Biathlon : Chloé Chevalier est l’invitée de Nordic Magazine
La biathlète iséroise Chloé Chevalier, 29 ans depuis quelques jours, se confie rarement dans les médias. Peu à l’aise dans l’exercice, la native de Saint-Martin-d’Hères (Isère), après de nombreux refus polis, a finalement accepté de donner une interview à Nordic Magazine ce lundi 4 novembre en fin de journée.
A la veille de rejoindre le stage de l’équipe de France B de biathlon sur la neige du snowfarming de Bessans (Savoie), Chloé Chevalier s’est longuement confiée sur son dernier hiver très difficile, qu’elle qualifie de « pourri », ses doutes printaniers et estivaux quant à la suite à donner à sa carrière et au second souffle retrouvé ces derniers mois. Entretien avec la championne de France en titre du sprint.
- Pour commencer, vous vous faites rare dans les médias, donnant très peu d’interviews : pourquoi ce choix ?
Je ne suis pas du tout quelqu’un qui aime la médiatisation, le devant de la scène. J’adore le sport, les à-côtés sont obligatoires et très bien pour notre discipline, mais ce n’est pas mon truc à moi. Je pense que j’ai besoin d’être une femme plus qu’une athlète. C’est propre à moi donc c’est pour cela que j’évite les interviews et les prises de parole quand je le peux. C’est contre personne.
- Passons donc au purement sportif : pouvez-vous revenir sur votre hiver 2023/2024 très difficile ?
Fin octobre, au moment du Summer Tour d’Arçon, je ne me sentais vraiment pas bien. Je n’avais pas envie d’être là. Cela a été un peu compliqué, mais je me suis dit que j’étais fatiguée et qu’il y avait du stress à l’approche de la saison. Je pensais que ça allait aller. Il y a ensuite eu le stade à Bessans [de reprise sur neige], mais je sentais que je n’étais pas en forme, mais sens trop d’explications précises. On part en coupe du monde et je tombe malade dès le premier jour passé à Östersund. Je n’étais vraiment pas bien, mais je prends le départ des compétitions dans un état second. Cela commence à aller mieux puis je retombe malade, avec beaucoup de toux. Il se trouve que c’est la Covid-19 ! Le train de la coupe du monde continue, je vais à Hochfilzen, toujours malade. On essaye de faire des impasses pour ça aille mieux, mais je n’arrive pas à récupérer. Moralement, c’est très compliqué parce que la préparation s’est très bien passée et je vis un calvaire depuis un mois… Psychologiquement, c’est très dur.
- Après ce mois de décembre manqué, vous êtes reléguée en IBU Cup…
Mes résultats étaient mauvais et, en dessous, il y avait des très bons résultats [réalisés par Jeanne Richard et Océane Michelon, NDLR] donc on me dit que je vais en IBU Cup. A ce moment-là, c’est logique, il n’y a pas de problème, je connais les règles. Par contre, en moi-même, je me dis : est-ce que j’ai envie de continuer les compétitions ?
- Début janvier, vous allez en IBU Cup en Italie puis vous annoncez sur vos réseaux sociaux vouloir vous éloigner « quelques temps » du biathlon : que s’est-il passé ?
C’est Noël, je m’entraine de nouveau, je fais du ski, je vois du monde et je me dis qu’il n’y a pas de raison, que je ne suis plus malade et que ça va aller. Puis je vais en IBU Cup et ça ne va vraiment pas. Je décide avec les entraîneurs de rentrer à la maison et je dis à tout le monde que j’ai besoin d’un temps pour moi parce que je n’arrive pas à reprendre le dessus physiquement et psychologiquement. J’avais besoin de m’éloigner du biathlon. C’est à ce moment-là que je fais ma petite annonce sur les réseaux sociaux.
- A cet époque, saviez-vous qu’il s’agissait d’une mononucléose dont vous souffriez ?
Non. C’est quand je stoppe ma saison qu’on décide, en parallèle, de faire des analyses médicales pour voir s’il n’y a pas quelque chose qui cloche. Il s’avère que j’ai une infection. J’ai vulgarisé cela comme une mononucléose, mais ce n’était pas exactement cela. C’est quelque chose qui s’en rapprochait. Quand on a remonté les sensations et les HRV, on a estimé qu’elle était là depuis un petit moment, octobre/novembre pour être un peu plus précise. Cela me soulageait un peu de savoir pourquoi ça n’allait pas. Petit à petit, prendre du temps pour moi me faisait du bien et je trouvais dommage de rester sur une fin de saison comme ça…
- Vous n’en restez donc pas là et allez à Obertilliach (Autriche) pour les deux dernières semaines d’IBU Cup…
Je décide effectivement d’aller en IBU Cup, pensant que ça va me faire du bien. Pour être honnête, j’y suis allée un peu en touriste parce que je ne m’étais pas trop entraînée quand j’étais chez moi. J’ai enchaîné les maladies, j’étais tout le temps fatiguée, je faisais juste du ski pour moi. Ce n’était pas une période très agréable : mon retour en IBU Cup ne se passe pas trop mal sur les résultats [elle signe un podium en relais et en individuel NDLR], mais ce sont des courses assez dures où je prends peu de plaisir parce que je ne suis pas en forme.
- Que se passe-t-il pour vous après la fin de la saison ?
Je me demandais quoi faire… C’est clairement un hiver pourri qui se terminait. Ce n’est pas la première fois que je me pose des questions sur la suite de ma carrière et je me demande si ce n’est pas le moment de s’arrêter. S’en suit une longue période de doutes avec beaucoup de choses dans ma vie personnelles [dont elle ne souhaite pas en révéler le contenu, NDLR] qui ont fait que c’était très compliqué. Je suis arrivée en mai, juin à me dire que j’étais incapable de faire du biathlon. Je n’étais pas en état, je n’avais plus envie.
- Parvenez-vous à retrouver le chemin de l’entraînement ?
Les coachs du groupe B [Julien Robert et Baptiste Desthieux, NDLR] ont été très soutenants et bienveillants avec moi. Ils me disent de venir au deuxième stage, prévu en juin, en disant que ça pourrait me redonner l’envie. En réalité, pas tellement ! A ce moment-là, je fais du sport, mais je ne vois pas ça comme de l’entraînement, mais comme une passion que je pratique. En rigolant, je dis aux coachs que je ne sais pas si on se reverra au stage de juillet, mais, qu’à mon avis, ce sera non ! Je voulais me laisser du temps…
- Finalement, vous allez à ce stage de juillet…
J’y suis allée un peu à reculons et, au final, j’ai vu que ce n’était pas si un calvaire que ça, que ça se passait bien ! Je me suis dit qu’il fallait que j’y aille, que je crois un peu plus en mon projet en me relaissant une chance de continuer. Si dans deux semaines, dans deux mois, dans trois mois, j’en ai marre, j’arrête. Mais, au moins, j’aurais tenté. Je suis partie dans cette optique-là et je suis toujours là [elle éclate de rire] !
- Savez-vous pourquoi vous êtes toujours, en ce début de mois de novembre, une biathlète professionnelle ?
Déjà, j’ai eu la chance de tomber sur un super groupe où ça se passe bien, où il y a une super ambiance et où j’ai trouvé des coachs très à l’écoute et soutenants. Peu à peu, je retrouvais des bonnes sensations et du plaisir à l’entraînement. Après une période difficile, les choses paraissent un peu plus légères. Je repartais tellement de loin que je me voyais progresser de semaine en semaine.
- Si on revient un petit peu en arrière, vous ne saviez pas si vous alliez continuer votre carrière lorsque vous êtes sélectionnée en équipe de France B en mai pour la saison d’entraînement. Aviez-vous tenu au courant le staff ?
C’était le flou dans ma tête. Peut-être que les membres du staff se doutaient qu’il y avait un risque que j’arrête, mais, moi, je n’en parlais pas. J’étais dans une période où ça n’allait pas et j’avais besoin d’être loin du monde du biathlon. C’est au moment du premier stage, fin mai, que je n’ai pas le choix de leur dire que je ne serai pas présente.
- Durant la préparation, à quel moment sentez-vous que la balance penche de nouveau dans le positif ?
Le déclic, il se fait lors du Summer Tour de Prémanon. La performance n’est pas bonne, je ne saurais pas dire mon résultat [dixième du sprint court, douzième de la poursuite, NDLR], mais cela faisait des années que je n’avais pas vécu une journée de compétition aussi bien. J’ai le sourire, je me dis que le biathlon est super [rires] ! C’est possible de faire une compétition en ayant le smile [le sourire, NDLR], en étant contente d’être là et j’avais perdu cela.
- Ce sourire, est-ce notamment grâce au groupe de l’équipe de France B que vous l’avez retrouvé ?
C’est plutôt un tout. C’est aussi le fait d’avoir pris du recul par rapport à moi, d’avoir regardé ma carrière. J’ai réalisé que j’étais souvent obnubilée par le résultat et que j’avais oublié de profiter de cette belle aventure. J’avais trop cloisonné entre la Chloé dans la vie et la Chloé dans le biathlon. Je m’étais un peu perdue, je pense.
- Vous disiez précédemment que ce n’était pas la première fois que vous vous posiez des questions sur la suite à donner à votre carrière. En 2022, déjà, vous expliquiez effectivement dans nos colonnes avoir hésité à continuer. Cette perpétuelle remise en question est-elle, finalement, votre moteur ?
Je me pose ces questions-là parce qu’elles me viennent en tête. En 2022, j’étais repartie, mais pas avec la bonne motivation. C’était beaucoup lié aux résultats dans le sens où si j’arrêtais à cette époque-là, je n’avais encore rien de ce que j’aurais aimé. Du coup, ça ne l’a pas fait [rires] et ça a tenu seulement un an. J’ai oublié de profiter et de vivre ma carrière avec des grands yeux d’enfant. De base, c’était ça. Je faisais du biathlon parce que je trouvais ça génial ! Je m’en fichais de si j’allais devenir la meilleure ou la plus médaillée. C’était juste trop cool et j’ai voulu retrouver ça.
- Pour résumer grossièrement, vous vous preniez trop la tête…
Oui, oui, beaucoup trop ! Je cloisonnais trop. Je suis quelqu’un qui adore rire, qui a beaucoup d’énergie. Dès que je rentrais dans la sphère biathlon, je prenais tout très au sérieux, j’avais l’impression qu’il fallait tout le temps être bonne élève et j’oubliais de rire et de m’amuser. Le biathlon, c’était un truc hyper sérieux.
- Fany Bertrand, votre coéquipière de l’équipe de France B, expliquait dans nos colonnes il y a quelques semaines que vous étiez devenue très amie alors que vous n’êtes pas de la même génération : pourquoi ?
On n’est pas du tout de la même génération, même ! Je me disais que j’étais plus vieille qu’elles et je ne savais pas comment ça allait se passer, en espérant que ça allait matcher… Je pense qu’elles aussi avaient un peu peur d’être rejointes par des filles plus âgées. Ce n’est pas pour me jeter des fleurs, mais je suis très « à la cool ». A partir du moment où on brise la glace avec moi, il n’y a pas de problème ! Avec Fany [Bertrand], on s’est très vite trouvées parce qu’on est sur la même longueur d’onde sur plein de choses. Elle adore rire et j’étais trop contente de la trouver ! C’est une boule d’énergie positive.
- Si on se projette sur l’hiver qui arrive, à partir de quel moment sera-t-il une réussite ?
J’ai envie de retrouver le wagon de la coupe du monde. On a une densité qui est très grosse chez les filles. Il y a fort à faire, mais ça reste l’objectif principal. Si je vais en coupe du monde, c’est aussi pour jouer devant. Au-delà de cela, un hiver réussi serait surtout d’arriver à franchir la ligne de départ et d’arrivée avec le sourire à chaque course. Je sais que je peux être performante quand je suis heureuse d’être là. Si c’est le cas à la fin de l’hiver, ce sera une belle réussite.
- Vous êtes dans quel état d’esprit à quelques semaines du lancement de la saison ?
Sur les sélections Bessans, il n’y aura pas d’enjeux pour moi [elle est préqualifiée pour l’IBU Cup d’Idre Fjäll, NDLR], mais j’ai envie de prendre des repères en faisant le boulot. Je suis impatiente de remettre les skis, j’ai hâte ! J’ai aussi hâte d’être à l’hiver parce que j’ai envie de m’amuser. La préparation a été très différente de celle que j’ai pu faire par le passé parce qu’elle n’a recommencé que fin juillet. Pour autant, je me sens prête et j’ai envie. On ne sait rien de ce qu’il se passera, mais le chemin parcouru est chouette.
- Dans ce voyage, il y a eu votre titre de championne de France du sprint gagné lors du Summer Tour d’Arçon (Doubs) en octobre : en quoi a-t-il été important ?
Je ne vais pas mentir, c’était une surprise pour moi ! Je ne savais vraiment pas où j’en étais. Je sais que j’ai fait du bon travail, mais je sais d’où je reviens. Savoir que j’ai été capable de regagner, c’était cool ! Oui, ça reste un Summer Tour, c’est du ski-roues, c’est le mois d’octobre, mais c’était la cerise sur le gâteau après avoir fait une bonne course.
- Les Jeux olympiques 2026 de Milan/Cortina sont-ils dans votre viseur ?
C’est difficile de répondre… [Elle réfléchit longtemps] Forcément, c’est dans un coin de ma tête. Pour 2030, en revanche, c’est sûr que c’est non. Je sais que je suis sur les dernières années de ma carrière, il n’y a pas de problème là-dessus. Je regarderai ça avec beaucoup d’intérêt, mais depuis mon canapé !
- Enfin, voir une équipe de France féminine de biathlon aussi dense et performante dans sa globalité doit forcément vous faire plaisir…
Je trouve ça génial ! On le mérite. Je dis « on » dans un sens très large parce qu’il y a beaucoup de travail qui est fait depuis les clubs jusqu’aux comités et à la Fédération. C’est vrai que ça fait vraiment plaisir de voir qu’il y a beaucoup de filles à un tel niveau. C’est génial pour notre sport et donne une super image. Il y a plein de petites filles que ça fait rêver et je pense que ça va faire une énorme vague ! Le biathlon féminin a de vraies belles années devant lui.
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RICHARD BIANCONI
05/11/2024 à 18 h 37 min
Je crois que c’est la dernière saison de Chloé, car à part d’aller à Oslo en fin de saison, je ne crois pas qu’elle prendra une place en coupe du monde, déja au Grand Bornand, il y aura une fille en moins ; alors je vois son objectif aux championnat d’Europe. Quant’à l’IBU Cup, succéder à Jeanmonnot et Michelon doit etre son objectif ; je pense qu’une autre française devrait l’emporter…
Sylvain
07/11/2024 à 8 h 01 min
Jadmire le courage et la résilience de Chloé. Oui le principal est de toujours prendre plaisir dans la pratique de ce sport ô combien exigeant. Un covid+ mononucléose ça fait beaucoup ! Laisser à son corps le temps de récupérer et soigner son mental doit être la priorité. C’est le choix qu’elle a fait et c’est le bon ! Je suis sûre qu’à présent elle va retourner sur le circuit avec plaisir et légèreté. Que ce soit IBUCUP ou coupe du monde nous suivrons avec plaisir sa renaissance ! Bravo pour sa sagesse, sa remise en question et sa décision de reprendre sa vie de biathlète là où elle l’avait laissée.