SKI DE FOND – Depuis 2011, Nordic Magazine publie, dans chacun de ses numéros, un long portrait consacré à un athlète. C’est à chaque fois l’occasion de mieux connaître celle ou celui dont on admire les exploits.
Retrouvez ici l’article qui évoquait, en juin 2016, Aurélie Dabudyk.
Dimanche 9 février 2014, entre Bellefontaine et Mouthe, quelque part sur la partie finale de La Transjurassienne. En tête, Aurélie Dabudyk mène grand train, mais ne peut s’empêcher de regarder derrière elle pour surveiller l’éventuel retour de ses poursuivantes, la Russe Rotcheva et la tenante du titre, Célia Bourgeois. Ce jour-là, malgré une nette domination, la fondeuse de la Roche-sur-Foron n’ose encore croire à sa première victoire sur la course mythique française. Jusqu’à ce qu’Hervé Balland la décore de la cloche Obertino dévolue au vainqueur…
« C’est quelqu’un de timide, mais dès qu’elle prend le départ d’une épreuve, elle devient une terrible compétitrice, c’est assez flagrant comme trait de caractère. Elle n’aime pas perdre », nuance Émilien Buisson, l’entraîneur de Haute-Savoie Nordic Team. Avec la jeune femme, il ne faut pas se fier aux apparences.
Derrière un joli minois, un grand sourire et de petits yeux noisettes, c’est donc à une gagnante que l’on a affaire.
Née à Bonneville il y a 28 ans, Aurélie Dabudyk monte rapidement sur des skis. D’abord en alpin, avant de s’orienter vers le ski de fond. « Je n’aimais pas du tout attendre sur le télésiège », s’amuse-t-elle. Elle a grandi à Amancy, en Haute-Savoie, à côté de la Roche-sur-Foron, où elle est licenciée depuis toujours. Si elle apprécie particulièrement les escapades nordiques sur le plateau des Glières — elle connaît chaque recoin de cette terre de résistance—, elle préfère mille fois la compétition aux moments de contemplation. « Mettre un dossard m’a plu tout de suite ».
Deux victoires à La Transjurassienne
« Petite, elle était déjà accro à la compétition », se rappelle Émilien Buisson, d’un an son aîné et membre du même ski-club. « C’est vraiment le dossard qui la transcende, confirme Alban Gobert, manager du HSNT. Son plus gros frein réside dans le fait que ça l’ennuie parfois d’aller à l’entraînement. Elle a toujours besoin de confrontation. »
Douée pour la glisse, elle intègre le sport-études du lycée du Fayet, puis l’équipe de France jeunes-juniors aux côtés des Pauline Caprini, Aurélia Lanoé, Céline Schwalm, Manon Locatelli ou Laure Barthélémy, avec qui elle a partagé le podium des championnats du monde juniors de sprint à Malles en 2008, avec une médaille d’argent.
Mais ne comptez pas sur la Haute-Savoyarde pour énumérer son palmarès, discrétion oblige.
« Il y a eu beaucoup d’émotions ce jour-là, se souvient son amie Marion Buillet. J’étais seulement dans la catégorie jeunes, je ne la connaissais pas du tout, mais ça m’a donné envie d’aller plus loin. Après, on a vécu beaucoup de moments ensemble, entre les stages de préparation en équipe et les week-ends de compétitions, mais également les Jeux olympiques à Sochi. »
Alignée en tant que remplaçante en Russie, Aurélie Dabudyk vit des JO en demi-teinte : « Ce sont à la fois de bons et de mauvais souvenirs, dit-elle. Mais vivre la première médaille olympique collective du ski de fond français était vraiment une belle expérience. Le bon côté, c’est que j’ai pu assister à de nombreuses épreuves de plein de sports différents dans un cadre grandiose ».
Cela avait déjà été le cas aux Mondiaux de Val di Fiemme, où, comme Ivan Perrillat-Boiteux, elle avait été le joker de l’équipe de France. Et participé aux joutes mondiales depuis le bord de la piste.
C’est peut-être le début de la fin d’un cycle fédéral. Aurélie Dabudyk saisit l’occasion pour finalement tourner la page équipe de France et s’aligner sur les longues distances où elle trouve un terrain de jeu propice à ses qualités naturelles. « Sur le plan sportif, c’est une fille qui compte parmi les rares gros moteurs qu’on a en France, elle a une caisse énorme, s’enthousiasme Alban Gobert. Il suffit de pouvoir la comprendre et, ensuite, elle peut faire de grandes choses. Elle a vraiment la hargne sur les skis, c’est difficile de la décrocher. Sur la piste, contrairement à ce qu’elle montre dans la vie de tous les jours, jamais elle ne va douter d’elle-même ». Son entraîneur au sein du team haut-savoyard ne dément pas : « C’est une fille qui garde beaucoup pour elle, se confie peu », note Émilien Buisson. L’entraîneur s’adapte donc à son caractère pour l’amener toujours plus haut dans la performance. « Gérer l’humain tout autant que le physique est un challenge intéressant pour un coach. Je dois progresser pour la rendre meilleure », ajoute-t-il.
L’intéressée a surtout trouvé sur les longues distances un milieu moins soumis à la pression. « En équipe de France, les sélections étaient des moments difficiles à vivre, j’avais envie d’autre chose. » Avec deux victoires sur La Transjurassienne, « la plus grande course de France », et un succès cet hiver au classement de la FIS Worldloppet Cup, avec une avance énorme sur la concurrence, celle qui vient de s’installer au Grand-Bornand s’est révélée.
Suscitant là encore les félicitations de son amie Marion Buillet : « Elle a su rebondir. Elle a trouvé sa voie pour s’exprimer pleinement et montrer sa vraie valeur ! »
Vers de nouveaux objectifs
« Sa régularité en course est vraiment son point fort », poursuit Manon Locatelli. « Ce sont des distances qui me conviennent davantage que les formats habituels en coupe du monde, acquiesce la fondeuse du Pays rochois. Ce format correspond à mes qualités physiques. La stratégie entre en jeu, les courses sont différentes à chaque fois et le côté mass-start, y compris avec les garçons, est intéressant ».
« Aurélie a encore de la marge. Sur la coupe du monde, elle n’avait jamais skié à son niveau, le trop de pression l’a inhibé. Elle a besoin d’être protégée. Elle vaut un top 10/15 en skate sur la coupe du monde quand elle est bien à 100 %, assure Émilien Buisson. Elle a les cartes en main. Elle peut faire encore mieux, si je peux l’y aider, tant mieux. Peut-être en ajoutant du plaisir là-dedans pour passer un cap ».
« Elle a besoin de nouveaux objectifs, elle peut être à la bagarre sur une Marcialonga ou sur d’autres épreuves du circuit Ski Classics », rebondit Gobert.
Aurélie Dabudyk passait ce printemps son brevet d’État de natation. « J’ai beaucoup nagé quand j’étais jeune et j’aimerais me reconvertir plus tard dans le métier de maître-nageur sauveteur », dit-elle. Plutôt casanière, quoique « une fois lancée on ne l’arrête plus, c’est l’amie idéale pour une virée de folie », assure Manon Locatelli. Aurélie Dabudyk aime l’art : les peintures de Picasso, de Van Gogh ou encore la photographie. « J’aime aussi dessiner ». Son nouveau lieu de vie, lové au cœur des Aravis, offre un joli tableau naturel qui ne devrait pas manquer de l’inspirer.
Cet article est paru dans Nordic Magazine n°19 (juin 2016)
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