Biathlon : « Il y aura un petit pincement au cœur quand la saison démarrera en novembre », avoue Frédéric Jean
En ce week-end pascal, Frédéric Jean, 38 ans, est l’invité de Nordic Magazine à qui il a accordé une longue interview quelques jours après avoir quitté la tête du groupe féminin de l’équipe de France féminine de biathlon. Dans cette deuxième partie et après avoir expliqué les raisons de son départ, le natif de Valence (Drôme) fait le bilan de son mandat.
- Au bout de ces quatre années à la tête du groupe féminin de l’équipe de France de biathlon, partez-vous avec le sentiment du devoir accompli ?
J’ai eu la chance d’arriver à la tête d’un groupe qui avait de grosses qualités, d’autant que j’avais auparavant coaché Julia [Simon] et Chloé [Chevalier] au sein du groupe B. On a retrouvé Anaïs Chevalier, Anaïs Bescond et Justine Braisaz, des athlètes de qualité. Le challenge était hyper intéressant parce que, pour certaines, il fallait leur faire garder la flamme allumée, pour d’autres continuer la progression entamée quelques années auparavant et, pour les autres, continuer à les faire monter sur les podiums et gagner des coupes du monde. Ce n’était pas un challenge facile, mais il m’a énormément plus. J’y ai mis beaucoup d’investissement et d’énergie.
- Êtes-vous satisfait de l’hiver olympique réalisé par vos athlètes ?
Je suis très content de la saison qui vient de se passer. On a su répondre présents aux Jeux, sur les coupes du monde, au classement général et, en plus, le petit globe de Justine [Braisaz] sur la mass-start est venu couronner la saison. Avec le recul et en tant qu’éternel insatisfait, bien sûr que j’aurais aimé une médaille aux JO avec le relais et avoir le globe de ce même relais à la maison, mais les circonstances ont fait que cela n’a pas été le cas. Ce sont les aléas du haut niveau et cela ne gâche pas cette très belle saison.
- Plus globalement, sur les quatre années de votre mandat, comme jugez-vous ce que vous avez réalisé ?
La première saison a été difficile. Il fallait que je prenne mes marques. J’avais un premier collègue coach du tir en la personne de Vincent Porret, que je connais très bien parce qu’on bossait déjà ensemble sur le groupe B. A l’issue de cette saison qui s’est passée moyennement, j’ai eu une énorme remise en question personnelle. Très sincèrement, c’est une fierté d’avoir eu l’objectivité et le recul de le faire. Je me rendais bien compte que je n’allais pas dans la bonne direction. Suite à cela, j’ai retrouvé Franck Badiou au tir puis les deux dernières saisons Jean-Paul Giachino. Il y a eu beaucoup de mouvements difficiles à gérer pour les filles avec, à chaque fois, un nouveau discours à digérer et de nouvelles choses à mettre en place.
- Et cela s’est mieux déroulé sur la fin de l’olympiade…
Tout au long des trois dernières années, j’ai acquis, petit à petit, de l’expérience et des compétences en tentant de me former dans plein de petites choses. Je pense que nous sommes parvenus à monter dans la hiérarchie mondiale et que, ce printemps, on peut dire que cette équipe de France fat partie des meilleures du monde. Cela a demandé du travail et de l’énergie, mais cela en valait la peine.
- Vous disiez que vous avez changé de binôme au tir à trois reprises en quatre ans : quelle est votre explication à cette instabilité ?
La première année, Vincent [Porret] a été mis de côté par la FFS au bout de l’hiver. Derrière, j’ai retrouvé un Franck [Badiou] très technique, qui a énormément apporté aux filles sur le monde du tir. Enfin, les biathlètes ont retrouvé un Paulo [Giachino] qui a vraiment un discours de tir biathlon. Revenir avec lui, qui avait déjà le coaching du tir lors de l’olympiade précédente, c’était une manière de ne pas perdre de temps à deux ans des Jeux olympiques de Pékin 2022. Au final, cela s’est très bien passé. Je reste persuadé qu’elles ont une marge de progression, que ce soit au niveau du tir pour certaines ou physique pour d’autres. Je n’ai pas de regrets sur ma décision, mais je sais qu’il y aura un petit pincement au cœur quand la saison démarrera en novembre.
- Sur le plan physique, celui que vous occupiez spécifiquement, voir Justine Braisaz meilleure fondeuse du circuit et les autres tricolores rapides sur la piste doit vous ravir…
C’est une fierté parce que cela valide beaucoup de choses dans mon travail comme ma politique d’entraînement ou la planification des séances sur les stages estivaux. Quand on voit qu’il y a cinq filles capables de jouer les meilleurs temps de ski, c’est super intéressant. Voir Justine [Braisaz] être la plus rapide sur plus de dix courses dans l’année n’est pas une surprise, on savait qu’elle avait des qualités hors normes. J’espère que, suite à cette saison-là, elle va en prendre conscience pour de bon et, qu’avec des petits progrès au tir, elle va s’installer dans le haut de la hiérarchie mondiale.
- Au cours de votre mandat, il y a également eu des moments compliqués, comme le coup de gueule mémorable des Mondiaux d’Antholz 2020 : secouer par moments vos athlètes faisait-il partie de votre management ?
C’est marrant parce que je pense que c’est l’inverse ! J’ai un tempérament qui a tendance à les caresser dans le sens du poil. Par contre, quand il y a des choses qui me gonflent, j’ai la franchise de dire les choses. On se souvient du coup de gueule d’Antholz parce que cela m’a rendu fou. Ce jour-là, on a deux athlètes à 6/10, une à 8/10 et une à 9/10 ! Sur des championnats du monde, on n’existe pas d’autant qu’on se met une balle dans le pied pour la poursuite. Au final, la moitié de la compétition part en fumée ! J’avais poussé un coup de gueule à la télévision à chaud puis à l’hôtel en réunion avec les filles parce que je voulais qu’il y ait un électrochoc. On ne s’était pas entraînés pour faire cela. Avec du recul, peut-être que j’aurais dû moins les caresser dans le sens du poil…
- Pourquoi vouliez-vous les caresser dans le sens du poil ?
Dans ma tête, je me suis toujours dis qu’un groupe féminin ne se manageait pas de la même manière qu’un collectif masculin. Il faut expliquer les choses avec plus de pédagogie et c’est peut-être pour cela que j’ai ce sentiment de les avoir souvent caressé dans le sens du poil. En fin de compte, avec un petit peu de recul, je me dis que j’aurais plus plus leur rentrer dans le lard !
- Y’a-t-il un moment en particulier qui vous a marqué durant les quatre années écoulées ?
Je ne peux pas me permettre de dire qu’un seul moment m’a marqué parce que je sais que les filles vont lire cette interview [rires]. Plus sérieusement, plusieurs moments ont marqué ces quatre années. Je pense notamment à la première victoire en coupe du monde de Julia Simon, une fille que je côtoie depuis de nombreuses années. Être parvenu à l’emmener jusque-là, j’en suis vraiment fier. Ensuite, j’ai en souvenir, pour Anaïs Chevalier, mise à part sa médaille individuelle aux Jeux, son projet de maternité. Cela lui a demandé un gros effort pour revenir au haut niveau et elle y est parvenue. C’est quelque chose de très fort. Justine [Braisaz], le souvenir que j’en garderai, c’est sa victoire sur l’individuel d’Antholz cette année. J’ai l’impression qu’après cette course, beaucoup de choses se sont passées dans sa tête. Chloé [Chevalier], enfin, je garde en mémoire ses top 10 cherchés dans la difficulté. C’est une athlète qui n’a pas encore fait de podium en individuel, mais c’est un pilier de l’équipe sur qui on peut tout le temps compter en relais.
- Et pour Anaïs Bescond, avec qui vous entretenez une relation très forte ?
Nanass [Anaïs Bescond, NDLR] j’en garde un souvenir global de quatre ans pour essayer de maintenir sa tête hors de l’eau avec une motivation de cadette. Le biathlon, c’est sa passion et sa vie et mon challenge était de la garder active. C’est une relation forte qui a créé une amitié parce que je me suis beaucoup investi pour montrer qu’elle n’était pas finie après les Jeux olympiques de Pyeongchang 2018.
- Comment voyez-vous le futur pour le biathlon féminin français, sans Anaïs Bescond mais avec des jeunes prometteuses ?
Il va rester Anaïs Chevalier, Julia Simon, Justine Braisaz et Chloé Chevalier, quatre filles qui ont de l’expérience en coupe du monde. Ensuite, on va certainement retrovuer une Paula Botet qui a découvert ce niveau cette année en temps que juniors dernière année. Pour être franc, il y a encore du boulot pour elle avec une énorme marge de progression physiquement et techniquement sur les skis parce qu’elle a déjà un sacré niveau de tir. Après, il y aura Lou Jeanmonnot, Caroline Colombo, Sophie Chauveau, Camille Bened ou Gilonne Guigonnat, des filles qui ont les dents longues et qui, mine de rien, ne sont pas toutes jeunes. Il faut qu’elles parviennent à éclore au plus haut niveau en se classant régulièrement dans les top 15 en coupe du monde. Surtout, il faut qu’elle prennent conscience qu’elles ont le niveau d’aller jouer devant parce qu’il ne leur manque pas grand-chose.
- Est-ce du domaine du possible de voir une Français remporter le gros globe dans les prochaines années ou la marche est encore trop haute ?
Si je n’avais pas quitté mon poste, je pense très sincèrement que, dans le groupe, j’aurais fixé le classement général comme objectif dès la saison prochaine. Je ne veux pas leur mettre la pression alors que je ne vais plus les gérer, mais certaines sont réellement capables de gagner le gros globe. Cela aurait été mon leitmotiv pour l’hiver à venir, sans attendre trois ans.
Les autres parties de l’entretien
- Frédéric Jean : « J’ai préféré mettre la priorité sur ma famille » [1/3]
- Frédéric Jean : « Avec Yann Debayle, on va essayer de développer le biathlon dans les Hautes-Alpes » [3/3]
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