Biathlon : « Avec Ole Einar Bjoerndalen et Darya Domracheva, on a parfois rigolé jaune… », Jean-Pierre Amat
Après de longs hivers, à partir de la fin des années 1990, à user les pas de tir des circuits coupe du monde puis IBU Cup, le Savoyard Jean-Pierre Amat avait décidé, au printemps 2019, de prendre la direction de la Chine. Une mission de trois ans que le Chambérien a conclut après les Jeux olympiques 2022 organisés dans l’Empire du Milieu.
Depuis le 1er septembre, Jean-Pierre Amat est officiellement revenu dans le giron fédéral français en appui des coachs de tir du groupe B, composé d’athlètes destinés à l’IBU Cup et à la Junior Cup. Dans la seconde partie d’un long entretien accordé à Nordic Magazine, il se confie ans détours sur son aventure chinoise.
- Quel bilan faites-vous de vos trois années passées en Chine ?
Hormis les anecdotes permettant de remplir quelques soirées [il explose de rire], cela a été une approche, d’un point de vue professionnel, très différente de celle dont j’avais l’habitude. Je me suis confronté à une culture différente avec des populations qui, sur le tir, avaient des niveaux très disparates. Même en équipe nationale, il y avait celles qui savaient tirer et ceux qui étaient réputés comme étant des vraies guenilles (sic) au tir. C’était également dans une langue différente. Je donnais mes consignes via une traduction qui imposait, à chaque reprise, de vérifier deux, trois, quatre fois si ce que j’avais dit avait été compris.
- Tout cela était-il fatiguant à la longue ?
Il n’y avait jamais rien de sûr… J’avais l’impression d’avancer un jour et de reculer le lendemain. C’était un pas en avant, un demi-pas en arrière, trois-quarts en avant, un quart en arrière… Du point de vue du matériel, en France, on a la structure de Prémanon qui aide beaucoup et une culture bien plus développée que là-bas. En Chine, les pièces détachées pour les carabines n’existent pas, il n’y a pas une personne pouvant intervenir sur une arme ! C’était à moi de tout faire. J’aime bien cela, ce n’est pas le problème, mais je ne pouvais compter sur personne d’autre. Quelque part, cela a étoffé mes connaissances, m’a permis d’élargir ma manière d’intervenir et de travailler. Finalement, j’ai beaucoup de plaisir à revenir en France. C’est comme un nouveau départ.
- En plus de tout cela, vous étiez en Chine durant la période coronavirus…
Ce n’était pas la bonne idée d’être en Chine à ce moment-là ! Mais personne n’avait vu cela arriver. La crise sanitaire n’a rien simplifié, bien au contraire. Cela a énormément limité le potentiel de développement de cette équipe chinoise. Sur trois saisons, en faire une à blanc au milieu, cela ruine tout. C’est aussi simple que cela.
- De prime abord, on pourrait croire que la Chine avait un budget illimité pour le biathlon par rapport à la France. Mais vous venez de nous dire qu’il n’y avait personne pour s’occuper, par exemple, des carabines : où se situe la vérité ?
Ce n’est pas comparable avec la situation de la France. Il y a des exemples et des contre-exemples. Un jour, on avait besoin de faire venir un tapis roulant de Pékin à environ un millier de kilomètres, sur un site d’entraînement. Cela a été fait avec un coût de transport annoncé par nos chefs chinois… à 73 000 euros ! Sur les infrastructures, c’était budget illimité. Par contre, je me suis retrouvé dans des situations où j’avais besoin de bombes noires pour repeindre les cibles, mais il n’y avait pas de budget pour cela. J’ai été obligé de demander à un athlète de me commander des bombes de peinture via Internet pour qu’on puisse s’entraîner. D’un côté, il peut y avoir des budgets illimités avec les plus beaux hôtels quand on vient en Europe, et, de l’autre, des choses mineures très utiles qui n’entrent pas dans le budget planifié.
- Au niveau des infrastructures, c’était donc le top du top ?
Il y a un centre d’entraînement en Mongolie-Intérieure [région autonome du nord de la Chine, NDLR] où ils ont construit, pendant que j’y étais, le plus beau tunnel de neige que je n’ai jamais vue. Dedans, il y a un pas de tir de trente postes réfrigérés et inclus dans le tunnel. A Oberhof, il y en a quatre et on est contents ! Dans les trente postes, on leur a demandé d’en isoler dix dans des couloirs pour éviter les contraintes de vent sur les cibles, situées à l’extérieur. Ce qui a été fait manu militari en un mois. Il y a une capacité d’investissement phénoménale alors qu’on s’est servis de ce pas de tir pendant trois jours seulement…
- Mais ce n’est pas tout…
A Pékin, on a aussi visité le centre d’entraînement des sports d’hiver. C’était pharamineux ! Par rapport à chez nous, on prend la salle de musculation de Prémanon, on y ajoute celle d’Albertville et on multiplie le tout par dix au minimum. C’est ce qu’ils ont là-bas avec, par exemple, une soufflerie pour les sauteurs à ski. Sur les gros investissements, il n’y a aucune limite. Par contre, il n’y a pas les personnes pour s’en servir.
- Durant vos hivers chinois, vous avez collaboré avec Darya Domracheva et Ole Einar Bjoerndalen : pouvez-vous nous parler de votre relation ?
Cela c’est vraiment super bien passé ! Ole [Einar Bjoerndalen] était le chef d’équipe donnant toutes les grandes lignes et, en parallèle, il était responsable physique du groupe masculin. Darya [Domracheva] était son homologue pour les féminines et, moi, je chapeautais tout le tir de A à Z. On travaillait ensemble et ajustait, le soir, les programmes de chaque journée. Cela s’est toujours très bien passé. C’était agréable de travailler avec eux. On a formé une très bonne équipe, très soudée. En trois ans, on n’a pas eu une seule engueulade. On s’est serrés les coudes, on a parfois rigolé ensemble, souvent jaune… C’était compliqué, mais on n’a jamais lâché et personne n’a quitté le navire en cours de route.
- Êtes-vous fier de ce que vous avait fait pour le biathlon chinois ?
On ne peut pas être fier des résultats parce que, quelque part, il n’y en a pas eu… Oui, de temps en temps, Cheng Fangming est entré dans les points, mais c’est quelqu’un de tellement fantasque que ce n’était pas possible de faire mieux. Les filles tiraient vraiment très bien, mais n’avançaient pas vite sur les skis. Trois ans, ce n’est pas beaucoup pour préparer une grosse échéance. Quand, en plus, il y a une saison blanche… cela devient quasiment impossible de faire un bon travail ! A partir de l’irruption du coronavirus, c’était du sauve-qui-peut pour boucher les trous d’une coque qui prenait l’eau.
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