Le sommaire
Biathlon : la coupe du monde de Lenzerheide vue par Marie Dorin-Habert
Tout au long de l’hiver, un biathlète tricolore à la retraite débriefera pour Nordic Magazine les différentes étapes de la coupe du monde. C’est la Dauphinoise Marie Dorin-Habert, multiple championne du monde et médaillée olympique, qui se lance pour revenir sur la coupe du monde de Lenzerheide (Suisse), la troisième de la saison.
La superstar de la semaine : Justine Braisaz-Bouchet
« Elle a fait ce qu’il y a de mieux. Je ne vois pas comment on pourrait faire plus sur l’adaptation au niveau de forme ou la gestion de la course par rapport à ses propres qualités. Je trouve qu’elle a juste été parfaite. Elle n’a pas gagné des courses au rabais parce que la concurrence était là, notamment sur le sprint et la mass-start. Elle fait trois courses vraiment pleines et a gagné en laissant une belle impression de légèreté et de fluidité. Franchement, cela donnait même une impression de facilité ! Je lui souhaite vraiment que ça continue. »
« J’ai été complètement impressionnée. Non pas que je ne pensais pas Justine Braisaz-Bouchet capable de le faire, mais parce que je ne l’avais jamais vu faire ce genre de course. Encore une fois, j’ai l’impression que c’était très solide et que ce n’est pas arrivée comme ça parce que tout été aligné. Elle a réussi à trouver une façon à elle de travailler son geste et une manière de faire qui lui permet d’assurer un tir très calme et serein. Sur les skis, je ne suis pas du tout surprise de sa vitesse, c’est son niveau et elle n’a jamais été moins forte que cela. L’inverse, si elle n’était pas revenue à son niveau, aurait été plus étonnant et étrange. Je n’avais aucune inquiétude par rapport à cela ! »
« Je suis vraiment impressionnée, en revanche et je le répète, par la maîtrise du tir qu’elle a eu. J’imagine que le recul qu’elle a pris sur son sport avec la maternité lui a permis de s’épanouir et de trouver une voie sereine pour appliquer les tirs comme elle le souhaite. Pour l’avoir vécu et avoir fait mes meilleurs résultats après grossesse, je ne peux que constater que ça apporte énormément ! Quand c’est fait en famille, que c’est assumé et que l’entourage suit, c’est une prise de recul permettant beaucoup de choses. C’est très moteur. Plus tard, je trouve qu’il y a des choses difficiles à concilier, mais, sur la première année, on a un truc nouveau à gérer qui apporte beaucoup de détachement par rapport à la performance et de la sérénité. »
Le collectif de la semaine : les Norvégiens
« Il y a une sacrée densité et je ne vois pas qui peut les challenger. Bien sûr, il y a [Sebastian] Samuelsson [absent à Lenzerheide, NDLR] et les Allemands, mais il faudrait qu’ils soient réguliers au tir. Les Norvégiens sont globalement tout le temps impeccables au tir, très forts sur les skis et se challengent entre eux. Si Johannes [Thingnes Boe] garde son niveau de la mass-start, les courses redeviendront moins intéressantes. Je respecte la personne et le sportif, mais on peut constater qu’un athlète qui a une ou deux balles de marge, c’est pénible. Il arrive plus relâché au tir et ça pousse les autres à la faute parce qu’il faut aller au-delà de son niveau pour le battre. Cela fait provoquer des erreurs. »
La confirmation de la semaine : Julia Simon
« Si son début de saison a été un peu compliqué, maintenant c’est parti ! On lui retrouve les crocs qu’on lui connaît. Sur la poursuite et encore plus la mass-start, elle était à l’offensive plus plus plus. C’est elle qui a mené tout le long et cela aurait même mérité un podium le dimanche. Il lui a manqué une petite balle, mais, globalement, c’était une grosse course de sa part avec des qualités très offensives et à l’attaque. Elle est de retour et ça va claquer dans pas longtemps ! »
« Il ne faut pas négliger toute la fatigue que ça représente de jouer un général toute la saison, il y a aussi eu les affaires internes… On peut trouver plein de raisons à ce début d’hiver difficile où il a fallu qu’elle se recale par rapport à ce qu’elle a vécu l’an passé et au niveau de ses adversaires. Maintenant que c’est fait et connaissant Julia [Simon], elle ne va faire que monter. Je ne pense pas qu’elle redescende ! »
L’avertissement de la semaine : les Bleus se trompent peut-être d’objectif en visant la victoire
« Les Français sont dans le coup et pas du tout à la rue sur les temps de ski, mais pas au niveau des Norvégiens. Ils sont à 20 secondes au mieux. Vu le niveau qu’il y a devant, ce n’est pas du tout déméritant, mais c’est peut-être cela qui les pousse à la faute. Ils veulent la victoire et n’en démordent pas de jouer le classement général. C’est leur stratégie que je ne remets pas en cause, mais, avec du recul quand on n’est pas dans le groupe, on peut se dire que leurs objectifs sont peut-être trop élevés par rapport à leur niveau du moment. »
« Pour l’instant, il n’y a aucun Français client pour le général. Ils sont bons et dans le coup, mais ce n’est pas du tout suffisant pour aller jouer tout le temps devant comme l’a fait Quentin [Fillon-Maillet] la saison où il gagne le globe. Il était à 89 % de réussite et, là, les Français en sont loin [83 % pour le Jurassien, 79 % pour Emilien Jacquelin ou 78 % pour Fabien Claude, NDLR]. On ne comprend pas trop le problème qu’ils ont derrière la carabine. Très tôt dans la course, ils se sortent du jeu. Ce n’est pas horrible, encore une fois, mais ça ne peut pas jouer tout devant régulièrement et ça ne fait, au mieux, que des places d’honneur. »
« L’engagement que les Français montrent au tir, quand bien même ils l’ont travaillé cet été, ne fonctionne pas. Cela ne veut pas dire qu’il faille tout arrêter et changer de direction, mais ça ne passe pas en course. Il y aura peut-être un déclic généralisé et il faut leur laisser un peu de temps. Ce qui est bien, en revanche, c’est qu’ils sont très positifs dans leurs discours face aux médias, mais je m’interroge vraiment sur ce fait d’afficher de vouloir gagner. Je ne dis pas qu’il faille se sous-estimer et dire qu’on veut jouer derrière, mais il faut peut-être temporiser et y aller par étapes pour être présents quand ça s’ouvre devant. Là, ce sont eux qui ouvrent les portes ! »
L’incident de la semaine : Sturla Holm Lægreid
« J’ai déjà vécu cela avec Andrea Henkel en 2009 aux Mondiaux de Pyeongchang. On ne pouvait pas avoir les carabines dans les chambres, mais elles étaient rangées et il y avait une salle réservée au tir à sec. Pendant une séance, elle a engagé un chargeur et une balle est partie, traversant une cloison, un couloir, une autre cloison et un second couloir pour aller se loger dans un meuble. Elle avait aussi été disqualifiée et je trouve que c’est normal. La sanction n’est pas pour montrer du doigt l’athlète, mais pour montrer qu’il faut être intransigeant au sujet des règles de sécurité. On ne peut pas se permettre de dire que ce n’est pas grave. Au contraire, c’est super important pour les gens, l’exemplarité et la sécurité… d’autant que ça peut-être dramatique. »
« C’est quelque chose qui peut arriver très facilement, mais qui ne doit jamais arriver. Bien sûr que ça va hanter Sturla [Holm Lægreid]. Sur le coup, ça surprend, mais on ne se rend pas compte. Avec du recul, quand ça redescend, on se dit que ça aurait pu être hyper grave. »
« Je pense que c’est une grosse erreur de faire ses chargeurs en dehors du pas de tir. C’est malheureusement à cause de cela que les incidents, et cet incident en particulier, arrivent. Pour moi, on ne devrait pas faire son chargeur si on ne l’engage pas tout de suite. Les balles, c’est sur le pas de tir. Sinon, on oublie, on fait des tirs à sec et voilà… Quand je repartais du pas de tir pour aller dans ma chambre, j’avais ce réflexe de vérifier que mes chargeurs étaient vides. »
La déception de la semaine : Chloé Chevalier
« Elle peut être déçue par ce début de saison et de ses courses de Lenzerheide. On a envie d’attendre autre chose d’elle, mais, en même temps, c’est un pilier du relais. Il ne faut pas négliger la place que ces gens-là ont dans l’équipe et l’ambiance générale du groupe. Chaque personne est importante et apporte sa pierre à l’édifice. Sur les résultats, je pense qu’elle est sur sa faim. Ce n’est pas mal, mais ce n’est pas suffisant sur les skis et en tir où, de temps en temps, elle retrouve des blocages avec des balles qui ne sortent pas. C’est la première, je pense, à s’étriper là-dessus. C’est horrible de vivre ça. On se sent impuissant. »
Le dossard jaune de la semaine : Tarjei Boe
« C’est incroyable ! C’est vraiment un biathlète d’exception. Il y a plusieurs garçons qui font le choix de faire des carrières longues et Tarjei [Boe] est franchement très fort. Globalement, il est tout le temps là depuis le début de saison en ne sortant pas beaucoup du top 4. On ne peut pas dire qu’il soit vieux, mais il fait partie des vétérans ! Je suis vraiment impressionnée par cette envie de tout le temps s’entraîner, de pousser les curseurs toujours plus haut et d’aller chercher le meilleur de lui-même sur les courses après tant d’années. Il faut composer avec lui parce que son expérience est immense et il gagne des courses avec son talent et cette expérience. C’est très impressionnant. »
Le premier podium individuel de la semaine : Marit Ishol Skogan
« En Norvège, on retrouve des filles performantes pas si jeunes, à l’image de [Marit Ishol] Skogan. Ce sont des nouveautés et leur équipe est vraiment belle. On a aussi vu [Juni] Arnekleiv et Karoline Knotten devant. Je ne pas qu’elles vont jouer le général – hormis Ingrid Landmark Tandrevold -, mais c’est un groupe qui monte et sur qui il faut compter. Elles vont notamment se construire avec les relais. »
Le pari de la semaine : Justine Braisaz-Bouchet va gagner le gros globe de cristal
« Mes deux favorites pour le général sont Justine [Braisaz-Bouchet] et Julia [Simon]. Avec elles, Elvira Oeberg, Lisa Vittozzi et Ingrid Landmark Tandrevold se détachent. Les autres n’ont pas assez de régularité sur les skis ou au tir pour prétendre jouer un classement. Pour moi, si Justine [Braisaz-Bouchet] reproduit ses performances tout au long de la saison, elle aura le gros globe. C’est une certitude. Elle fait les meilleurs temps de ski avec [Anamarija] Lampic – qui pourra seulement faire un coup de temps en temps – et montre de belles choses au tir. Il n’y a que, justement, si elle craque énormément sur les tapis qu’elle ne gagnera pas ce général. Elle sera un adversaire redoutable pour les autres. »
L’avertissement de la semaine : ne jamais enterrer une biathlète rapide sur les skis
« Elvira [Oeberg], c’est un peu comme Justine [Braisaz-Bouchet]. C’est une fille qui fait les meilleurs temps de ski très jeune et qui n’a pas encore la régularité au tir même si elle est tout le temps devant. Mais c’est le biathlon : parfois, on enterre des biathlètes… jusqu’au moment où elles gagnent en régularité d’un coup et claquent un général. Tiril Eckhoff est passée par là. Il y a des moments où la sérénité chez une athlète est suffisante pour toujours répéter les mêmes performances sans se poser de questions. »
« La biathlète arrive devant les cibles sans aucune appréhension ni doutes qui font rater. Des fois, ça dure un an, des fois deux ans, et des fois ça ne vient jamais. Il ne faut jamais enterrer les personnes qui vont vite sur les skis parce qu’on ne sait pas ce qu’il peut se passer. Il y a des années où il y a des déclics et, parfois, l’athlète ne l’explique pas lui-même. J’ai l’impression que Justine Braisaz-Bouchet est la Tiril Eckhoff de l’année de son globe ! »
Le nouveau stade de la semaine : la Roland Arena de Lenzerheide
« Je trouve que c’est une piste pour les costauds ! Non seulement elle est en altitude, mais, en plus, elle est difficile avec des longues montées. Pour moi, c’est vraiment une piste taillée pour des biathlètes comme Justine [Braisaz-Bouchet] ou Quentin [Fillon-Maillet] qui font la course au train en poussant longtemps sur les skis dans les portions dures. C’est un peu moins, je crois, pour des profils comme Julia [Simon] et Emilien [Jacquelin], même s’ils ont aussi été très forts sur cette étape. L’avantage va, je pense, aller sur des biathlètes qui poussent forts et longtemps à un rythme constant, mais pas sur des puncheurs. C’est clairement une piste qui va avantager les meilleurs ! »
A lire aussi
- Coupe du monde d’Östersund : le débrief de Sandrine Bailly
- Gilles Marguet : mon meilleur souvenir à… Östersund
- Coupe du monde d’Hochfilzen : le débrief de Frédéric Jean
- Gilles Marguet : mon meilleur souvenir à… Hochfilzen
- Nordic Magazine s’entoure de nouveau d’une équipe d’experts pour vous faire vivre la saison 2023/2024
Les cinq dernières infos
- Biathlon | L’Ukrainien Vitalii Mandzyn, sensation de l’individuel court avec sa quatrième place : « J’espère que ce n’est que le début »
- Biathlon | « Avec le plein, ça pouvait jouer devant… » : de la satisfaction, mais aussi de la frustration pour Quentin Fillon-Maillet et Eric Perrot, dans le top 6 de l’individuel court de Kontiolahti
- Biathlon | Kontiolahti : la liste de départ de l’individuel court féminin, Julia Simon est présente
- Biathlon | « Ma meilleur course de tous les temps » : Endre Stroemsheim et les Norvégiens ont mis tout le monde d’accord à Kontiolahti
- Biathlon | Kontiolahti : pour la première fois de sa carrière, Endre Stroemsheim va revêtir le dossard jaune de leader de la coupe du monde
