travail compte », analyse Myrtille qui partage bon nombre de sorties d’entraînement avec lui.
Sa propre route
Sur le coup, la pilule est difficile à avaler, d’autant que ses précédents partenaires de groupe, Antonin Guigonnat ou Émilien Jacquelin, performent sur le circuit majeur. « Il était au fond du seau, n’avait plus le goût à rien », se souvient André Bègue qui lui propose alors de l’accompagner mentalement via la sophrologie dans laquelle il s’est formé. De son côté, Vincent Losserand, entraîneur au pôle France de Font-Romeu, s’occupe de la préparation physique. « Avec sa maman, on a pris du temps pour l’aider à se reconstruire. Progressivement, je suis passé du rôle de spectateur joyeux à celui d’une béquille dans les moments compliqués. Les choses se sont faites naturellement », développe le papa. Jusqu’à trouver un équilibre convenable pour tous.
Une psychologue bienveillante complète ce triptyque qui porte rapidement ses fruits : « J’ai compris que j’étais trop centré sur moi, qu’il n’y avait pas que le biathlon dans la vie, en m’investissant dans le quotidien du club, en allant aux matchs de l’USAP. Autant de petites étincelles de bonheur précieuses. » « Travailler pour se faire plaisir et progresser » est son nouveau credo. Et ça fonctionne : un dernier hiver plein couronné de victoires en IBU Cup et d’une participation, notamment, à la mythique coupe du monde d’Oslo, lui permet de retrouver le collectif de l’équipe de France A ce printemps 2019.
Aux côtés de Martin Fourcade, il profite de précieux conseils mais, là encore, Aristide Bègue trace sa propre route, en accord avec le directeur du biathlon français, Stéphane Bouthiaux. « Les entraînements allaient trop vite pour moi, je n’y trouvais pas mon compte… J’ai préféré poursuivre la préparation en solo chez moi », éclaire ce passionné de vidéo. Une terre où il se ressource en grimpant au sommet du Pic Carlit avec sa sœur, en sillonnant les routes du secteur comme le col du Calvaire à vélo et en ski-roues. Un choix pas si surprenant finalement pour un athlète qui a peut-être fini par trouver sa voie vers… le bonheur ?
Portrait publié dans Nordic Magazine #31
Photos : Nordic Magazine et Nordic Focus.