BIATHLON – N’avez-vous jamais vu ces hommes en bleu sur les bords de piste ? Max Saenger, délégué technique à l’IBU, nous explique son travail d’homme de l’ombre. Son obsession : que tous les athlètes bénéficient des mêmes conditions.
Avant de travailler pour l’IBU, Max Saenger a été biathlète ayant concouru sous la double nationalité. Jusqu’en 1993 il a couru pour les Etats-Unis, puis pour la Suisse, notamment en coupe du monde de 1996 à 1999. A l’issue de sa carrière, il s’est rapidement tourné du côté de l’organisation.
- Depuis quand travaillez-vous à l’IBU ?
Dans un premier temps j’ai géré des compétitions. J’ai commencé aux Jeux olympiques de Salt Lake City (USA) en 2002, en tant que vice-chef de piste ; puis j’ai été sport manager en 2004 sur l’étape de coupe du monde de Fort Kent (USA), en 2006 lors des championnats du monde juniors à Presque Isle (USA) et enfin aux Jeux olympiques de 2010 à Vancouver (CAN).
Chef de compétition, chef de piste, chef de stade, chef timing… J’ai connu presque tout les postes, ce qui est un avantage car je sais ce qu’il doit se passer à différents niveaux de l’organisation.
Je suis désormais arbitre de piste semi permanent depuis 2015. Avant il y avait un arbitre de piste différent sur chaque étape. Mais pour être plus efficace et plus régulier sur la piste, nous avons introduit cette idée que deux personnes se partagent toute la saison (ndlr : le deuxième arbitre de piste est Radovan Šimocko). C’est une très bonne chose, car cela a a tout de suite augmenté le niveau et les bonnes idées se conservent d’une étape à l’autre.
- En quoi consiste exactement votre travail ?
Après des années j’ai acquis une certaine expérience, j’essaie de prévoir ce qu’il va se passer. Je passe beaucoup de temps à travailler avec la neige, les conditions, les machines, les athlètes. Je dois prévoir comment tout cela va évoluer. Anticiper tout ce que l’on doit faire pour ne pas être dans des conditions difficiles pendant la course, éviter les pièges qui viennent de la nature, de la neige.
Il s’agit surtout d’être capable de prévoir ce qu’il va se passer car la neige est toujours vivante. Les conditions changent chaque minute. La plupart du temps on arrive à savoir quel temps il fera, mais des fois le temps tourne.

Max Saenger (IBU) – Julie Le Bobinnec
De plus, on essaie et on arrive à avoir des conditions égales pour tous les concurrents, du premier au dernier. C’est surtout important sur les sprints et les individuels. Les points les plus importants à traiter sont d’abord la sécurité, puis l’égalité et enfin seulement faire en sorte que la piste soit bonne à skier. Si les conditions sont compliquées, que la neige est dure à skier, c’est difficile mais c’est difficile pour tout le monde.
Il faut que chaque athlète ait la possibilité d’arriver sur le podium, quel que soit son numéro de dossard. On passe 90 % du temps à travailler sur cette notion d’égalité. C’est ça qui a beaucoup changé ces dernières années.
- Y a-t-il une journée type dans votre travail ?
On arrive au stade le matin, par exemple là à Östersund nous y sommes vers 8 heures, environ sept heures avant la course. Lorsque la course est programmée tôt le matin, c’est plus compliqué à gérer, surtout s’il y a eu des changements pendant la nuit.
En arrivant, on regarde tout de suite les conditions pour voir s’il y a quelque chose d’anormal qui s’est passé pendant la nuit. Ensuite, on s’occupe de l’entraînement, on vérifie l’état des pistes avant l’ouverture pour les athlètes. Aujourd’hui par exemple (ndlr : mercredi 13 mars), nous avons décidé de fermer des portions afin de travailler avec le chasse-neige, car depuis tôt ce matin la neige ne cesse de tomber.
Plus on approche de la compétition, plus je passe du temps sur la piste, pas seulement à pied mais surtout à ski pour voir comment la neige se transforme avec le passage des athlètes et des techniciens. C’est sûr qu’avec le trafic, 300 personnes qui tournent, cela change la piste.

Max Saenger (IBU) – Julie Le Bobinnec
Tout de suite après la course, nous avons une réunion pour savoir si tout s’est bien passé, ce qu’il faut prévoir pour le lendemain, quelle préparation va être faite pendant la nuit en fonction des conditions météorologiques annoncées… On prépare le plan, et c’est l’organisation qui met en route les machines. Je ne prends pas les décisions seul mais avec le chef de course (qui est propre à chaque site), on prend les décisions ensemble, tous les deux.
C’est le chef de course et son équipe qui mettent le plan en action, moi je suis là pour m’assurer que tout se passe bien et pour tout coordonner. Il y a différents plans selon les possibilités qu’offrent les sites c’est-à-dire le nombre de main d’oeuvre, les machines à dispositions (qui ne sont pas les mêmes selon les sites).
«Moi je ne suis qu’une aide à l’organisation, je vérifie que tout se passe bien»
Les organisateurs de chaque site connaissent chacun leur neige, leurs machines, les conditions … C’est important lorsqu’on a besoin de trouver des solutions. Moi je ne suis qu’une aide à l’organisation, je vérifie que tout se passe bien. Je fais notamment le lien avec les équipes pour les tenir au courant de qui a été décidé en fonction des conditions météos.
S’il y a un problème ou quelque chose qui change je suis toujours disponible, on m’appelle quelque soit l’heure et j’arrive pour appliquer un plan B, C, D… Par exemple, l’année dernière au Grand-Bornand ,je suis sorti faire un tour de la piste à minuit, puis à 4 heures et à 7 heures j’étais de retour sur la piste pour la journée.
- En quoi consiste votre travail pendant l’été ?
J’aide des organisations (par exemple Pyeongchang ou Beijing) à dessiner des pistes ou encore à construire des stades qui fonctionnent bien, sur le modèle d’autres déjà existants. Lorsque je travaille, c’est vraiment à fond (12 à 14 heures par jour), notamment lors des déplacements à l’étranger, le reste du temps c’est plus calme.
Je fais également beaucoup d’entraînements pour être capable de skier sur les pistes tout l’hiver, pour les tester dans des conditions physiques le plus proche possible de celle des athlètes. Pour être capable de suivre pendant deux/trois semaines en coupe du monde, c’est bien de faire un peu de sport ; à la fois pour le mental et pour le physique.
- Comment se prennent les décisions importantes au sein de l’IBU ? Qui y participent ?
C’est le jury qui s’occupe des décisions importantes. Si ça ne se passe pas comme prévu, si quelque chose doit changer, ça passe par le jury. Ce jury est composé du chef de compétition, du directeur technique, de l’arbitre de course (ou d’un autre fonctionnaire de l’IBU) et de deux chefs d’équipe. Un jury féminin et un jury masculin sont composés pour toute la durée de l’événement. Par ailleurs, il ne doit pas y avoir deux personnes du jury de la même nationalité.
- Quel sont les avantages/inconvénients d’un tel métier ?
Si j’ai voulu rester dans le domaine du biathlon, c’est parce que j’aime bien être dehors : je peux aller skier tous les jours. Être sur la piste, c’est la meilleure des choses. La plupart du temps lorsque je teste les parcours ce sont les meilleures conditions au monde, c’est vraiment un plaisir incroyable de skier sur la piste lorsqu’elle est préparée à 150 %.
En revanche, le principal inconvénient est que nous ne sommes pas souvent à la maison. D’autant plus que j’habite à Vancouver et que les 9 heures de décalage horaire rendent la venue en Europe très difficile.
On crée également des liens avec les personnes avec qui on travaille, surtout lorsque les conditions sont difficiles. On travaille à fond ensemble et à la fin on est très bons amis. Je ne suis pas sûr que l’on retrouve cela dans d’autres sports ou autre métiers.
