Biathlon : Siegfried Mazet fait le bilan de la saison des Norvégiens
Rentré en France ce lundi, Siegfried Mazet, le coach du tir norvégien qui a très récemment prolongé son contrat jusqu’en 2026, n’assistera pas, ce week-end, aux championnats nationaux de Vik i Sogn (Norvège).
Juste avant une réunion décisive pour la formation des groupes de l’équipe nationale pour la saison prochaine, le Drômois a pris le temps de répondre aux questions de Nordic Magazine sur l’exercice 2021/2022, qui s’est terminé dimanche à Oslo-Holmenkollen (Norvège). Entretien.
- Comment s’est passée la saison de l’équipe norvégienne masculine de biathlon marquée par les Jeux olympiques de Pékin 2022 ?
C’était bien sûr l’objectif principal, mais comme pour tous les biathlètes du monde entier. On a fait un choix de zapper Ruhpolding en janvier pour aller en altitude où on a fait beaucoup de jours cette année. Je pense qu’on l’a un petit peu payé en début de saison où on n’était pas dans le rythme des compétitions comme on avait pu l’être par le passé. Cela a pris un petit peu de temps avant que la machine ne se mette en marche. C’est là où il a fallu garder son sang-froid parce qu’on sait ce qu’on fait, mais on ne sait pas si cela va fonctionner. Quand on voit que cela ne marche pas, on peut vite douter et tout remettre en question.
- Ce que vous n’avez pas fait…
On a effectivement gardé le cap et je pense que c’est sur cela, au-delà des résultats, que je suis le plus content. Cette façon dont on a fait nos choix, dont on les a poursuivi malgré des résultats décevants, notamment de nos super cadres Sturla [Holm Lægreid] et Johannes [Thingnes Boe]. On a décidé de suivre le plan pour arriver aux Jeux avec le nombre nécessaire de jours passés en altitude, le nombre de séances réalisées, etc. Nos résultats nous ont donné raison dans la stratégie.
- Par rapport au classement général, l’avez-vous lâché dès le lancement de l’hiver ou ce sont les circonstances qui ont fait que vous ne le jouiez plus ?
Quand on fait le choix de zapper un week-end, on se prive potentiellement de 120 points, ce qui représente plus de 10% du total final au général ! Donc cela ne peut plus être un objectif. Cela l’aurait été si on avait fait un meilleur début de saison et si Quentin [Fillon-Maillet], pour une raison ou une autre, avait manqué un week-end de compétition. Mais cela n’enlève rien à sa performance puisqu’il a quasiment atteint les 1 000 points en année olympique, ce qui est énorme. Sa performance, malgré le fait que les Norvégiens n’ont pas été dans le match, est là et bien là.
- Sur les Jeux olympiques, Johannes Thingnes Boe remporte quatre titres, deux en individuels et deux en relais : dans quel état était-il avant le lancement de la quinzaine ?
On aurait pu avoir des doutes s’il n’avait pas performé à Antholz. C’était important d’y être performance parce que c’était comme marquer un but juste avant la mi-temps dans un match de football. C’était important parce qu’il n’avait pas performé à Oberhof avant le stage italien. S’il n’avait pas réalisé de bonnes courses, cela aurait été compliqué d’arriver en Chine avec de grosses ambitions et en pleine confiance. On aurait été sur la défensive. Les courses d’Antholz ont été assez déterminantes pour la suite.
- Johannes Thingnes Boe est-il quelqu’un qui doute ?
Il a cette capacité à se débarrasser rapidement de ce qui n’a pas été bon. Il n’a jamais de doutes et, chaque course qu’il va faire, même s’il n’a pas performé avant, il ne sera pas affecté. Il zappe vite et sait qu’il est capable de faire de super courses à tout moment, même en ayant fait un mauvais mois avant. Après, pour le staff et tout le monde derrière lui, c’est mieux d’avoir de bonnes performances et des indicateurs au vert avant les Jeux. Cela donne confiance.
- Pourquoi a-t-il décidé de mettre fin à sa saison au retour des Jeux ?
Juste après les Jeux, quand la guerre a éclaté en Ukraine, il nous a sollicité pour savoir ce qu’on allait faire sur la coupe du monde. Ensuite, deux jours avant de partir, il nous annonce qu’il se stoppe pour se préserver lui et sa famille. Cette dernière a beaucoup souffert de son absence, a énormément sacrifié sur décembre et janvier puis aux Jeux. Il avait atteint ses objectifs et, même s’il était motivé pour venir, il a fait ce choix familial compréhensible puisqu’il n’avait plus rien à jouer.
- Cet hiver, son grand frère Tarjei Boe a réalisé une très belle saison avec, notamment, ses premières médailles individuelles olympiques. Au printemps dernier, vous nous disiez que plus les années passaient et mieux il allait, ce qui semble se confirmer…
Exactement ! Jusqu’à la poursuite des Jeux, il était en forme et, après, il fait un relais et une mass-start moyenne. Ensuite, il tombe malade et réalise une fin de saison mauvaise à cause de la fatigue. Il a beaucoup donné après avoir fait un début de saison très bon, dans la régularité. Après, sa méforme de fin d’hiver s’explique par sa chute aux Jeux.
- Celle de la veille du relais mixte ?
Oui, il a eu un gros crash à l’entraînement et des gens l’ont vu mort… C’était tellement violent. Son technicien, qui était juste à côté, a eu la trouille de sa vie et en a pleuré. C’était un très gros crash. Il a été sonné cinq minute puis a été pris en charge par les docteurs. Avec l’adrénaline, il a pu passer le relais mixte, l’individuel, le sprint et la poursuite correctement et, ensuite, il a eu un après-coup. Il avait encore mal au cou et au dos au départ des Jeux. Pour moi, c’est un des éléments expliquant sa fin de saison.
- Vetle Sjaastad Christiansen, lui, a montré de magnifiques choses tout au long de l’hiver, ce que vous attendiez depuis très longtemps…
C’était un peu le super champion de l’entraînement où il faisait des trucs impressionnants et d’une qualité que j’ai rarement vu chez des biathlètes. C’était le meilleur tireur du monde, mais sur le papier. En compétition, il n’avait jamais concrétisé. C’était une grande frustration pour moi, mais surtout pour lui. En tant que coach, mon travail ne payait pas à cause de ce verrou, de cette façon de faire hivernale différente de celle de l’été. On a travaillé cela pour casser ce plafond de verre. Je suis content que cela paye et qu’il a trouvé cette liberté au tir. Maintenant, en compétition, il fait enfin ses tirs que je le vois faire depuis cinq ans pendant la préparation !
- Concernant Sturla Holm Lægreid, sa saison a été moins bonne que l’hiver passé, assez logiquement : comment jugez-vous ses performances ?
En tant que jeune athlète spontanément devenu un des meilleurs du monde, il a forcément eu à vivre des expériences nouvelles qui ont fait qu’il a du compromettre, régulièrement, des journées de récupération cet été. Bout à bout, cela l’a fatigué avec un début de saison décevant sur les skis. Il a essayé de compenser au tir, mais il s’est pris les pieds dans le tapis parce que, quand on veut faire encore mieux que mieux, cela ne marche pas. Il n’était pas en crise, mais c’était en dents de scie. Sur les Jeux, où seule la médaille comptait, il s’était concentré sur le résultat plus que sur la manière. Il est donc passé à travers sa quinzaine. Il lui a manqué ce petit grain de folie et a été sur la défensive. Il s’est cependant retrouvé sur la fin de saison, ce qui est une bonne indication pour l’hiver prochain. D’autant que, malgré tout, il termine deuxième au classement de la coupe du monde, come l’année dernière.
- Concernant son tir, il a connu de très gros ratés : comment s’expliquent-ils concrètement ?
Il a voulu trop en faire. L’année dernière, il avait ce côté naturel. C’est un expert du tir qui n’avait pas à se préoccuper de certaines choses. Cet hiver, pour une raison que je n’explique pas, il a voulu, dans sa façon d’être et de faire, se reconcentrer sur des choses qui étaient des automatismes. Changer ses automatismes implique une réaction en chaîne et il s’est un petit peu perdu.
- Sivert Guttorm Bakken, pour son premier hiver avec vous, a remporté la mass-start d’Oslo-Holmenkollen ainsi que le petit globe de la spécialité : cela vous-t-il surpris ?
Je me rappelle l’avoir vu en 2018 lors des championnats nationaux. Son entraîneur était malade et j’avais dû m’occuper de lui pour les essais de tir. Je me suis dis que ce gars-là serait vite en équipe nationale. Egil [Kristiansen] était d’accord avec moi parce qu’il a également de belles qualités sur la piste. Il l’a montré déjà l’année passée en étant régulier en IBU Cup et, là, quand on l’a intégré il était prêt à performer. Je suis content qu’il puisse gagner une coupe du monde !
- Filip Fjeld Andersen a également signé un bel hiver…
C’est le même profil, avec un gros potentiel. Physiquement, à mon avis, il est encore plus fort que Sivert, mais un petit peu plus en retard au tir. Cela n’empêche que les deux sont solides ! Puis on a aussi Johannes Dale dans le vivier, on ne l’oublie pas. Il n’est pas sur la touche, même s’il est passé à travers sa saison.
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