SKI DE FOND – Baptiste Gros, c’est d’abord un physique solide, un premier vainqueur français en coupe du monde de sprint, mais aussi un grand sensible dans la vie où ses amis comptent beaucoup.
Des épaules de déménageur, des cuisses de pousseur de bobsleigh, une barbe de bûcheron canadien et une solide poignée de main… Baptiste Gros, c’est au premier coup d’œil un physique qui en impose. Mais il y a aussi ces yeux clairs, ce regard presque timide qui adoucit l’apparence. Qui en dit long à qui prend le temps d’en savoir plus sur le bonhomme. « Baptiste est quelqu’un de beaucoup plus riche que l’image de la brute épaisse qu’il dégage avec sa grosse barbe. Il présente des traits de personnalités complexes et c’est intéressant de travailler avec lui car il faut arriver à percer la carapace pour le toucher au cœur », avance Cyril Burdet, l’entraîneur de l’équipe de France de ski de fond en sprint.
Sur une piste de ski de fond, au départ d’un sprint, sa spécialité, le garçon sait se faire respecter et imposer son tempo après avoir écouté un bon vieux morceau de hard rock, voire de métal, pour se mettre dans l’ambiance de la course ! Mais, dans la vie, il est plutôt du genre bonne pâte. « Il y a pas mal de sensibilité chez lui », confirme Valentin Gaugain, un de ses meilleurs amis.
Mec entier, direct, pétri de convictions et franc, Baptiste Gros n’a pas toujours dégagé cette assurance de char d’assaut. Il s’est construit au fil des obstacles, « il s’en est toujours servi pour rebondir, souffle la maman, Jeanne-Marie. C’est sa volonté qui lui a permis d’arriver où il est aujourd’hui ». C’est-à-dire parmi les meilleurs sprinteurs de la planète ski de fond ! Un aboutissement qui pourrait paraître logique et mérité, tant le gamin de Seynod (Haute-Savoie), où il a vécu les trois premières années de sa vie en appartement, semblait attiré par la vie et l’effort au grand air.
« Tous les soirs, il était le dernier à rentrer et faisait clairement entendre son mécontentement », se souvient son grand frère, Sébastien, de cinq ans son aîné. « C’est sûr que tout l’immeuble savait quand Baptiste était de retour ! Alors quand on a déménagé à Poisy (Haute-Savoie) dans une maison avec un grand jardin, il était le plus heureux des enfants. Le roi du monde », s’amuse aujourd’hui le papa, Christophe, qui, avec sa femme, inculque à ses quatre enfants (Sébastien, Émilie, Baptiste et Clément) les préceptes d’une vie saine et sportive à base de sorties en montagne, de belles balades avec les cousins…
Un touche à tout
Baptiste Gros touche à tout : rugby, tennis, tir à l’arc, football, escalade, judo… Autonome, curieux et indépendant, il apprend seul à faire du vélo en regardant faire le frangin ! « On l’a vu un jour passer sur le vélo de Sébastien sans jamais lui avoir appris », s’exclament les parents.
À 10 ans, il débarque dans le sillage de son grand frère aux Dragons d’Annecy, un ski-club particulier, puisque citadin. « L’ambiance me plaisait beaucoup, c’était une vraie récréation pour moi qui n’aimait pas trop le collège », étaye le skieur. Il ne garde pas un souvenir impérissable de l’établissement Jacques-Prévert de Meythet et ses 800 élèves. « Baptiste se cachait un peu derrière ses épaules, sa timidité était presque attendrissante », éclaire son ami Valentin.
Après mûre réflexion, le Haut-Savoyard refait une troisième pour soigner son dossier et entrer en section sport-études au lycée du Fayet, passage obligatoire des futurs champions du département. C’est que la compétition commence à prendre une place importante dans l’emploi du temps de l’adolescent. « Il s’est vraiment interrogé sur le fait de continuer dans cette voie, car il avait l’impression de se priver de toutes ses autres passions », éclaire la maman.
« Puis il a goûté au plaisir de gagner des courses en se confrontant aux autres. Ce jeu lui a plu et l’a motivé pour continuer », commente Sébastien Gros, qui partage régulièrement quelques sorties d’entraînement avec son petit frère, en mettant en place des petits challenges. Le jeu, toujours.
En parallèle au ski-club où Gros est rapidement surclassé pour évoluer avec les plus âgés, la découverte de l’internat et d’une joyeuse bande de copains au lycée est une révélation pour lui. « Le lycée m’a donné confiance, j’ai adoré vivre en communauté, avoir des amis sportifs qui rêvaient des mêmes choses que moi. Les profs étaient à fond derrière nous, on se sentait valorisés. »
Au lycée du Mont-Blanc, il se lie d’amitié avec Manon Borgeot, alors biathlète : « De cette première année au bahut, on a gardé un noyau dur de six ou sept personnes et on se voit régulièrement, malgré les années qui passent. Avec Baptiste, on partage beaucoup de choses. On peut papoter pendant des heures, il est très généreux. C’est un bon vivant, mais pas un gars déjanté ! », dit-elle.
Le temps des copains
Parmi le groupe de copains, on retrouve des noms connus dans le nordique tricolore : Enora Latuillière et Antonin Guigonnat avec qui il vit d’ailleurs en colocation dans une maison de La Féclaz (Savoie), Bastien Buttin, qui habite l’étage en dessous, Valentin Gaugain, Baptiste Jouty, Arnaud Guyon… « »Bat » marche à l’affectif, soufflent ses parents. Il a besoin d’être en confiance, d’être entouré de ses amis et il se sent bien dans ce groupe. »
Avec ses colocs de La Féclaz, le sport n’occupe pas toutes les conversations, loin de là. Les activités tournent autour du jardinage, du bricolage dans la maison et surtout de la mécanique. Sous toutes ses formes et sur tous véhicules : « Je bricole souvent mon van, ma voiture, ma moto, mon VTT avec Antonin et Bastien, avec qui je partage de belles balades typées enduro », confie l’intéressé. « C’est bien simple, il y a tous les outils du monde dans le garage de Baptiste », s’amuse Valentin Gaugain, de la partie quand il rentre d’Edimbourg, où il est parti changer de vie.
Impérieux besoin de nouveautés
Sa vie de sportif, Baptiste Gros l’a construite en équipe de France depuis 2011. Il figure aujourd’hui parmi les plus expérimentés des sprinteurs. Roddy Darragon, vice-champion olympique à Turin, se souvient de l’arrivée de l’Annécien en équipe : « J’ai le souvenir d’un gars qui avait de grosses qualités physiques, vraiment très puissant. Techniquement et tactiquement, il n’était pas vraiment au point, taquine le Bornandin, qui s’est lié d’amitié avec lui. Il avait envie de mordre dedans, il lui fallait juste apprendre le jeu du sprinteur. À l’époque, j’étais considéré comme gros, alors que lui était bien plus épais que moi ! »
Pourtant, note Alban Gobert, manager du e-Liberty Ski Team « avant d’être un bon sprinteur, Baptiste est tout bonnement un bon skieur. N’oublions pas qu’il a gagné le Marathon des Glières et a décroché le titre national en ski-roues sur le 15 kilomètres classique ! » Son arrivée en groupe France coïncide avec l’envie de la FFS de développer un groupe sprint dans la foulée des Jeux olympiques de Sotchi. Cyril Burdet est missionné pour former les dignes successeurs de Cyril Gaillard, Damien Ambrosetti, Cyril Miranda ou Darragon… « Avec Cyril, les curseurs ont été remontés d’un cran chaque année, explique Baptiste Gros, qui a signé son premier podium de coupe du monde en Pologne. C’est le coach en qui j’ai 100 % confiance entre son programme d’entraînement et mon vécu d’athlète. »
La recette fait merveille et le groupe voit éclore les fameux Poneys : Renaud Jay, Lucas Chanavat, Richard Jouve, Paul Goalabré… Jusqu’à la victoire de Baptiste Gros, la première d’un Français sur un sprint, à Québec, le 4 mars 2016, devant Alex Harvey et Sergey Ustiugov ! Pourtant, cette journée devenue historique n’a rien eu d’idéal : « J’ai fait des cauchemars toute la nuit, me suis mis à douter dès le matin, jusqu’à téléphoner à ma pote Manon. » Le coup de fil salvateur se termine par un tranchant : « Je te laisse, je dois aller gagner une course ! » La suite, au bout d’une incroyable finale qui semblait perdue (y compris pour les coachs), lui donnera raison…
Aujourd’hui, dans la peau de celui qui a montré la voie à ses collègues, Baptiste Gros ne se fixe plus de limites. Ni d’objectifs précis d’ailleurs : « Je suis meilleur à l’instinct. Quand je me mets à quantifier les performances, ça ne marche pas. Ça joue quand, mentalement, je suis frais. » « Baptiste est dans la vie comme il est athlète : indestructible quand toutes les bonnes conditions sont réunies », appuie Burdet.
D’ailleurs, le Haut-Savoyard sait désormais ce qu’il lui faut pour se mettre dans les meilleures dispositions. Ayant « besoin de nouveautés », la préparation de la saison prochaine se fera en mode itinérant à bord d’un camping-car avec, dans ses bagages, sa guitare sèche, quelques bons sons et son appareil photo. « La routine le fatigue », appuie son frère Sébastien. Au programme : des semaines de préparation du côté des majestueuses îles Lofoten (ski de rando, kayak, surf…), de la Savoie, de la Norvège, de l’Autriche et de l’Italie en automne, tout en participant aux stages communs de l’équipe de France. La recette pour de prochains succès ?
Portrait publié dans Nordic Magazine #30
Photos : Nordic Magazine et Nordic Focus.