BIATHLON – Championne du monde de biathlon, Sandrine Bailly livre son analyse à la veille de l’ouverture des championnats du monde de biathlon à Östersund.
De l’excitation et des doutes
- Sandrine Bailly, dans quel état d’excitation se trouvent les athlètes à J-1 du départ d’un grand événement comme les mondiaux de biathlon ?
C’est un mélange qui correspond à l’excitation d’un début de saison avec une remise à zéro des compteurs. Il y a eu une coupure de trois semaines après la coupe du monde de Soldier Hollow donc chacun a besoin de réponses et de repères sur son état de forme. On est un peu dans l’attente de la première course avec beaucoup d’envie et parfois de doute. Il faut savoir gérer cette excitation, canaliser sa fougue… Ça reste des courses où il faudra savoir élever son niveau et tout donner donc attention à garder la lucidité mais aussi une part de doute pour rester concentré sur sa stratégie de course.Tout en maîtrisant un maximum de paramètres avant le top départ.
- Parlez-nous des pièges du stade et de la piste d’Östersund ?
Concernant le stade, il est parfois venteux. Il y a un long plat derrière le stade et au bout de la piste où il faut garder du rythme et ne pas s’endormir. Le site n’est pas difficile quoique les virages en descente sont délicats et demanderont de la vigilance. Tout dépendra aussi des conditions de neige durant les courses. Basculer sur le stade en tête sera un atout.
La luminosité sera à prendre en compte car elle sera changeante vu les heures des courses : il faudra s’y adapter. Il y aura beaucoup de monde dans les tribunes mais pas grand monde le long de la piste au fond de la forêt, attention de tenir le bon tempo dès le départ. La faible altitude n’imposera pas non plus de gestion de l’effort comme ce fut le cas à Salt Lake…
On ne sait pas, et lui non plus, où en est Martin Fourcade
- Le relais mixte a souri aux Français cette saison où ils restent d’ailleurs sur une victoire à Salt Lake après avoir remporté l’ouverture à Pokljuka. D’accord avec la composition retenue par le staff tricolore ?
Pour moi, l’interrogation concernait Martin Fourcade. On ne sait pas, et lui non plus, où il en est. ça paraissait compliqué de mettre de côté Quentin Fillon-Maillet… Mais en fait, le staff avait annoncé ce choix très tôt aux athlètes et tout s’est fait dans la transparence et la clarté.
Maintenant, c’est important que Martin prenne des repères sur une course de ce genre, en équipe. Il devra montrer qu’il est de retour. C’est une bonne opportunité pour lui de démarrer ses mondiaux sur le relais mixte. Il sera aussi aidé par son groupe.
L’équipe de France hommes n’a jamais été aussi dense avec les premières victoires de Quentin Fillon-Maillet, les podiums de Simon Desthieux, actuel numéro 3 mondial… Faut-il déjà y voir l’héritage de Martin Fourcade ?
Je ne sais pas si c’est son héritage car ils se sont construits avec lui, en parallèle. Ce sont des athlètes qui ont grandi dans son sillage. Le mot héritage suppose de venir après… Ce n’est pas le cas pour les athlètes du groupe A, ce le sera pour les plus jeunes. Les gars ont évolué plus lentement que Martin – qui a eu très vite des qualités énormes – mais ont fini par prouver leurs capacités.
- Y a-t-il eu un effet « désinhibant » pour les Français de voir Martin Fourcade moins dominateur cette saison que ces dernières années ?
Peut-être oui. Quand quelqu’un domine autant, attire la lumière, fait le parapluie pour tous les autres et que d’un coup, il est moins bien, les autres prennent leur place. Naturellement. Comme Martin cartonnait tout le temps, les autres coureurs étaient moins dans l’attente du résultat, ce qui n’est plus le cas désormais. Ils doivent désormais prendre leurs responsabilités, assumer leur niveau… En sachant que de briller individuelle leur a permis de casser un plafond de verre psychologique.
Chez les dames, la course aux médailles est très ouverte
- Pour les Françaises, c’est plus irrégulier malgré quelques très belles courses durant cet hiver. Que faut-il en attendre ?
Elles sont de parfaites outsiders pour moi. Toutes sont capables de claquer la performance inattendue et de prendre la médaille. Même Célia Aymonier le jour où elle claquera un 10.
Elles arrivent sans attente individuelle sur ces mondiaux : pour moi, c’est le point d’interrogation pour toutes, y compris leurs adversaires. A mon avis, elles ont emmagasiné de la frustration au long de cet hiver, en particulier Justine Braisaz ou Anaïs Bescond, et ellles auront à coeur d’aligner les points positifs en sortant une course pleine au meilleur moment. La vie de groupe se passe bien, les relais aussi, mais individuellement, elles doivent encore transformer cet élan en performances.
- Qui seront les plus sérieux rivaux des tricolores dans la course aux médailles. On pense bien sûr à Johannes Boe, Dorothea Wierer et Lisa Vittozzi, mais voyez-vous d’autres outsiders sur ces mondiaux ?
Chez les dames, Marte Olsbu Roiseland est très forte, Denise Herrmann peut sortir la grosse course sur un sprint, Hanna Oeberg, les Polonaises Zuk et Hojnicz, Kaisa Makaraïen ou encore Anastasiya Kuzmina et Laura Dahlmeier… Finalement, ce sera très ouvert chez les filles d’autant que la piste fait des écarts.
Chez les garçons, il faudra surveiller tous les Norvégiens dans le sillage de Johannes Boe, tellement dominateur cette saison ! A domicile, Sebastian Samuelsson sera présent. Et puis Alexander Loginov qui portera les espoirs des Russes…
- Johannes Boe reste sur des courses compliquées aux Etats-Unis. Sa confiance peut-elle être altérée après une passe délicate ?
Je trouve qu’il a déjà très rectifié le tir sur le relais mixte de clôture à Salt Lake en faisant un 10/10. Ce qui aurait été dur, ça aurait été de manquer ce relais dans la foulée du sprint et de la poursuite où il a pêché sur son debout. Donc, je sais qu’avec le discours positif d’un Siegfried Mazet, il est déjà passé à d’autres choses. Et sera au rendez-vous !
Photo : Nordic Focus photo agency / Nordic Magazine