JO | Biathlon – Observateur privilégié du biathlon, le commentateur Thomas Bray estime que le cocktail entre les formats de course, le suspens et le champion Martin Fourcade est complet pour conforter l’audience de ce sport qui a explosé durant des Jeux. Son bilan des Jeux olympiques.
- Thomas Bray, les Jeux Olympiques viennent de s’achever avec un très bon bilan pour le biathlon tricolore, que retenez-vous de cette quinzaine ?
Bien évidemment la confirmation de Martin Fourcade qui rentre un peu plus dans la légende du sport français, et qui vient en plus de confirmer qu’il continuerait encore au moins deux saisons sur le circuit du biathlon mondial. Mais je retiens aussi la superbe performance d’Anaïs Bescond qui rentre avec trois médailles olympiques dont un titre.
Il ne faut pas négliger cette performance. A titre de comparaison Kaisa Makarainen, la leader de la coupe du monde, rentre bredouille à la maison !
La joie de Marie Dorin-Habert sur le podium du relais mixte restera, pour moi, l’une des images fortes de ces Jeux.
Côté féminin : Justine Braisaz et Anaïs Chevalier ont connu des Jeux difficiles à titre individuel, mais la réponse collective sur le relais féminin a été belle : c’est la marque d’une grande nation de ramener un titre et un podium sur trois possibles.
Pour les autres Français, Simon Desthieux avait plutôt bien lancé ses Jeux avec deux tops 15, il a été très solide sur le relais mixte : il est champion olympique, puis il y a eu « l’accident » du relais masculin…
Antonin Guigonnat n’a pas eu l’étincelle qu’il a eu en coupe du monde et Emilien Jacquelin a pris des repères pour 2022 ! Quant à Célia Aymonier, 48e de l’individuel, on peut imaginer qu’il n’est pas aisé de rentrer dans ces Jeux Olympiques en ne disputant qu’une seule course.
Une étonnante suède du biathlon
- Dans les autres nations, la Suède s’est aussi révélée au yeux du grand public ?
Oui, mais il ne faut pas oublier l’extraordinaire passé du biathlon suédois avec Magdalena Forsberg, Anna Carin Olofsson ou Helena Hekolm. C’est une équipe qui s’est reconstruite après quelques années dans l’ombre, grâce notamment à l’entraîneur Wolfgang Pichler.
Hanna Oeberg, double championne du monde junior, championne olympique de l’individuel, n’est ainsi pas sorti du Top 10 durant ces Jeux, et c’est la seule dans ce cas. La régularité qu’elle a montrée promet de belles choses pour les saisons à venir.
Et ils ont avec Sebastian Samuelsson quelqu’un capable de jouer les premiers rôles chez les hommes à seulement 20 ans. Ensuite l’Allemagne aura été très présente dans les premières courses (avec les trois titres de Laura Dahlmeier et Arnd Peiffer) avant de connaître une baisse de régime ensuite.
Et puis les habituées des podiums olympiques ont encore été présentes : Darya Domracheva, Anastasiya Kuzmina ou Emil Svendsen. La Norvège, avec six médailles, dresse un bilan un peu en trompe-l’œil avec un seul titre (ce qui n’était plus arrivé depuis Turin en 2006), mais Johannes T. Boe a décroché un titre olympique bien mérité au vu de son extraordinaire saison.
- Le biathlon a connu de nouveaux records d’audience durant ces JO, comment expliquer ce succès ?
Le biathlon a fait sa mue médiatique il y a quelques années en proposant des formats adaptés à la télévision : relativement court, à suspens, avec du rebondissement. En plus, on a un champion français, Martin Fourcade, qui gagne et qui est charismatique. C’est le cocktail parfait ! D’autant plus que sur ces Jeux, les horaires de diffusion du biathlon étaient adaptés au public européen, ce qui n’a pas été le cas des disciplines alpines ou à un degré moindre du ski de fond.
Dépendance à Martin Fourcade
- N’y a-t-il pas un risque de Martin Fourcade dépendance dans le biathlon français ?
Clairement oui, il ne faut pas se leurrer. La plupart des gens ont été attirés vers le biathlon grâce à lui. Près de trois quarts des sollicitations médiatiques sont pour lui et, en toute logique, les médias n’ont bien souvent d’yeux que pour lui. C’est évidemment un atout incroyable pour la discipline et par voie de conséquence pour l’ensemble du nordique français.
C’est aussi pour cela que les médailles de Maurice Manificat et Richard Jouve, ainsi que du relais des fondeurs sont très importantes. Cela dynamise l’ensemble de la filière et crédibilise le travail fait dans les groupes fédéraux, dans les comités, dans les clubs.
La Fédération Française de Ski va devoir faire face à un vrai dilemme
En même temps, concernant le biathlon, la Fédération française de ski va devoir faire face à un vrai dilemme : comment fidéliser des partenaires, des sponsors qui sont séduits par le spectacle proposé mais qui ont la possibilité de traiter directement avec les athlètes ou d’acheter des espaces publicitaires sur les chaînes L’Equipe, Eurosport ou sur Nordic Magazine ? Les retombées directes pour la fédération sont encore assez faibles de ce point de vue.
- Vous qui côtoyer la relève française du biathlon tout l’hiver sur les circuits nordiques, ce succès rejaillit-il sur les circuits nationaux ?
Pas directement, ou en tout cas pas encore. Hormis sur la très belle étape de coupe du monde d’Annecy-Le Grand Bornand, qui a été un véritable succès populaire, le biathlon en France ne déplace les foules. La seule grosse affluence l’hiver, ce sont les championnats de France de fin de saison, a fortiori sur les années olympiques (ils sont programmés dans le Jura du 30 mars au 1er avril) !
D’où l’importance de bien réussir ces rendez-vous non pas seulement sur le plan sportif mais aussi sur toute la mise en scène de ces événements (avec des commentateurs spécialisés, des cérémonies de podiums calibrées et des habillages musicaux travaillés). Avec peu de moyens, les circuits nationaux ont beaucoup travaillé pour dynamiser leurs épreuves, les rendre attractives.
Comme pour le ski de fond, la fédération a mis en place des coordinateurs de circuits (Christian Dumont et Christophe Vassalo pour le biathlon) qui connaissent parfaitement le job. Le fait d’avoir un commentateur permanent sur le circuit, de travailler sur les habillages musicaux et sonores des courses, de développer le chronométrage par transpondeurs pour avoir des temps intermédiaires, de tester de nouveaux formats comme le super-sprint : tout cela va dans le bon sens. Et l’avenir passera par l’utilisation des technologies de l’image : captations vidéos, écrans géants avec incrustation du chronométrage… Les circuits nordiques se doivent de prendre ce virage.
Les circuits nordiques se doivent de prendre ce virage technologiques de l’image.
- Est-ce que finalement ce ne sont pas les clubs qui ont le plus à gagner dans cette attractivité ?
Je le crois, il y a toujours un « effet Jeux olympiques » dans les clubs, surtout quand il y a de très bons résultats et des médailles. Les enfants rêvent de faire comme Martin Fourcade.
Mais là encore, les clubs vont devoir se structurer aujourd’hui pour pouvoir accueillir des publics différents, plus urbain. Et puis aussi faire de la pédagogie : avant de faire du biathlon, il faut apprendre le ski de fond, avoir des sites et des installations adaptés. Il y a une très grosse demande dans les stations pour pratiquer, ou simplement découvrir le biathlon, cette activité échappe en grande partie aux clubs avec le développement des structures privées et des écoles de ski.
C’est très positif pour la discipline puisqu’on répond à la demande, mais il y a peut-être un petit rééquilibrage à faire pour en faire bénéficier les clubs. Ce qui change par rapport à une dizaine d’années c’est que le biathlon est sorti de l’anonymat : la majorité des gens qui viennent en montagne savent ce que c’est.
Je crois aussi sincèrement que l’activité nordique s’est « déringardisée » : et ça on le doit aussi aux sprinteurs de la Team Poney, aux personnalités de Northug et Klaebo, au charisme de Martin Fourcade, au matériel et au textile qui a fait sa mue technique.
Photos : NordicFocus