Le grand portrait de Clément Parisse
[Portrait publié dans le numéro 39 de Nordic Magazine datant de février 2023]
« Si ma carrière s’arrêtait brutalement, ce serait dur. Ce serait un changement de vie, mais j’ai d’autres passions que le ski. J’arriverais assez vite à me plonger dans un autre truc et à en profiter. » Clément Parisse n’est pas encore à l’heure des adieux, mais, à bientôt trente ans, il a conscience qu’il a passé plus d’années au haut niveau qu’il ne lui en reste à effectuer. Il possède l’un des plus beaux palmarès du ski de fond français. Et pourtant, le Haut-Savoyard est venu à la compétition par atavisme et amitié. « Avec mes deux sœurs aînées et mon petit frère, on a vite été initiés. Durant notre enfance, on se baladait beaucoup en montagne en famille », raconte-t-il.
Le ski nordique s’est ensuite imposé comme une évidence. « L’école et les copains ont fait que je suis entré au club. J’avais envie de partager des moments avec eux et jouer dans la neige. » Quelques années auront été nécessaires pour que le Mégevan développe une âme de combattant. « Au début, il n’avait pas forcément l’envie de finir devant les autres. Il est devenu compétitif en arrivant au niveau où il est, mais il ne le fait pas pour être le meilleur, observe son frère Sylvain. Clément fait les choses pour lui. Il vise d’abord le dépassement de soi. »
L’humilité des grands champions
À l’inverse de certains, qui écrasent tout dès les années minimes, le Haut-Savoyard s’est construit patiemment. « La compétition fait désormais partie de moi, mais c’est ce qu’il y a autour qui m’intéresse, avoue Clément Parisse. Les résultats sont venus plus tard. L’un de mes anciens entraîneurs de club me prenait souvent en exemple. Il expliquait aux jeunes que si cela ne marchait pas tout de suite, mais qu’on était passionné, il fallait persévérer. »
Bomber le torse ne fait pas partie de son ADN. « Malgré son palmarès, il est resté humble, constate Jean-Claude Roguet, l’un de ses premiers coachs au Comité du Mont-Blanc. J’ai beaucoup fait de montagne avec son père avant qu’il ne décède. Il était comme Clément. C’était un grand grimpeur, lui aussi très modeste. Les Parisse sont des gens adorables qui ne se mettent jamais en avant. Clément est un guerrier sur les skis, mais, à côté, il vit sa vie d’adulte tranquillement. »
Sur la piste, Clément Parisse se révèle redoutable. Surtout en relais. Il a gagné quatre des sept médailles de bronze qu’ont conquis les tricolores lors des grands rendez-vous : Mondiaux de Seefeld (Autriche) en 2019 et ceux d’Oberstdorf (Allemagne) en 2021, Jeux olympiques de Pyeongchang (Corée du Sud) en 2018 et ceux de Pékin (Chine) en 2022. « J’arrive davantage à me transcender pour l’équipe, reconnaît l’intéressé. Le ski de fond a beau être un sport individuel, j’ai besoin de cet esprit et de partager avec les copains. Sans une bonne équipe avec laquelle on passe de bons moments en stage, je n’en serai pas là. »
Technicien de Clément Parisse lors de l’hiver 2021/2022, Gaël Epp, ancien fondeur de niveau national, a observé le phénomène de près : « Clément aime la vie de groupe. On le sent heureux et il se marre tout le temps. C’est tout le contraire d’un individualiste. » En fait, l’équilibre du jeune homme est un savant mélange de solitude et de camaraderie.
« La solitude l’aide à se ressourcer, constate Jean Tiberghien, son ancien camarade chez les Bleus. Il a aussi besoin de liens humains. On est souvent allés en montagne ensemble. Cela donne un rapport privilégié et fait la force d’une relation. Là-haut, tu as une confiance absolue en ton partenaire. Sans lui, tu ne peux rien faire et inversement. »
Avec les années, le fondeur a appris à s’ouvrir davantage. « Il a eu une période où il était plus solitaire, pas jusqu’à être sauvage, souligne Sylvain Parisse. Désormais, quand sa période de solitude est finie, il aime retrouver un cocon, que ce soit la famille, les potes d’enfance ou ses camarades de l’équipe de France. » Le partage, toujours. « Il est très proche des siens et revient souvent dans le coin, complète son copain d’enfance Martin Jouannic. Pareil pour les amis, il passe toujours un coup de fil quand il est là. Le sport de haut niveau reste un monde particulier. Clément a besoin de garder le contact avec une certaine forme de réalité. Il est compétent dans plein de domaines et, de surcroît, il est gentil, sensible et soucieux des autres. J’essaie de le caser, mais c’est un oiseau de passage ! »
Un volatile au plumage multicolore. D’abord, il y a Clément le menuisier. « Il y a quelques années, j’ai passé un CAP avec Jules [Lapierre]. Parfois, je prends quelques jours pour changer complètement d’univers, concède le skieur. J’arrête le sport ou j’en fais moins. La menuiserie permet de penser à autre chose. J’ai déjà fait des meubles pour Jules, pour ma mère et pour mes sœurs. Je fais quelques petits trucs comme ça ! [Rires.] »
Chassez la modestie, elle revient au galop. Ces petits trucs, c’est tout de même… un violon. « L’une de nos sœurs en joue. C’est peut-être ce qui lui a donné l’idée, souffle Sylvain Parisse. Un violon, c’est dur à fabriquer. Il faut être très minutieux. Clément voulait voir s’il en était capable. C’est la même logique que pour le ski de fond et la montagne. Il est dans la recherche personnelle. »
Ensuite, il y a Clément le musicien. « Plus jeune, j’ai fait du solfège et de la trompette à l’Harmonie de Megève. J’ai dû arrêter au lycée. L’Harmonie, c’était le vendredi soir et je n’étais jamais là en période hivernale », regrette-t-il. Il change et opte pour la guitare. Un instrument solo que le Haut-Savoyard pratique aussi en band. « On joue souvent en famille ou avec les copains. Ce n’est pas de la grande guitare où on en prend plein la vue. C’est de l’accompagnement pour les autres instruments ou pour chanter », décrit-il. Georges Brassens, Johnny Cash et la Rue Kétanou figurent – entre autres – à son répertoire. « Mon spectre musical est assez large », éclaire-t-il.
« Clément a une sensibilité qu’on n’imagine pas chez un sportif. On songe souvent à un mec costaud qui va courir et n’a rien dans la tête. Il est au contraire très cultivé et loin de cette image », assure le fidèle Martin Jouannic.
Un mois en Patagonie
Atypique et connecté à la nature, il y a encore Clément l’alpiniste. Avec ses amis, il s’offre de longues chevauchées en montagne. Il escalade les sommets bien au-delà des Alpes. Il a ainsi ouvert une voie dans le nord de la Patagonie. Début avril 2015, dans la foulée des championnats de France de La Féclaz (Savoie), il s’était envolé pour le Chili rejoindre son ami Lucas Duperrex et un troisième alpiniste, Nicolas Bartalucci.
L’expédition qui a duré un mois a été racontée dans un film baptisé L’envol des Colibris, du nom de la voie ouverte par la cordée. On y découvre une facette méconnue de Clément Parisse. « Être filmé l’a poussé à être davantage en mode clown. Il a une bonne maîtrise de lui, mais est toujours partant pour mettre un grain de folie. C’est valable en ski de fond pour se mettre la “mort” et pour les conneries ! », s’amuse Lucas Duperrex.
« On se connaît depuis les cadets avec Clément. On était ensemble au Comité du Mont-Blanc. Notre passion de la montagne nous a vite rapprochés, éclaire celui qui a été un temps guide du biathlète et fondeur handisport Anthony Chalençon. Hormis la Patagonie, on a effectué des séjours dans les Écrins ou le massif du Mont-Blanc. On est aussi allé plusieurs fois en Corse. »
Quand il plante ses pitons, Clément Parisse est le même que lorsqu’il s’aligne sur les relais des Mondiaux ou des Jeux olympiques. Il donne tout. « Il répond présent quand il faut élever son niveau le jour J et que c’est dur », poursuit son camarade de cordée.
Paradoxalement, les hasards de la vie ont amené ce montagnard à pousser son premier cri en Île-de-France, plus précisément à Évry (Essonne). « Mes parents ont déménagé à Praz-sur-Arly, en Haute-Savoie, quand j’avais six mois. Je suis un faux Parisien et un faux Savoyard, s’amuse-t-il. Mon père, en plus d’être prof d’EPS, était guide de haute montagne. C’est de lui que vient cette passion. »
Cette force, cette richesse et cette sagesse en font l’un des hommes de base du dispositif d’Alexandre Rousselet, le responsable du groupe coupe du monde. « Par sa personnalité, il apporte beaucoup au groupe, analyse le technicien franc-comtois. Il n’est pas le leader de l’équipe, mais il l’est dans sa façon d’être. Il est très collectif et symbolise l’esprit que l’on recherche. »
Son expérience – il a disputé ses premiers Mondiaux seniors à Falun (Suède) en 2015 – en fait un élément respecté et écouté au sein de la maison bleue. « Clément est très observateur et réagit rarement à chaud, abonde Jean Tiberghien. Quand il a quelque chose à dire, c’est réfléchi et mûri. Ce n’est pas sans raison. »
Côtoyer Clément Parisse, c’est l’assurance de ne pas se prendre au sérieux tout en remplissant consciencieusement sa mission. « C’est l’un des athlètes les plus faciles pour travailler. Il est ouvert et pas trop compliqué dans les tests de skis, lâche Gaël Epp. Il déconne souvent avant les courses et n’est pas hermétique. Parfois, tu as envie de lui dire : “Maintenant, il faut y aller !” [Rires.] Et même quand c’est dur, il rigole. Il n’est jamais fataliste ou défaitiste. » On l’imagine dès lors ne jamais prononcer un mot plus haut que l’autre. Clément Parisse s’inscrit en faux : « Je peux m’énerver. C’est rare, mais ça arrive. Quand il y a des choses à dire, j’essaie de le faire avant que cela ne prenne trop d’ampleur. »
« Je n’aime pas parler de moi »
Sylvain Parisse a déjà vu son frangin sortir de ses gonds : « Cela a dû arriver trois fois dans ma vie ! Cela vient de loin. À la base, il est calme. Il est dans la gestion, que ce soit au départ d’une course ou de l’énervement. » Ce calme apparent a toujours été l’une de ses marques de fabrique. « La première fois que j’ai rencontré Clément, il devait avoir quinze ans, se souvient Jean-Claude Roguet, président du Haute-Savoie Nordic Team. C’était un jeune très effacé. Il ne faisait pas beaucoup de bruit. Il n’était pas introverti, mais ce n’était pas l’enthousiasme débordant. Il est bien dans sa bulle, on aimerait toutefois qu’il s’exprime parfois davantage, d’autant plus depuis qu’il fait partie des leaders de l’équipe de France. »
En dépit de ses multiples facettes, Clément Parisse est loin d’être le Bleu le plus présent dans les médias. « Il ne cherche pas la lumière, constate Jean Tiberghien. La reconnaissance médiatique, il s’en moque, du moment qu’il a des liens forts avec ses proches. C’est plus important pour lui que d’avoir dix millions d’abonnés sur Instagram. »
À l’ère des réseaux sociaux, le garçon est une exception. Pour vivre heureux, il vit caché. Son statut l’a pourtant contraint à se dévoiler (un peu) pour ses partenaires et ses fans. « Le système n’est pas pour lui, admet Alexandre Rousselet. C’est un artiste dans ce qu’il est et ce qu’il fait. À la différence des autres qui sont souvent sur les smartphones durant leur temps libre, il préfère lire ou jouer de la mandoline. Il se recentre sur lui ».
À l’image du Vosgien Adrien Backscheider, d’un an son aîné et qui a mis un terme à sa carrière en fin de saison passée, Clément Parisse vit bien son relatif anonymat. « Je n’aime pas parler de moi, assure-t-il. Maurice [Manificat] a le plus beau palmarès du ski de fond français. C’est normal de passer au second plan par rapport à lui. Lucas [Chanavat] et Richard [Jouve] ont beaucoup de succès individuels. Les réseaux sociaux, c’est naturel pour eux. »
Quand on lui demande pourquoi il a réussi à atteindre le très haut niveau et pas d’autres fondeurs aussi talentueux, le jeune homme est gêné : « Tout le monde s’entraîne dur pour y arriver. Il faut d’abord se faire plaisir sans attendre le résultat. Je ne me suis jamais pris la tête avec ça », philosophe-t-il.
Dans un coin de sa tête, il court toujours après un premier top 3 personnel en coupe du monde. « À plusieurs reprises, je n’ai pas été loin de décrocher ce podium. Je veux cocher cette case pour concrétiser un peu plus toutes ces années dans le ski », avance-t-il.
Futur guide de haute montagne
Puis, un jour, Clément Parisse deviendra guide de haute montagne. Comme son père avant lui. Une certitude. « Quand je prends un bouquin de grimpe autour du monde, j’ai envie d’aller partout, mais je n’ai pas de projets de voyage pour l’instant. La priorité, c’est de passer les modules pour devenir guide, tout en continuant le ski. Les épreuves probatoires sont assez longues et exigeantes. »
L’escalade n’est pas sans risque. Le fondeur a su l’intégrer à son entraînement, avec la bénédiction d’Alexandre Rousselet. « On a des deals avec chaque athlète, précise le coach. Ils ont besoin de moments où ils se changent les idées physiquement et mentalement. Avec Clément, on définit des périodes pour la montagne. On s’est aperçu que de belles sorties, quand il ne fait pas n’importe quoi derrière, sont bénéfiques. »
L’ivresse des sommets lui procure un vrai équilibre. « Je ne me vois pas arrêter de pratiquer l’escalade ou d’aller en montagne pour le ski de fond. C’est ma soupape. Ce lien de la cordée, ce sont des moments indispensables », assène Clément Parisse. « Maintenant que son père est parti, il y a comme un truc, une sorte de souvenir, constate Martin Jouannic. Quand Clément est là-haut dans la montagne, il pense à lui. C’est quelque chose de puissant. »
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