BIATHLON – Nouvel entraîneur de tir de l’équipe de France masculine de biathlon, Franck Badiou possède déjà un long passé d’athlète de haut niveau, de fabricant de carabine et de coach.
Pour mieux faire connaissance avec Franck Badiou, rien de tel qu’une visite sur son lieu de travail, au Centre national de ski nordique (CNSNMM) de Prémanon (Jura). L’endroit ressemble à un atelier d’horloger, à quelques détails près. La présence d’une imposante fraiseuse, de quelques dossards sur les murs ou encore d’un ballon de rugby interpelle. Mais vous n’y trouverez aucune trace de son passé de sportif de haut niveau.
Avant de devenir au printemps le nouvel entraîneur de tir de l’équipe de France de biathlon, succédant à Siegfried Mazet, Franck Badiou a pourtant été l’un des meilleurs tireurs mondiaux, au point de décrocher une médaille d’argent aux Jeux olympiques de Barcelone. Mais il n’en dit rien, tandis qu’il travaille sur la crosse de la carabine de Marie Dorin-Habert.
C’est en septembre 1981 que Franck Badiou rejoint le club de tir de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). « J’ai mis mes parents devant le fait accompli », nous apprend-il. Un club dédié à la pratique olympique du tir. Cette année-là, celui qui est né à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) en 1967 fait la connaissance d’Yves Delnord. Une rencontre déterminante : « C’était le boss de la carabine à la fédération française de tir. Par mimétisme, je me suis formé au travail des crosses de carabines. Une sorte de compagnonnage. » Et les résultats suivent : Badiou devient vice-champion d’Europe, puis vice-champion du monde junior et, en 1986, se fait offrir, pour son baccalauréat, une mortaiseuse à mèches.
Entraîneur à l’Insep
Entre 1985 et 1993, l’équipe de France accumule les succès. « Il fallait battre les Soviétiques. » Les bleus peuvent compter sur Jean-Pierre Amat, dont la carrière, arrêtée en 2002, est dotée d’un impressionnant palmarès : champion olympique, champion du monde et trois fois champion d’Europe.
Après sa médaille olympique en 1992, Franck Badiou devient entraîneur à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), à Vincennes (Val-de-Marne). « En 1993, j’ai pris l’encadrement du groupe junior national, avec Jean-Pierre Amat, et, en 1996, la coordination du pôle France à l’Insep. » Tout en poursuivant sa carrière d’athlète de haut niveau et d’artisan.
L’histoire se poursuit en Auvergne, avec le projet d’ouvrir un pôle régional de carabine, puis au Pôle France tir de Strasbourg (Bas-Rhin). « En 2004, je me sentais à l’étroit, jusqu’au jour où Yves Delnord me contacte. La Fédération française de ski cherchait un armurier au Pôle France de Prémanon. » Avec le projet « de développer une ligne de tir thermostatique et un atelier. » En septembre 2005, il déménage pour s’installer dans le Jura.
À Prémanon, Franck Badiou découvre le monde du biathlon, aux côtés de Stéphane Bouthiaux, le chef du pôle – « avec lui, j’ai appris le job » – et Johan Gauthier, le responsable du groupe junior. Parce que « le compétiteur se construit avec sa carabine », il décide de prendre les choses en main et, avec Pierre Sanseigne, armurier à Pontarlier (Doubs), il se répartit la production.
Franck Badiou progresse d’abord sur les crosses et le montage du canon. Il travaille ensuite sur le confort. D’abord, grâce à Pascal Bailly-Basin, fournisseur de bois à Morbier (Jura), il remplace le noyer et le hêtre, traditionnellement utilisés, par de l’érable, « léger, dense et solide. » Il développe des « crosses poutres », faites d’une base en bois, sur laquelle on fixe les différents appuis en carbone. Plusieurs membres de l’équipe de France, parmi lesquels Florence Baverel ou Raphaël Poirée, et jeunes du Pôle France, à l’exemple de Frédéric Jean, Anaïs Bescond ou encore Marion Blondeau, profitent de ses premières réalisations.
Première carabine livrée en 2010
Rapidement, une relation de confiance s’installe avec un autre jeune biathlète originaire des Pyrénées, et tout juste arrivé du Vercors. « J’ai connu Martin Fourcade en septembre 2007. Nous nous sommes construits ensemble. Il passait beaucoup de temps à l’atelier. J’ai fabriqué la plupart des crosses de Jean-Pierre Amat, dont celle avec laquelle il a tout fait [champion du monde et recordman du monde carabine à 10 mètres] en 1987 et 1988. Martin l’a su et je pense que c’est ce qui lui a mis la puce à l’oreille. »
Au Catalan, Franck Badiou livre sa première carabine lors des championnats de France, à Prémanon, en 2010. Un modèle avec de nombreuses options qui ne sera finalement pas retenu par le biathlète. « Nous étions juste après les Jeux de Vancouver. Il m’a expliqué qu’il était sûr de ses choix. Il m’a ainsi demandé de limiter le nombre de pièces susceptibles de se desserrer en course. »
Pour la saison 2011/2012, Martin Fourcade a donc utilisé une carabine avec une crosse sur mesure taillée dans un seul et même bloc. Une pièce en érable. « La saison suivante, j’ai réalisé le mulet, sur lequel il m’a fait modifier l’implantation des chargeurs. Et c’est cette même carabine qu’il utilise aujourd’hui. » La plupart des membres de l’équipe de France concourent avec des carabines modifiées ou construites par Franck Badiou. Toutes sont en érable, à une exception près. Justine Braisaz a souhaité du noyer : « J’ai choisi ce bois pour ses qualités, mais aussi parce que j’aimais la couleur. Après, j’ai laissé Franck faire son job, car il le maîtrise à la perfection », confie la Savoyarde.
Approche personnelle
Au printemps dernier, Franck Badiou reçoit un appel de Stéphane Bouthiaux, le patron des équipes de France de biathlon, qui lui annonce qu’il est pressenti pour reprendre le poste d’entraîneur de tir. « Je ne voyais personne d’autre. Ce choix-là, c’était l’évidence même. Il a une expérience énorme au niveau du tir, c’est un technicien hors pair, minutieux, aussi bien pour l’entraînement que pour l’adaptation de la crosse à chacun. C’est un atout non négligeable », énumère le coach.
Comment Franck Badiou envisage-t-il son nouveau rôle ? « L’aspect émotionnel dans notre discipline peut être destructeur et, mon rôle, c’est de démonter cette spirale par le travail, par une perception forte des moyens techniques et des pensées. » Ce qu’explique en d’autres termes Stéphane Bouthiaux : « On ne peut pas parler de préparateur mental, ce n’est pas son approche. Mais Franck sait créer des séances de partage d’expérience, après les séances d’entraînement, au cours desquels chacun donne ses impressions, son ressenti par rapport à un schéma de tir. Ce sont des moments structurants. » « Et il a une approche technique du tir qui nous fait beaucoup avancer. C’est le ressenti au niveau de l’équipe », se félicite Quentin Fillon-Maillet.
Depuis sa nomination, Franck Badiou passe beaucoup moins de temps dans son atelier, mais son esprit ne s’en éloigne jamais : « Je bosse actuellement avec Jean-Pierre Amat sur une nouvelle carabine de biathlon. » Mais, chut ! C’est secret.
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Portrait publié dans Nordic Magazine #20
Photos : Nordic Focus et Nordic Magazine.