La Villaraine Julia Simon a fait vibrer la France du biathlon ce dimanche 17 janvier. Auteure d’un 17/20 sur le pas de tir, avec un dernier debout parfait qui lui a permis de prendre la tête, elle s’est offert une victoire de prestige dans le temple de l’Arena am Rennsteig d’Oberhof (Allemagne). Pour Nordic Magazine, elle revient sur ce succès, ses doutes et ses aspirations futures. Entretien.
- Vous êtes allée chercher cette victoire après une fin de mass-start tendue…
C’est pour que ce soit intéressant devant l’écran ! C’était vraiment une sacrée course… J’ai pris beaucoup de plaisir dans la douleur, c’était assez fou. J’ai un peu de mal à me souvenir de ce dernier tour tellement j’étais dans le dur et tellement c’était compliqué. Je ne pensais qu’à faire une poussée de plus de Franziska Preuss pour la rattraper et donner tout ce que j’avais.
- Quelle saveur a cette victoire par rapport à la poursuite de Kontiolahti (Finlande) en mars 2020 ?
C’est différent. Aujourd’hui, c’est un soulagement et beaucoup de satisfaction sur les couchés, qui ont été compliqués pour moi jusqu’à présent. Il y a eu un petit coup de flip sur le premier debout parce que j’étais tellement oxy que mes jambes se sont mises à trembler. Je me suis fait peur, ce qui m’a permis de me remettre dans le match. Cette victoire a la saveur du travail accompli, d’une très belle baston et d’être allée au bout de moi-même. J’ai tout donné, je suis allée la chercher avec les tripes.
« J’ai eu du mal à me relever, j’étais vidée de toute énergie »
- Quand vous arrivez sur le dernier tir en onzième position, à quoi pensez-vous ?
Dans ma tête, je ne pense pas au résultat ou à ce qu’il se passe devant, je pense juste à mettre mes balles et à un point technique qui me guidait. Il fallait ensuite croiser les doigts pour que les autres manquent leurs cibles… C’est ce qu’il s’est passé aujourd’hui : je profite des erreurs de Dorothea. Tout le monde en fait. Aux Mondiaux d’Antholz, c’était l’inverse. Le vent tourne.
- Pouvez-vous nous raconter la sortie du pas de tir après le dernier debout où vous ne savez à quelle place vous vous situez dans la course…
Quand je sors, je ne vois pas d’autres noms que le mien et je trouve ça bizarre parce que je pensais que Dorothea Wierer était ressortie devant. En attaquant la bosse, je ne vois personne mais je ne me suis pas emballée et Franziska Preuss me passe devant. Vincent Vittoz me dit que c’est la gagne qui se joue et j’ai eu un sursaut d’orgueil pour m’accrocher et revenir. Quand je l’ai dépassée, je me suis dit qu’il fallait la décrocher. C’est un truc de fou.
- Arrivez-vous à décrire les sensations, dans la douleur, d’un tel effort…
Il n’y a plus rien. J’étais au bout du rouleau… Je ne pouvais pas faire un mètre de plus. J’étais à deux doigts de jeter le pied sur la ligne pour faire passer le transpondeur sans que mon corps ne la franchisse. C’était dur, c’est une piste tellement exigeante. J’ai eu du mal à me relever, j’étais vidée de toute énergie.
« J’avais les idées noires après ce sprint, je voulais aller en ski de fond, j’en avais marre d’aller poncer l’anneau de pénalité »
- Cette victoire intervient quelques jours après un sprint manqué dans les grandes largeurs : comment êtes-vous parvenue à revenir mentalement pour s’imposer ce dimanche à Oberhof (Allemagne) ?
C’était compliqué… C’est dur d’avoir des objectifs et de voir qu’on n’arrive pas à les atteindre et à mettre les choses en place pour y arriver. J’étais un petit peu perdue, je ne comprenais pas pourquoi ça ne marchait pas ces derniers temps. J’ai un bon entourage, des personnes qui sont là pour me remettre dans le droit chemin. C’est un travail d’équipe, beaucoup de discussions avec Jean-Paul Giachino, Frédéric Jean et Lionel Laurent qui a un regard extérieur. J’avais les idées noires après ce sprint, je voulais aller en ski de fond, j’en avais marre d’aller poncer l’anneau de pénalité. Mais c’est ça aussi le biathlon, passer du fond du classement au top en l’espace de trois jours.
- Cette saison vous êtes sur une dynamique en forme de montagnes russes : est-ce pesant au quotidien ?
Je suis quelqu’un qui s’est construit dans la difficulté, dans les blessures mais c’est épuisant de devoir toujours prouver que j’ai ma place, que je mérite d’être ici. C’est surtout épuisant de devoir me prouver à moi-même que j’ai le niveau. C’est une éternelle remise en question et, parfois, j’aimerais avoir plus de sérénité et ces courses lors desquelles je passe à travers m’obligent à me remettre en question continuellement. C’est là-dessus qu’il faut travailler, sur la régularité, pour pouvoir jouer le général dans quelques hivers, trois ou quatre ans.
- Vous prenez la tête du classement de la mass-start à égalité avec Marte Olsbu Roeiseland : est-ce un objectif ?
Ça fait forcément plaisir. Ce n’est pas une finalité en soit parce que la mass-start des Mondiaux sera la plus importante de la saison. C’est une super belle course que j’adore. Le premier tour était électrique, c’est génial. Je vais forcément avoir à cœur de défendre ce dossard rouge, c’est un honneur de le porter.
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Photos : Nordic Focus.