BIATHLON – À deux jours de la première course masculine de l’étape d’Antholz (Italie), Siegfried Mazet, le coach français du tir norvégien, se confie à Nordic Magazine. L’ultra-domination norvégienne, la rivalité naissante entre Johannes Thingnes Boe et Sturla Holm Lægreid ou les absences de ses biathlètes devant les cibles : l’ancien mentor de Martin Fourcade répond à tout.
Ce lundi, l’équipe nationale de Norvège a débarqué à Antholz (Italie), où la coupe du monde de biathlon fait escale cette semaine à un mois des championnats du monde de Pokljuka (Slovénie). Siegfried Mazet, le coach français du tir, s’est livré à Nordic Magazine après avoir reconnu le stade transalpin.
Au programme ? La domination de ses biathlètes, la gestion de la rivalité entre Johannes Thingnes Boe et Sturla Holm Lægreid ou les manqués de ses hommes lors de la poursuite d’Oberhof (Allemagne). Entretien.
- L’équipe de Norvège a remporté dix des treize premières courses de l’hiver sur la coupe du monde de biathlon : c’est un début de saison rêvé pour vous…
C’est effectivement très bien [rires] ! Mais ce qui est génial, c’est que quatre athlètes différents ont gagné. Cela montre qu’on ne compte pas que sur un seul athlète, Johannes Thingnes Boe en l’occurrence. Il y a aussi la surprise Sturla Lægreid, la concrétisation Johannes Dale et Tarjei Boe qui gagne deux fois alors que ça faisait longtemps qu’il n’était plus monté sur la plus haute marche.
Derrière Johannes, les autres prennent des responsabilités, progressent. C’est un peu plus compliqué pour des athlètes comme Vetle Christiansen et Erlend Bjoentegaard qui doivent davantage élever leur niveau pour briller dans l’optique des championnats du monde.
- Justement, comment allez-vous opérer les sélections pour les courses aux Mondiaux de Pokljuka ?
On va regarder ce qu’il se passe cette semaine mais, à l’heure où je vous parle, avant Antholz, on prendrait les quatre premiers du général parce qu’ils sont devant. Après, si en Italie, la forme baisse pour un des quatre, on avisera.
Sturla, par exemple, n’a jamais fait de saison complète, on ne sait pas comment il va réagir. Il n’a pas fait le relais la semaine dernière parce qu’on voulait le préserver. S’il a fait vingt courses dans une même saison dans sa carrière, c’est le maximum ! On essaye aussi de garder Vetle sous pression parce qu’à tout moment il peut prendre une des places des quatre mecs de tête.
« Quand Martin Fourcade gagne tout pendant huit ans, ça ne pose pas de problème ; quand c’est la Norvège, c’est le cas… »
- Alors que votre équipe est actuellement sur un nuage avec des victoires et des podiums à la pelle, est-ce facile de prendre du recul, de se remettre en question ?
En biathlon, la remise en question arrive très vite. On est vite rappelé à l’ordre si on baisse la garde… À un moment donné, on le sait, ça va bien moins se passer pour nous. Le biathlon est fait de hauts, comme en ce moment où on est très haut, et de bas. Il va falloir anticiper ces moments-là. C’est le rôle du staff de recadrer les troupes. Si on prend la poursuite d’Oberhof où Tarjei en loupe trois au dernier tir, Dale deux et Sturla une mais montent finalement sur la boîte, c’est un podium qui n’était pas chanceux mais presque.
Normalement, avec de tels tirs, on sort des trois. Comme ça a déjoué derrière alors qu’il n’y avait pas vent, ils y sont restés. Mon travail, à ce moment-là, a été de les mettre en garde parce que la manière n’y était pas. C’est important de jouer ce rôle pour ne pas se prendre un retour de bâton parce qu’on se serait vu trop beau.
- Certaines voix s’élève pour dire que cette domination n’est pas une bonne chose pour le biathlon : qu’en pensez-vous ?
Martin a tout gagné en long, en large, en travers pendant huit ans et ça ne posait pas de problème. Quand c’est la Norvège, c’est le cas. Je ne sais pas pourquoi. Quand on n’est pas Norvégiens, ça pose forcément un problème. C’est normal, c’est dans tous les sports comme ça. Je n’y prête pas attention parce que je pense que ce n’est pas le cas.
« Je ne vais pas empêcher Sturla de penser au maillot jaune mais je ne veux qu’il y pense trop »
- Pour le gros globe de cristal, un duel entre Johannes Thingnes Boe et Sturla Holm Lægreid semble se dessiner : comment se passe la vie de groupe avec le gros globe de cristal planant dans les esprits de chacun ?
Ils le vivent très bien parce que c’est très clair que, pour le moment, Johannes est le maillot jaune avec Sturla comme dauphin. On en a parlé avec Sturla, je ne vais pas l’empêcher d’y penser mais je ne veux pas qu’il y pense de trop.
Pour l’instant, le mec qui a l’expérience, dont on sait qu’il est capable de tenir la saison entière, c’est Johannes. Si jamais il se passait quelque chose pour lui, une maladie ou une blessure, on a un Norvégien juste après, c’est super ! Pour l’instant, Sturla est focalisé sur le maillot bleu [des moins de 25 ans, ndlr.] et continue d’apprendre en restant focus sur ce qu’il a à faire pour y parvenir.
- Johannes Thingnes Boe, par le passé, s’est toujours battu contre Martin Fourcade. Aujourd’hui, il doit faire face à un biathlète de sa propre équipe : cela le perturbe-t-il ?
Il faut se rappeler que le biathlon est avant tout un sport individuel. Que le deuxième soit Norvégien ou étranger, il faut quand même qu’il se batte pour gagner. C’est tant mieux parce que ça l’oblige à être bon. Comme tout être humain, il a des faiblesses et craque de temps en temps sur un tir pour terminer septième. Parfois, les Norvégiens ouvrent des portes mais elles ne sont pas toujours saisies par nos concurrents…
- Comme lors de la poursuite d’Oberhof quand vos quatre biathlètes se sont tous manqués au tir à un moment de la course…
Quand on arrive pour jouer une victoire, ça veut dire qu’on devient défensif sur le tir. On défend la victoire et on surjoue. Ce qui nous moins bien faire les choses. C’est arrivée à Dorothea Wierer dimanche dernier, mais ça arrive plein de fois ! Il faut réussir à le surmonter, ce que Tarjei a très bien fait, à la différence de cette poursuite, lors de la mass-start d’Oberhof. Il faut se remettre en question, même à son âge et avec son expérience.
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Photos : Nordic Focus.