BIATHLON – Le Villardien Emilien Jacquelin, auteur d’un remarquable hiver, se confie en exclusivité pour Nordic Magazine. Sa saison, sa relation avec Martin Fourcade, le futur et son confinement : il n’élude aucun sujet.
Sacré champion du monde de la poursuite à Antholz-Anterselva (Italie) le mois dernier, Emilien Jacquelin incarne la relève du biathlon français. Originaire de Grenoble (Isère), il était un compagnon d’entraînement de Martin Fourcade, tout jeune retraité des pas de tir, sur les pistes de Villard-de-Lans. Pour Nordic Magazine, il revient sur une année où il a éclos aux yeux du grand public. Il évoque aussi le futur sans « la référence mondiale. »
- Durant l’hiver, vous avez vécu tout ce que vous pouviez légitimement espérer : comment avez-vous géré émotionnellement cette ascension ?
Ce n’était pas évident mais, en même temps, tout s’est enchaîné. Il y a eu des contre-performances qui m’ont toujours permis de me remettre en question et de continuer d’avancer. Avec du recul, je pense que j’avais besoin de « profiter » après chaque grosse performance. Il fallait savourer. Malheureusement, on n’a jamais le temps avec l’enchaînement des courses. Ces mauvaises courses étaient là pour me rappeler à l’ordre. L’ascenseur émotionnel était très fort lors du mois de janvier où j’ai eu du mal à être régulier et j’ai bouffé pas mal d’énergie après mon relais complètement raté d’Oberhof [2 tours de pénalité et 4 pioches, ndlr.].
- Entre le titre lors de la poursuite d’Antholz, le relais des Mondiaux et le petit globe de la poursuite, de quoi êtes-vous le plus fier ?
Je suis vraiment fier de ces trois moments. Fier d’appartenir à cette magnifique équipe. Je respecte énormément la carrière de mes trois aînés que je regardais à la télé il y a encore trois ans. Faire partie du relais doré avec eux était un honneur. On sait que les places sont chères tellement la densité de l’équipe est incroyable. C’était un des gros objectifs de l’année, et ce n’était pas gagné. C’est une grosse fierté de décrocher ce titre après 19 ans d’attente ! Ça paraît dingue vu les belles générations qu’il y a eu en deux décennies…
D’un point de vue personnel le titre est très fort, la manière avec laquelle je suis allé chercher cette médaille, je ne pouvais pas rêver mieux… À l’attaque, des tirs osés, stratégiques, et un super final avec Johannes Boe ! C’était un rêve d’enfant réalisé sur un site qui me tient réellement à cœur pour plein de raisons. Le globe, lui, me permet de me prouver que j’en suis capable et que j’ai gagné en régularité cette année. Je ne suis pas sorti du top 6 en poursuite ! Je suis très fier de ça d’autant plus quand tu vois que je me battais avec Quentin [Fillon-Maillet], Martin [Fourcade] et Johannes [Boe], que des grands noms du biathlon, pour ce globe. Après, il faut quand même rappeler que Johannes a disputé une course de moins [lorsque sa femme a accouché de leur premier enfant, Gustav, ndlr.]…
« Martin était le chemin, la voie à suivre […] On sentait qu’il évoluait, on s’y attendait tous »
- Les frères Boe ont eu affaire à vous cet hiver, ils doivent encore s’en rappeler…
Il faut leur demander ! C’était deux courses différentes, je suis content que ça m’ait réussi, mais ce n’est pas parce que j’ai fini devant eux à ce moment-là que je peux réitérer ces finish à chaque fois ! Ils étaient instinctifs. Parfois ça passe, et souvent tu fais des erreurs. La chance était avec moi (rires).
- Au moment où Martin Fourcade vous a annoncé qu’il allait prendre sa retraite, à quoi avez-vous pensé ?
J’ai repensé à toutes ces années d’entraînements passées à ses côtés. Maintenant, je vais me retrouver seul sur Villard-de-Lans pour m’entraîner. Il nous a tous apporté quelque chose mais le plus essentiel c’est qu’on s’est tous mis à y croire grâce à lui. Croire en nos rêves et en nous. Il était le chemin, la voie à suivre. Personnellement, il m’amenait beaucoup de rigueur à l’entraînement, c’était agréable de progresser à ses côtés, avec LA [il insiste] référence mondiale. Martin, c’était un réel soutien. Maintenant, il va falloir faire les choses sans lui.
- Au moment où il a lâché quelques larmes au micro de La Chaîne L’Équipe après la victoire lors du relais d’Antholz, aviez-vous compris qu’il allait arrêter ?
Non, sur le coup j’ai pensé qu’il apprenait quelque chose de grave ! Je ne l’avais jamais vu pleurer donc c’était une situation étrange. C’est seulement en regardant le replay et les interviews que j’ai compris que cette victoire était lourde de sens pour lui. Il a sûrement senti que c’était le moment. La décision a dû être beaucoup réfléchie les semaines suivantes. On sentait que Martin évoluait, on s’y attendait tous. À l’entraînement je le voyais prendre plus de temps pour prendre des photos avec les fans. Pour moi, c’était le signe.
« Ma peur était de rester en quarantaine à Kontiolahti… »
- Lorsque l’IBU annonce la fin anticipée de la saison de coupe du monde, quel sentiment a prédominé ?
Personnellement, je trouvais ça normal et ça ne m’a pas gêné. L’ensemble des sports étaient à l’arrêt et pas nous. C’était plus cette situation qui était dure à comprendre. Nous étions toutes les nations dans le même hôtel avec buffet matin, midi et soir sur Kontiolathi. Ma peur était que quelqu’un chope le Covid-19 et que nous soyons tous mis en quarantaine là-bas. Ça aurait été une sacrée déprime ! Et d’un point de vue sportif, j’étais très usé mentalement des Mondiaux et j’avais envie de souffler. Une semaine en moins de coupe du monde n’était donc pas un souci. J’ai tout fait pour rester concentré jusqu’à la dernière course, la dernière ligne droite !
- Comment envisagez-vous la reprise sans Martin Fourcade dans le groupe ?
Bien ! On a un super groupe, on se tire tous vers le haut, avec ou sans Martin. Les « anciens » seront là pour guider les jeunes, Fabien [Claude] et moi. Tout le monde va avoir à cœur de progresser. Chacun aura des objectifs très élevés, on va continuer sur notre lancée.
« On va tous se tirer vers le haut »
- Même sans Martin Fourcade, trois Français sont présents dans le top 6 du général : comment allez-vous vous nourrir de cette concurrence pour placer le curseur des objectifs la saison prochaine ?
Cette concurrence est saine. Trois dans le top 6, ça nous permettra de juger tout au long de l’année si nous sommes dans le bon rythme ou pas. Ça permet aussi d’aborder la préparation estivale avec sérénité. Encore une fois, je pense que l’on va tous se tirer vers le haut. Quentin [Fillon-Maillet] veut aller chercher le gros globe, je pense que Simon [Desthieux] va vouloir sa première victoire. Antonin [Guigonnat] va revenir au plus haut niveau et Fabien [Claude] exploiter tout son énorme potentiel. Avec un groupe comme ça on ne peut que s’attendre à de belles choses !
Pour ma part, c’est difficile de mettre des objectifs. Je trouve ça normal que chaque année on veuille faire mieux. Après cet hiver-là, ça devient compliqué de faire mieux ! Mais garder mon titre de champion du monde de la poursuite, ça peut être un super challenge. Mais pour ça, il y a beaucoup de travail à accomplir.
- Quel est votre quotidien de confiné ?
Photos : Nordic Focus.