Le grand portrait d’Emilien Louvrier
[Portrait publié dans le numéro 39 de Nordic Magazine datant de février 2023]
Le 13 février 2022, au bout de soixante-quatre kilomètres de souffrance et d’espoir, Émilien Louvrier, vingt-deux ans à peine, s’imposait sur La Transjurassienne, mythique épreuve de fond reliant Lamoura (Jura) à Chaux-Neuve (Doubs), à quelques kilomètres seulement du domicile familial, où il vit toujours.
Gagner La Transju’, c’était jusqu’alors un rêve inatteignable. Et ce malgré ses bons résultats en ce début de saison 2021-2022. Sur le massif jurassien, le Haut-Doubiste avait gagné la Traversée de la Haute-Joux et Les Belles Combes. Ces succès ne l’avaient néanmoins pas convaincu qu’il pouvait remporter la plus importante course en France.
« Je m’étais dit que j’allais donner mon maximum et que c’était super si j’arrivais déjà à rentrer dans le top 15. Ce serait encore mieux si j’intégrais le top 10. Être dans les cinq premiers, c’était un rêve. Mais jamais je n’ai pensé gagner. » D’autant que le plateau était plus que relevé l’an dernier : Jean-Marc Gaillard, membre de l’équipe de France de ski de fond et double médaillé olympique, Tom Mancini ou encore Gérard Agnellet, grand spécialiste des longues distances, figuraient sur la liste de départ. « Nous, on n’y croyait pas vraiment, reconnaît son père, Patrick Louvrier, également son entraîneur au quotidien. C’était une première pour lui, on y allait avec beaucoup d’humilité, tout en sachant qu’on avait bien travaillé. »
Une famille soudée autour de lui
Les premières heures ne laissent rien paraître de ce que sera le dénouement : « Je le suivais en voiture à chaque point de passage au bord de la route. Au début, il part plutôt doucement, mais il m’assure qu’il a des bons skis, ce qui est bon signe. À mi-course, après être revenu dans le top 20, il commence à se sentir mal et doit changer un bâton. Il est alors un peu détaché », raconte Patrick Louvrier.
Au Pré Poncet, peu après Chapelle-des-Bois (Doubs), à une dizaine de kilomètres de l’arrivée, il découvre, stupéfait, que son fils réalise un incroyable retour : « Je n’en croyais pas mes yeux ! Il passait en 7e position, au contact du groupe de tête. Il n’était plus le même, complètement transformé, c’était presque surnaturel. » Au pied du tremplin du stade de la Côte Feuillée, le fondeur de La Cluse-et-Mijoux se retrouve carrément au milieu des favoris. Avec eux, il joue un sprint haletant qu’il enlève. À une petite seconde près, c’est bien lui, dossard numéro 34, cheveux blonds en brosse, qui lève les bras et passe la ligne d’arrivée le premier en poussant un cri.
Les yeux embués de larmes, le vainqueur, dans sa combinaison Nordic Magazine, tombe, encore incrédule, dans les bras de son père, puis dans tous ceux de ses proches. « C’était un moment providentiel, se souvient, encore émue, sa mère Marielle. Presque par hasard, il s’est trouvé que toute la famille était présente, au grand complet. Émilien est le petit dernier. Ses trois frères et sœurs ont toujours été très présents pour lui, l’accompagnant dans les hauts comme dans les bas. » Son mari abonde : « La victoire d’Émilien, c’est la réussite de toute une famille. »
Parfois vu comme un loup solitaire, Émilien Louvrier est en réalité toujours entouré par les siens, qui forment son socle. Edgar Laheurte, ami de collège et camarade d’entraînement durant de nombreuses années, raconte un garçon sérieux et concentré. Son copain savait aussi s’amuser, complète-t-il : « Sur les skis, il a toujours été déterminé, il travaillait dur. Mais au-delà de la compétition, il y avait une solidarité entre nous à l’entraînement. Et Émilien était toujours le premier à rigoler. »
La passion du fond dans les gènes
Cette fameuse victoire sur La Transju’, le skieur n’est pas près de l’oublier, mais elle ne représente pas seulement une ligne sur un palmarès déjà bien étoffé. Le compétiteur nuance : « Le meilleur moment de ma vie, ce n’est pas quand je passe la ligne d’arrivée, mais celui partagé avec toute ma famille juste après. »
Celle-ci mesure en tout cas l’exploit accompli. C’est que chez les Louvrier, le ski de fond vient de loin. Son grand-père paternel, Bernard, a été skieur de fond dans les années cinquante. Son père, ancien membre des équipes de France junior, a créé le ski-club de La Cluse et entraîné, en plus de son fils, de nombreux athlètes comme la championne olympique de biathlon Florence Baverel. Sa sœur aussi a connu l’équipe de France chez les jeunes. « Le ski de fond, j’ai baigné dedans depuis tout jeune », confirme le benjamin d’un air rieur.
Curieux de tout, Émilien Louvrier lui a toutefois fait (presque) quelques infidélités. Il s’est notamment essayé au combiné nordique qu’il a pratiqué de dix à quinze ans. « Quand il était petit, il voulait toujours faire des sauts, toujours essayer d’aller le plus haut possible, c’est pour ça qu’il a tenté le combiné », se rappelle Patrick.
Son entraîneur de saut de l’époque, Joël Pagnier, se souvient d’un gamin plutôt discret, mais déjà grand travailleur : « Il avait une volonté, un engagement sans limite et un vrai sens du collectif. C’est la marque de tous les champions, on savait qu’il allait performer au haut niveau. » Ses résultats sont plutôt bons. Il passe même d’un rien à côté du titre de champion de France U15. Le sacre lui échappe à cause d’une main posée à la réception. « Il a eu une belle progression au niveau du saut, mais avait un peu plus de mal sur grand tremplin, poursuit Joël Pagnier. Son point fort était le fond, il faisait quasiment toujours le meilleur temps de ski. J’étais à l’arrivée lorsqu’il a gagné La Transju’ et c’était un grand moment de bonheur pour moi. »
À quinze ans, lorsqu’il doit se spécialiser dans une discipline, c’est logiquement que l’adolescent jette tout son dévolu sur cette discipline nordique où il performe le mieux. Comme toujours, il se donne les moyens de ses ambitions. Après une année de préparation, il est sélectionné pour intégrer l’équipe de France junior. En 2017, il participe au Festival olympique de la jeunesse européenne (FOJE) à Erzurum (Turquie), où il remporte une médaille de bronze en relais mixte.
Retour aux sources
Émilien Louvrier n’est alors pourtant pas au mieux dans sa tête. « Je n’étais pas très bien. J’ai fait une sorte de burn-out, avec du surentraînement. Je suis tombé bien bas et je n’ai pu me relever et me remobiliser qu’en revenant chez moi », confie-t-il.
À son retour, l’athlète se concentre l’hiver sur des formats de courses plus longs, avec un entraînement qui lui correspond ; l’été, il court des trails. Son père Patrick reprend sa casquette d’entraîneur, qu’il n’a jamais laissée bien loin. « Il n’a pas pu entrer dans le schéma fédéral, analyse-t-il. Pourtant, il y avait une super équipe, mais il avait ce mal-être parce qu’il était loin de chez lui. » Malgré la difficulté de concilier une relation filiale et un lien “professionnel”, les deux hommes ont su trouver un équilibre, toujours basé sur les valeurs familiales : « la complicité, le respect et l’écoute, la prévenance et l’humilité », énumère le père-coach.
« Émilien est un jeune homme très sensible », explique pour sa part Bernard Louvrier, son grand-père. L’ancien coureur continue, à quatre-vingt-dix ans ans, à suivre avec attention les résultats de son petit-fils. « C’est un bon petit jeune, qui aime ça, qui est très doué, mais qui a besoin d’être bien entouré. Et d’avoir son papa entraîneur, ça l’aide beaucoup », assure-t-il.
Auprès des siens, Émilien Louvrier a bien retrouvé la stabilité dont il avait besoin pour exprimer son talent.
La foi : une force supplémentaire
Cette sérénité, il la développe aussi grâce à sa croyance qui l’accompagne au quotidien. « J’aime parler de ma foi. Je remets tout à Dieu. J’ai une telle confiance en Lui que j’accepte tout ce qui se passe, et c’est mon pilier, avec ma famille, pour avoir confiance, que ce soit dans ma vie de tous les jours ou dans les courses. » La religion catholique lui a été transmise, comme toutes choses, par sa famille. « C’est au centre de notre vie et Émilien en a fait peut-être encore plus l’expérience cette année. Il se base là-dessus au quotidien ! », confirme sa mère.
Après cette saison 2022 de rêve en ski de fond et de belles réussites en trail l’été dernier, Émilien Louvrier aborde 2023 avec envie, mais aussi avec philosophie. « Je me laisse toujours guider, je ne m’imagine pas forcément où je serai l’année prochaine. Ma foi m’aide aussi dans ce processus. Pour cet hiver, c’est difficile de se jauger avec le début de saison tronqué par le manque de neige, mais bien sûr, le gros objectif reste La Transju’, en espérant qu’elle puisse avoir lieu », conclut-il.
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