Biathlon : les confidences de Camille Coupé
A la fin du mois de février, alors que les championnats du monde de Nove Mesto (République tchèque) se terminaient, Nordic Magazine voulait prendre des nouvelles de la biathlète savoyarde Camille Coupé. Membre des équipes de France depuis quatre ans, la Féclazienne vit sa première saison chez et n’est pas parvenue à accrocher une seule sélection internationale.
Ce n’est que quelques jours plus tard que la réponse de Camille Coupé arrivait : « Je n’étais pas prête à parler de ma santé mentale, mais, maintenant, j’ai envie de partager mon expérience », écrivait-elle. C’est que la biathlète de vingt-deux ans a sombré dans une dépression au cours de l’hiver. Elle se livre avec sincérité et honnêteté à Nordic Magazine dans un long et touchant entretien.
- Vous réalisez une saison en-deçà de vos ambitions : comment le vivez-vous ?
Au niveau des résultats, il n’y a pas grand-chose à dire. J’ai raté les sélections au mois de novembre et je savais que cela allait me coûter très cher pour la suite de l’hiver. Ensuite, j’ai couru après une sélection qui n’est jamais arrivée parce que je n’avais pas le niveau pour l’obtenir. C’était très dur. Je ne m’attendais vraiment pas à cela parce que les signaux étaient bons. Sur les Summer Tours, les sprints n’étaient pas ouf, mais je prouvais de belles choses en poursuite. Je me suis donc dit qu’il y avait du bon. C’est pour cela que je me suis pris une très grosse claque lors des sélections de Bessans.
- En savez-vous les raisons ?
On va dire que c’est multifactoriel, mais la première raison, c’est mon mental. Je me suis mis beaucoup de pression. Au printemps dernier, on m’a bien rappelé que ma première année chez les seniors serait charnière et qu’il fallait que je mette les bouchées doubles. Je l’ai plus ou moins fait en optimisant tout, mais mentalement, je me suis imposée beaucoup de restrictions. J’étais déjà très rigoureuse, je l’ai été encore plus et je me suis perdue là-dedans. Je suis donc arrivée début novembre avec tellement d’envie que ça m’a complètement bridée. Sur les courses, j’avais trop de stress, plus rien dans les jambes… Plus aucune énergie après en avoir dépensé à faire la course avant la course ! Je me suis totalement effondrée au mois de novembre en montrant un biathlon vraiment pas bon. Sur le coup, je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre que d’être déçue.
- Comment se sont passées les semaines suivants cet échec ?
Je me suis remobilisée, j’ai couru toutes les coupes de France que je pouvais, mais c’était déjà trop tard et je n’ai pas réussi à retrouver mon niveau de tir. En décembre, les sensations physiques n’étaient pas encore totalement revenues, et en janvier, j’ai fait des courses à ski au niveau des autres. Juste, une fois que la confiance est brisée en biathlon, c’est extrêmement difficile de revenir. J’avais l’impression que les cibles me jouaient des tours. Mentalement, cela a été vraiment très dur. Fin décembre, pendant la période de Noël, j’ai commencé à sombrer doucement vers la dépression.
- A ce point ?
Sur le coup, je ne m’en rendais pas compte. Je me disais que c’était juste une déception et que c’était normal, mais, en fait, elle était installée. J’en suis arrivée à un point où je pleurais tous les jours et où je ne voulais plus me lever le matin alors que j’ai toujours été passionnée par l’entraînement et le ski de fond. Là, je partais m’entraîner sans vraiment de conviction ni de plaisir. Ce n’était pas facile. Petit à petit, j’espère que je vais sortir de ce trou…
- Vous faites-vous accompagner durant cette épreuve ?
Déjà, j’ai eu de la chance d’avoir une famille qui me soutient à 100 %, qui ne m’a jamais mis la pression et qui est toujours là pour moi. J’ai beaucoup de chance. À Noël, mon frère est rentré de Paris, j’ai eu mes parents avec moi, ils m’ont tous aidé à traverser cela. Je remercie aussi mes partenaires du soutien malgré tout. Parallèlement, je me suis fait aider en voyant notamment une sophrologue et je fais du yoga. Seulement, tant qu’on ne décide pas d’aller mieux, la situation n’évolue pas. Quand tout le monde est parti en IBU Cup ou aux Mondiaux juniors, je me suis retrouvée toute seule… C’était vraiment dur parce que je n’avais plus le cadre fédéral autour de moi. Je pensais que ça allait mieux mais avec la dépression, on fait des pas en avant et des pas en arrière. C’est très dur à comprendre.
- Vous assumez le fait d’être dans une phase de dépression : intérieurement, comme le vit-on ?
Je me suis toujours dit que j’avais autre chose dans ma vie et je savais que ce n’était pas grave si je n’arrivais pas à percer en biathlon. Quand c’est arrivé à d’autres athlètes avant moi, je me disais que j’étais protégée parce que j’ai mes études à côté, j’adore l’entraînement et le ski. Je ne fais de biathlon seulement pour la compétition. Malgré tout, quand ça nous tombe dessus, ce n’est pas de notre faute et on fait de notre mieux pour en sortir.
- Avez-vous une idée du déclencheur de cette dépression dont vous parlez ?
Ma perte de confiance a démarré au moment de ma blessure à la cheville contractée à Oberhof il y a un an et demi. Je me suis retordue la cheville plusieurs fois durant l’été. Cette blessure a déclenché une certaine pression et angoisse de ma part à vouloir prouver que je pouvais revenir. C’est cher payé pour une chute sur un escalier allemand, mais je pense que rien n’arrive par hasard. Malgré tout, même si c’est dur en ce moment, cela pourrait m’aider pour la suite de ma carrière. Je ne sais pas si ça marchera, mais je ne suis pas la plus à plaindre. Il y a pire dans la vie, et j’en suis bien consciente.
- En ce moment, où en êtes-vous ?
J’ai eu un déclic en m’inscrivant au Marathon du Grand Bec à Champagny-le-Haut. La veille au soir, je n’étais vraiment pas bien dans ma tête. Au final, je me suis dit que c’était une course sympa qui m’attendait à un endroit où j’ai fait ma toute première course de ski de fond classique en trophée du Beaufort quand j’avais treize ans. C’était magnifique et je me suis rendu compte que j’aimais toujours autant cela. Cela m’a remise dans un cercle positif et fait du bien de faire un effort aussi long à une allure aussi rapide. J’ai pris du plaisir à faire cela avec le i3 Ski Team qui m’aide là-dedans. J’ai passé un mois sans remettre la carabine puis j’ai refait récemment une séance de tir où j’ai hyper bien tiré !
- Vous avez également participé au Marathon de l’Engadine dimanche dernier : comment avez-vous vécu cette course, la plus grande du monde en skating ?
C’était un week-end incroyable, retrouver la cohésion avec le i3 Ski Team m’a fait du bien. Je finis quinzième de cette course mythique, et j’en suis très contente ! J’avais vraiment des mauvais skis à partir du kilomètre 10 et je me suis arrachée. J’ai une grosse pensée pour Maëlle [Veyre] qui a réalisé une course incroyable et s’est fait disqualifiée. Je ne peux pas en dire plus, mais ce n’est pas une tricheuse.
- Savez-vous de quoi sera faite la suite de votre carrière ?
Je sais que la suite sera toujours avec une carabine et des skis de fond ! Dans tous les cas, je continue le biathlon et on me verra aux sélections de novembre prochain. Pour l’instant, je ne sais pas encore avec qui je vais m’entraîner. Je sais que ce sera dur de sortir des collectifs fédéraux parce que c’est un groupe dans lequel j’évolue depuis quatre ans. J’y ai mes meilleurs amis et de très bons coachs. Ce sera difficile de les voir partir en stage sans moi. J’ai plein de projets en tête et je pense que, finalement, ça va me faire du bien de sortir de ce collectif qui m’a fait beaucoup de mal pour ensuite y revenir.
- Il est donc certain que vous ne serez pas dans la liste des équipes nationales dévoilées au printemps…
Oui, j’imagine ! De toute façon, j’ai tellement mal vécu cet hiver que je dois tourner une page. Le groupe de l’été dernier était incroyable, la préparation s’est bien passée, mais je pense que cela ne me convenais plus. C’est énormément de compétition, un jeu auquel je jouais aussi, mais je n’ai pas tenu. Je pense ne pas être la seule athlète à faire le constat que c’est très dur à réussir à tenir cela au quotidien. Même si les coachs nous accompagnent et sont très dévoués, le groupe éclate une fois que le couperet des sélections tombe. Il y a les déçues, celles qui partent à l’international et qui n’osent pas appeler les autres. Quand tu es à la maison, comme moi, et que tu vois les autres performer, tu as une rancœur totalement incontrôlable.
- Vous avez donc mal vécu de voir vos coéquipières et amies performer au niveau international…
Il y a un moment où je ne pouvais plus regarder les courses. J’auras préféré que ce soit moi, mais c’est le jeu du haut niveau et elles le méritent toutes. Après, je suis contente pour elles et cela me permet de me dire qu’il faut que je continue le biathlon ! Par exemple, Océane [Michelon] n’était pas sélectionnée l’année dernière aux Mondiaux juniors où j’étais et elle réalise des prouesses cet hiver. On sait très bien que ça peut aller très vite. Maintenant, après la fin de saison nationale, j’ai vraiment hâte de tourner la page de cet hiver en retournant étudier à Grenoble pour y finir ma licence de biologie.
- Couper, est-ce de cela dont vous avez besoin pour vous retrouver ?
Oui ! Mon problème, aussi, c’est que j’habite à La Féclaz juste à coté du stade… Je me suis forcément beaucoup entraînée et je pense qu’il va falloir sortir de ce cadre. Mine de rien, là où j’habite, on fait du biathlon et rien d’autre [rires] ! C’est pour cela que, cet été, je partirai plus en vacances, je ferai plus de choses autour du biathlon. Je suis quelqu’un qui a besoin de faire beaucoup de choses à la fois, de m’occuper l’esprit. Mon échec de l’hiver est principalement dû au fait que j’ai trop pensé biathlon et je n’ai pas vu ma santé mentale se détériorer.
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