COMBINÉ NORDIQUE – Ancien compétiteur de combiné nordique, Étienne Gouy s’est épanoui dans le rôle d’entraîneur du comité du Dauphiné, des juniors puis de l’équipe de France depuis vingt ans. Portrait d’un homme passionné et dévoué.
« Étienne Gouy ? C’est le papa, le tonton de l’équipe, celui de qui on peut être très proche en tant qu’athlète. Il a arrêté d’entraîner quand Jason et moi avons mis un terme à notre carrière. Il est revenu à la tête de l’équipe de France car le combiné nordique lui manquait, mais surtout car il aime donner et apporter aux autres. C’est un mec qu’on ne peut que remercier ! » Sébastien Lacroix, champion du monde de la discipline, salue ainsi le dévouement et l’humanité de son ancien entraîneur qui l’a mené sur le toit du monde, un jour de février 2013, dans la Val di Fiemme (Italie).
Dans la lignée du travail effectué auparavant par Nicolas Michaud, le combiné nordique français lui doit en effet ses plus belles heures, celles où Jason Lamy Chappuis a dominé le circuit international pendant trois saisons, celles des titres mondiaux individuels et collectifs de 2011, 2013 ou 2015. Un parcours et un palmarès qui en imposent sur le circuit de la coupe du monde, comme au sein de l’équipe de France dont il a repris les rênes l’hiver passé. « Sa grande expérience impose une influence naturelle sur nous, note le Vosgien Antoine Gérard, leader du collectif tricolore. Il sait se faire respecter en tant que chef d’équipe. »
Dans les pas de son frère Rudy
Avant de passer au service des autres, Étienne Gouy a d’abord été compétiteur, aboutissement logique d’une enfance sportive au cœur de l’Isère. Né à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), entre Digne-les-Bains et Aix-en-Provence où son père travaillait en tant que maçon, le garçon a vite rejoint Villard-de-Lans (Isère), où il a grandi et fréquenté l’école du village.
Petit dernier d’une fratrie de trois enfants très rapprochés, il découvre rapidement les joies du sport, mais pas seulement. « J’ai pratiqué plein d’activités, mais aussi de l’accordéon ! J’adorais en jouer, mais détestais les cours de solfège. J’ai même fait partie d’une association de danse folklorique en habits traditionnels », se souvient l’intéressé. Mais le gamin, un brin chien fou, a un besoin viscéral de se dépenser.
« À l’époque, mon petit frère avait un sacré tempérament, sourit Rudy, l’aîné. Il était assez nerveux et explosif. Il s’énervait vite et le sport l’a bien canalisé ». Plus précisément le ski. Quoi de plus logique quand on habite au pied des montagnes du Vercors. Il enchaîne les heures de ski alpin, ski de fond puis saut à ski pour suivre le frangin. Étienne Gouy garde des souvenirs émus de ses premiers vols sur “la bosse à Milou”, pour Émile Salvi, une figure incontournable du nordique sur le plateau.
« Je pensais qu’il voulait m’imiter en me suivant sur les tremplins alors que c’était réellement son sport, son plaisir à lui, note Rudy Gouy. La preuve, j’ai vite arrêté le saut après quelques chutes qui m’ont bien refroidi. Lui a continué ! Et il a bien fait. » « C’est vrai que le saut m’a vite plu, j’étais un peu casse-cou. Mais sur le tremplin, j’ai dû très vite apprendre à me canaliser, à contrôler mes mouvements et comme j’aimais aussi le ski de fond, le combiné nordique est arrivé dans ma vie logiquement. »
Ouvreur aux JO d’Albertville
Le parcours est ensuite limpide : comité du Dauphiné, équipe de France puis Jeux olympiques… à Albertville en 1992, en tant qu’ouvreur ! « Forcément un grand moment d’autant qu’à cette époque, Fabrice Guy et Sylvain Guillaume ont écrit l’une des plus belles pages de l’histoire de notre sport » en décrochant l’or et l’argent olympiques…
L’année suivante marque son arrivée en équipe de France A aux côtés de ses aînés prestigieux. Ainsi qu’une première participation aux Mondiaux seniors alors qu’il n’est que junior. Il faut dire que le jeune homme a plutôt bien géré le passage du vol en skis droits au vol en « V ». Un temps qui paraît si lointain aujourd’hui !
Son parcours sportif l’amène jusqu’aux JO de Lillehammer en 1994, « les plus beaux de l’histoire ! », selon lui qui garde un souvenir frisquet du 15 kilomètres disputé par -30 °C en petit collant de ski ! Mais Étienne Gouy ne perce pas au plus haut niveau. « On le voyait rentrer et partir en stages ou en compétitions, en enchaînant des hauts et des bas, se souvient son frère. Et je crois qu’il a compris par lui-même qu’il atteignait ses limites ». Ce que ne contredit pas l’intéressé : « J’étais allé au bout de ce que je pouvais faire. » Il range les longues lattes en décembre 1996, juste avant le début de saison. Et rebondit aussitôt… en tant qu’entraîneur.
D’abord au club de saut où il prend conscience qu’il « aime apprendre et donner aux autres », puis au comité du Dauphiné avant de débarquer, l’hiver 2001-2002, à la tête de l’équipe de France juniors puis seniors la saison suivante pour une mission d’un an. Le jeune papa de trois enfants veut passer plus de temps en famille. Et n’estime pas disposer du bagage suffisant pour assurer sa mission sur la coupe du monde.
Au printemps 2004, il reprend les manettes de l’équipe où progresse la génération dorée Jason Lamy Chappuis, François Braud, Maxime Laheurte et le Chamoniard, devenu ensuite sauteur, Vincent Descombes-Sevoie. En 2006, il suit ses jeunes en équipe A : « J’avais plus d’armes en ma possession et surtout cette précieuse connaissance des athlètes qui permet de construire durablement la confiance. » Le bail va durer jusqu’en 2015 et sera parsemé de moments de partage tous plus forts les uns que les autres. Bien sûr, les Mondiaux de Val di Fiemme en 2013 y tiennent une place à part : « Les images du titre en relais sont gravées à jamais dans mon cerveau, d’autant que je savais d’où on venait et par où on était passé pour en arriver là. Les voir ensemble sur le podium, repenser au finish incroyable de Jason, c’est plus fort que tout ! »
Feu d’artifice italien
« Ce jour-là, ce titre a récompensé tout le staff pour son travail de l’ombre : les kinés, coachs, ostéopathes… Ce fut un moment énorme, un juste retour des choses pour eux, pour Étienne qui a tout fait pour qu’on soit bon à ce moment précis », souligne Sébastien Lacroix. Qui n’a pas oublié la bienveillance dont a fait preuve le coach à l’égard des combinés français lors des difficiles et frustrantes quatrièmes places aux Mondiaux de Liberec et d’Oslo ou aux Jeux olympiques de Vancouver : « Il a toujours protégé ses athlètes devant les médias, il lavait son linge sale en famille. J’ai un excellent relationnel avec ce mec droit et honnête, encore maintenant même si on se voit peu », ajoute le Bois d’Amonier qui a vécu ces grands moments avec Jason Lamy Chappuis. Un autre grand bonhomme qui a le respect éternel de son entraîneur : « Jason a toujours été impressionnant de lucidité, de zénitude, d’intelligence, de recul et de simplicité. Il analysait son saut au talkie-walkie à peine arrivé dans la raquette, se souvient Gouy. Sans le savoir, il m’a beaucoup aidé dans mon métier d’entraîneur. »
2015 marque la fin de cette époque dorée avec le départ des deux Jurassiens et d’Étienne Gouy, retourné « dans [son] comité car le discours devait changer vis-à-vis des athlètes. » Mais son histoire n’est pas terminée avec l’équipe de France qu’il retrouve au printemps dernier en lambeaux après des tensions internes qui conduisirent l’entraîneur Frédéric Baud à la démission. « Très vite, il a remis les choses en place, éclaire Antoine Gérard. Étienne dit les choses sans passer par quatre chemins, il fait un peu ours grognon parfois, mais il est toujours pertinent dans son analyse. Il est facile de travailler avec lui car les choses sont bien cadrées. Ses nombreuses idées apportent des changements et il sait être à l’écoute. En fait, c’est un leader naturel et attachant au caractère franc ! »
« Il a trouvé sa place en tant que coach et c’est toujours une grande fierté et un bonheur de fêter avec lui ses réussites collectives », sourit son frère. La suite, c’est donc avec une nouvelle génération d’athlètes qu’Étienne Gouy, passionné de course d’orientation, de vélo, de géographie et de voyages, va l’écrire. Avec une idée en tête : « que mes gars soient à la baston tout l’hiver ! »
Ce portait a été publié dans Nordic Magazine #32 (décembre 2019)
Photos : Nordic Magazine.