Le grand portrait de Clément Dumont
[Portrait publié dans le numéro 41 de Nordic Magazine datant de février 2024]
Son éviction des groupes fédéraux au printemps 2018 et sa fin de carrière quelques mois plus tard à seulement vingt-cinq ans ont développé une vocation ancrée depuis longtemps. Depuis la saison passée, Clément Dumont guide la sélection belge en coupe du monde de biathlon. Avant de se placer derrière la jumelle, il était l’un des athlètes tricolores les plus prometteurs de sa génération.
À son palmarès, il compte un petit globe de l’individuel sur l’IBU Cup 2014/2015. La coupe du monde, en revanche, s’est toujours refusée à lui. Quitter le haut niveau n’a pas été simple pour le natif de Pontarlier (Doubs). « J’ai déprimé au printemps 2018, après ma non-sélection pour les finales de l’IBU Cup. J’étais pourtant sixième du général. » Son admission en école de kinésithérapeute à Nice (Alpes-Maritimes), quelques mois plus tard, l’a aidé à faire passer la pilule.
« Une autre vie commençait », glisse-t-il sobrement. Aurait-il mérité sa chance en coupe du monde ? Son ami Florent Claude, qu’il coache en équipe de Belgique, en est persuadé : « Il lui a manqué le timing. Sur certaines courses, il aurait pu monter, mais il n’y avait pas de place. Il a stagné en IBU Cup. Ensuite, il est tombé sur un athlète comme Fabien [Claude] qui réalisait des temps canon sur les skis. »
Adversaire de Clément Dumont au comité du Mont-Blanc, avant de suivre une autre voie, Max Bichon est l’un de ses proches amis. « Avec mes parents, on a partagé sa fin de carrière. Les siens avaient déménagé dans le Sud et Clément n’avait plus vraiment de pied à terre dans les Alpes. Il vivait souvent chez nous. Il avait l’impression de ne pas être allé au bout des choses. Ce sont souvent les mêmes histoires. Des athlètes sont sur un fil et l’encadrement ne leur fait pas confiance sur la durée. Clément n’était pas dans une période simple. »
« Fils de »
Le biathlon était pourtant toute sa vie. Difficile d’échapper à la discipline quand la figure paternelle se nomme Christian Dumont. Décédé d’une crise cardiaque à cinquante-huit ans, en août 2021, « Dudu » figurait dans le premier relais tricolore vainqueur en coupe du monde.
Il avait ensuite mis ses compétences au service de son sport. Entraîneur de l’équipe de France militaire, puis du groupe masculin, il avait aussi été directeur des équipes de France et coordinateur des circuits nationaux. C’est dans cette ambiance que le benjamin d’une fratrie de deux garçons et une fille, a grandi. « J’ai résisté au début ! J’avais onze ans quand j’ai pris ma première licence. »
Clément Dumont a vu tous les champions français des années 2000 de près. « La plupart des athlètes que mon père entraînait m’ont vu grandir. » Raphaël Poirée, Vincent Defrasne, Sandrine Bailly et Florence Baverel-Robert entre autres.
Au CS Chamonix, l’adolescent veut skier avec une carabine dans le dos : « Mon but, c’était le biathlon. Dès la classe aménagée en sixième, c’était du sérieux. Je voulais arriver à haut niveau. » « On sentait que le projet biathlon était très important », confirme Max Bichon.
“Fils de”, il a dû composer avec son patronyme et essuyé quelques piques. « À la Fédé, certains coachs m’ont aussi fait des réflexions du style “Ce n’est pas parce que tu es le fils…’’ Comme si je ne le savais pas ! Ce sont des trucs bêtes, mais quand tu es ado, tu as ta fierté. J’avais juste envie d’être moi ! »
Kinésithérapeute en équipe de France A jusqu’à la saison passée, Romain Dumont, de quatre ans l’aîné de son frère, a vécu ces frustrations aux premières loges : « Comme il s’appelle Dumont, les gens pouvaient se dire qu’il était parfois protégé. Par moments, cela l’a sans doute desservi. »
Plus qu’un poids, l’héritage familial a porté Clément Dumont. « J’avais de l’admiration pour mon père. Tous ses conseils, surtout au début, je les prenais cash. On n’était pas dans la performance à tout prix, mais sur comment faire du beau biathlon. » Au fil des années, il a forgé son expérience et a exprimé ses points de vue. « Les débats sont devenus plus animés. Nos échanges étaient intéressants. » La graine du coaching germait tranquillement.
À vingt-cinq ans, sur la Côte d’Azur, il a profité de la vie d’étudiant. Il a découvert un autre monde. « J’avais souffert du manque d’équilibre entre biathlon et vie sociale. J’avais besoin de rencontrer d’autres personnes. »
La montagne inscrite dans son ADN
Plus lucide que cynique sur le milieu cloisonné du biathlon, l’entraîneur des rouge et jaune évoque « une délivrance. » « Quand tu es athlète de haut niveau, tu es égoïste. Tu ne te rends pas compte de l’investissement autour de toi. » Mais le biathlon de haut niveau l’a rattrapé plus vite qu’il n’imaginait. À Aix-les-Bains (Savoie) où il suit son stage terminal, il vit en colocation avec des amis du milieu nordique.
« L’un d’entre eux a été contacté par Pierre Ribeyron, le directeur technique du ski nordique en Belgique. Il cherchait quelqu’un pour remplacer Jean-Guillaume Béatrix à la tête de l’équipe. » Un poste qui intéresse Clément Dumont qui, peu de temps auparavant, avait proposé ses services comme kinésithérapeute à l’équipe de France de coupe du monde, et avait été recalé. Il n’a donc pas hésité longtemps à rejoindre la Belgique. « Je visais un truc et j’ai eu encore mieux. »
Ceux qui l’ont côtoyé durant sa carrière n’ont pas été surpris de ce rapide come-back. Désormais consultant sur la chaîne L’Équipe, Frédéric Jean l’a dirigé lors de sa dernière saison. « Il était très sérieux et voulait comprendre tout ce qu’il faisait à l’entraînement. Pourquoi cette séance ? Pourquoi celle-ci ? Ce profil, tu sais que le milieu du coaching va le brancher à un moment. » Romain Dumont avait également senti le coup venir : « Il n’avait pas fini son histoire avec le biathlon. Coacher la Belgique lui permettait de revenir dans le milieu et goûter à la coupe du monde. »
Plus jeune que certains de ses athlètes
Avec l’équipe du Plat Pays, Clément Dumont a retrouvé des athlètes aux parcours erratiques, laissés sur le bord de la route par le système français, tel Florent Claude, ou victimes d’une impitoyable concurrence comme Lotte Lie, aux passeports belge et norvégien.
Championne du monde du relais chez les jeunes en mars 2021 à Obertilliach (Autriche) avec la France, Maya Cloetens a elle aussi opté pour la Belgique, le pays de son père. « Clément prend le temps d’individualiser les séances en fonction de nos qualités et défauts. Le cas par cas, cela m’a manqué avec la France », éclaire-t-elle.
Clément Dumont n’avait pas trente ans quand on lui a confié les rênes de la sélection. Il est donc à peine plus âgé que la plupart de ses athlètes et plus jeune, de deux ans, que Florent Claude et Thierry Langer. « Avoir un coach pratiquement de ma génération, c’est positif, énonce la jeune femme de vingt-deux ans. Avant, j’étais distante avec mes entraîneurs, même si je m’entendais bien avec. » « Malgré sa jeunesse, Clément n’a pas hésité à se jeter dans le grand bain », admire Frédéric Jean.
Entraîneur d’un de ses meilleurs amis
Malgré sa soif de réussir, Clément Dumont fait passer ses idées en douceur. « Tous mes coachs étaient des vieux briscards. Il y avait ce côté hiérarchique. Avec la Belgique, c’est différent. On a des discussions ouvertes. Je ne suis pas là pour imposer des choses, mais plus dans un rôle de conseiller. Je ne veux pas d’un plan unique d’entraînement made in Belgique. »
Passé par l’équipe de France B, son compatriote Rémi Borgeot, alors kiné en équipe de Belgique, a assisté aux premiers pas du Pontissalien : « C’était une belle surprise qu’il devienne entraîneur aussi rapidement. J’étais curieux de voir l’image qu’il allait donner à l’équipe. Sur le premier stage et les premières étapes de coupe du monde, on a essayé de le conseiller et l’orienter, mais on ne voulait pas avoir trop d’emprise sur son fonctionnement. C’était à lui d’imposer sa patte. Il s’est vite adapté. Clément sait ce qu’il veut. »
Pour Romain Dumont, sa détermination n’est pas le moindre des atouts de son petit frère : « Quand il a quelque chose en tête, il s’y accroche. Tout ce qu’il a accompli avant lui sert aujourd’hui. »
L’évolution de sa relation avec Florent Claude est révélatrice. « On se connaît depuis au moins quinze ans, se remémore le Vosgien. Il fallait dissocier les deux aspects. On a gardé les moments où on se marre, mais l’entraînement reste l’entraînement. Quand on n’est pas d’accord, on discute. Clément peut me dire des choses qu’il ne dirait pas aux autres athlètes, et inversement. » Il n’a pas été étonné des premiers pas de son ami comme coach : « Dans la vie de tous les jours, Clément se laisse parfois porter, mais en biathlon, il ne fait pas les choses à moitié. Il faut que ce soit nickel. Son père avait la même exigence. »
À la recherche du moindre détail
Florent Claude réalise une épatante deuxième partie de carrière. Vingt-troisième du classement général à l’issue de la saison 2022/2023 et parti sur les mêmes bases cet hiver, il progresse encore. « Clément m’a aidé à passer un palier. Il recherche la perfection et les détails. » L’intéressé ne peut nier cette envie de repousser les limites. « Je ne suis pas revenu dans le biathlon pour le fun. Cela s’inscrit dans un projet professionnel à long terme pour développer de nouvelles compétences », éclaire celui qui est engagé avec la Belgique jusqu’à la fin de la saison 2025/2026. Avec en point d’orgue les Jeux olympiques de Milan/Cortina (Italie).
« En arrivant, mon premier truc a été de changer l’état d’esprit. Je voulais qu’on ait en tête la performance maximum. Notre équipe a de l’allure, enchaîne l’entraîneur. On ne peut pas rivaliser avec les grosses nations mais dans le ventre mou de la coupe du monde, on devient intéressant. » Outre les résultats de Florent Claude, les prestations abouties de Lotte Lie en coupe du monde et Maya Cloetens en IBU Cup lui donnent raison. Rémi Borgeot a apprécié ce vent de fraîcheur : « Il recherche toujours quel nouvel élément pourrait correspondre à tel athlète. Il a une vision moderne de l’entraînement. »
Max Bichon est persuadé que les chemins de la Belgique et Clément Dumont étaient faits pour se croiser : « Ce projet a du sens pour lui. Il a la capacité de comprendre le potentiel de chacun et sa trajectoire. Je ne suis pas convaincu qu’un projet dans l’encadrement français l’aurait autant intéressé. Les enjeux ne sont pas les mêmes. »
Malgré ses nouvelles responsabilités, Clément Dumont garde un pied dans la réalité. Le biathlon reste sa passion, mais n’est plus toute sa vie. « Quand j’étais biathlète, le sport avait pris une part trop importante. Je ne faisais plus les choses pour les bonnes raisons », lâche-t-il. Cet hiver, quand la coupe du monde faisait relâche, il est revenu vers Chamonix pour quelques jours revêtir ses habits de kiné.
« Avoir un métier qui n’est pas forcément lié au biathlon équilibre sa vie. Il a beaucoup de projets et besoin de s’occuper la tête, analyse Max Bichon. Le biathlon est un monde formidable, mais reste une bulle. Les enjeux sont parfois démesurés par rapport à la réalité. Clément est ouvert à beaucoup d’autres sujets que le sport. Il a une vraie intelligence humaine et n’est pas au bord de la piste comme le soir à la maison. » Le biathlon dans le sang, les pieds sur terre.
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