BIATHLON – La Vosgien Fabien Claude s’exprime en exclusivité pour Nordic Magazine. À 25 ans, il vient de réaliser le meilleur hiver de sa carrière. Hiver marqué par son podium de Pokljuka (Slovénie) quelques heures après la disparition de son papa.
Fabien Claude sort du silence. Depuis que l’hiver a été arrêté le 14 mars dernier, il est confiné avec ses frères et sa maman dans les Vosges. Pour Nordic Magazine, il a accepté de revenir sur son podium de Pokljuka (Slovénie) décroché alors que son père venait de disparaître. Un moment difficile qu’il raconte avec pudeur. Martin Fourcade, son tir, le Grand-Bornand et son quotidien de confiné étaient également au programme de cet entretien.
- Cet hiver, vous avez traversé une épreuve avec la disparition de votre père à la veille de l’individuel de Pokljuka (Slovénie)…
Se remobiliser, c’est dur. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi à le faire. Mais c’est surtout une grande leçon de vie. Ma vision du biathlon a complètement changé depuis. Je ne pleurerai sans doute plus après une déception sportive. Lorsqu’il vous arrive quelque chose comme cela, on a l’impression que tout s’arrête. On relativise tellement le biathlon devient tout petit.
- D’où vous sont venues les ressources pour accrocher ce podium riche en symboles ?
Ce podium, j’arrive enfin à repenser aux détails, ce qui m’était jusqu’alors impossible. Je suis allé le chercher grâce à tout le travail que j’ai accumulé ces dernières années. J’étais complètement détaché du résultat sur le début de la course. Je voulais uniquement prendre le départ pour notre père, je l’avais dit aux coachs. Florent [son frère qui court pour la Belgique, ndlr.] en a fait de même.
- Comment avez-vous abordé la course ?
45 minutes avant le départ, j’étais en pleurs aux essais de tir lorsque la chanson You’ll Never Walk Alone [Tu ne marcheras jamais seul, ndlr.] a retenti dans le stade. Je ne savais pas où j’allais et si j’allais être capable de rallier le premier tir… Puis la course prenait forme et, à la moitié, les premiers signes de résultats se sont manifestés, vous savez « les petites phrases » qui prennent forme dans votre tête du type « et si c’était le jour pour faire l’exploit, pour papa ? » ou encore « et si c’était aujourd’hui que tu faisais ton 20/20. » Eh ben, ces phrases-là ne m’aident pas à rentrer les balles ou skier vite [rires].
« Ce jour-là, je n’étais pas seul »
- Racontez-nous votre fin de course…
Passé le 15/15, je me devais de rester bien focus. Le deuxième combat contre moi-même était bien présent, c’était celui d’aller décrocher un gros résultat. Dans le dernier tour, je suis allé au bout de moi-même, animé comme rarement. Passé la ligne, je me suis écroulé, inconsolable.
Florent, Quentin [Fillon-Maillet] et Martin [Fourcade] étaient là, et m’attendaient. J’ai cru m’étouffer car je n’arrivais pas à reprendre mon souffle. Ça a été un des pires moments, j’étais inconsolable pendant des dizaines de minutes. Mais c’était tellement beau. J’ai vraiment vu une grande famille à ce moment-là : coachs, athlètes, techniciens, étrangers, inconnus. Tous reconnaissant de ma performance du jour. Ça restera un moment gravé pour moi. Quel mélange d’émotions indescriptibles, tristes et joyeuses ! J’aurais aimé qu’il ait été là pour le voir, mais ce jour-là, je n’étais pas seul.
- Avez-vous la sensation d’avoir vécu une saison incroyable avec l’équipe de France ?
Oui, elle a été exceptionnelle ! Mais pas surprenante. Je pense que les résultats ont été en adéquation avec le niveau d’ensemble de l’équipe. Lorsque nous étions les six au départ, objectivement nous avions six chances de podium.
« Je savoure ma saison […] Je suis cinquième Français au général, mais surtout 19e mondial »
- Malgré vos très belles performances, vous restez le cinquième ou sixième homme de l’équipe de France : comment le vivez-vous ?
Je le vis bien. Qui n’aimerait pas faire partie de cette grande équipe ? J’ai tellement vécu la galère pendant quatre saisons à alterner les circuits sans réussir à m’installer sur la coupe du monde, que je savoure ma place au général et ma saison. Oui, je suis cinquième Français au général, mais je suis surtout 19e mondial. Les résultats de l’ensemble de l’équipe me poussent et me motivent à être meilleur.
- Vos performances au tir vous ont empêché de jouer encore plus devant : avez-vous pointé, avec Patrick Favre, des points techniques à corriger ?
Oui, il ne faut pas être savant pour s’en rendre compte. Ma belle saison est forcément liée à mes progrès au tir, à ma régularité au haut niveau qui s’installe. C’est encore loin d’être parfait et je veux augmenter ma réussite face au cible, pour jouer le top du classement encore plus régulièrement.
- Que retenez-vous de votre participation à l’étape du Grand-Bornand (Haute-Savoie), à domicile ?
J’ai hâte de m’y retrouver l’an prochain avec le beau temps [rires] ! La ferveur qui y régnait pour nous les Français était incroyable. Je suis déçu par mes prestations [35e du sprint, 34e de la poursuite, 19e de la mass start, ndlr.] mais j’ai des coéquipiers solides qui ont rendu la fête très belle.
« On était sonnés de perdre notre leader […]. Martin a été une idole, un modèle »
- Comment avez-vous vécu l’annonce de la retraite de Martin Fourcade ?
On s’y attendait, mais sans s’y attendre. Ça a fait un choc dès qu’il nous l’a annoncé dans la chambre. On était nostalgiques et sonnés par le fait de perdre notre leader. Pour ma part, Martin a été une idole, un modèle. Je suis fier d’avoir été aux côtés du grand Martin Fourcade pendant plusieurs saisons. Cela va créer un vide dans le groupe, c’est certain, mais je ne pense pas que cela va tout changer. La passation était en train de se faire.
- Projetons-nous sur l’hiver prochain : avez-vous des espérances spécifiques après cette très belle saison et ce premier podium ? Le top 10 du général ? Une première victoire ?
Je n’ai pas encore établi d’objectifs précis. Mais, oui, le top 10 mondial m’attire. Cela passera par des grosses performances et des podiums. Une première victoire, j’en serais forcément très heureux. Ce ne sera qu’un aboutissement de bonnes choses bien faites.
- Quel est votre quotidien de confiné ?
Lever 10 heures minimum, couché minuit minimum ! Puis je me transforme en jardinier, comptable ou encore football freestyleur. On essaye de se trouver des activités avec mes frères [Fabien et Emilien, ndlr.], qui sont eux aussi confinés dans les Vosges. On a du tri à faire à la maison, on en profite. Cela fait aussi du bien à notre maman et c’est important de se retrouver à quatre à la maison… Je peux vous dire que parfois, c’est animé [il éclate de rire].
Photos : Nordic Focus.