Le grand portrait d’Hugo Lapalus
[Portrait publié dans le numéro 37 de Nordic Magazine datant de février 2022]
Avec sa moustache « sauvage », son bandeau derrière les oreilles et sa frêle silhouette, Hugo Lapalus est facilement reconnaissable dans la harde des fondeurs fonçant vers la ligne d’arrivée. À vingt-trois ans, le jeune homme représente le « futur du ski de fond français ».
C’est un ami d’enfance, Jules Chappaz, qui lâche cette phrase, une évidence pour bon nombre de suiveurs de la discipline. Il faut dire que son acolyte possède déjà un beau palmarès. En février 2021, il est devenu champion du monde juniors à Vuokatti (Finlande). Il arrachait ensuite une médaille de bronze lors du relais des Mondiaux d’Oberstdorf (Allemagne) en seniors. Enfin, il terminait la saison avec la tunique verte du meilleur jeune de la planète. Ni plus, ni moins. « Il est parti pour une belle carrière », appuie son voisin des Aravis. « Il va rapidement s’imposer », pronostique un autre de ses camarades, Camille Laude.
Comme pour beaucoup de garçons nés dans les Alpes, le ski de fond n’a pourtant pas été tout de suite « une évidence » pour Hugo Lapalus. Il a débuté par l’alpin, licencié au club des sports de Manigod, son village natal. Plus précisément, la famille habite au col de Merdassier, à une altitude de 1 500 mètres. Un paysage paradisiaque et un terrain de jeu idéal pour un garçon qui, petit, passait ses journées dehors, rentrant le soir tout mouillé et avec le nez qui coulait.
Le nordique est donc arrivé après. Le fondeur garde le souvenir d’une première course organisée dans la station voisine de La Clusaz. Il en a pris le départ avec Théo Schely, qui évolue aujourd’hui en équipe de France B. « On a essayé et on a accroché. » En fait, décrypte-t-il, ce sport qui avait pour figure locale Vincent Vittoz correspondait déjà davantage au type d’effort qu’il apprécie. « J’aime le sport d’endurance, me faire mal », détaille l’athlète.
Une attirance qui fait désormais sa force en coupe du monde et lors des grands rendez-vous internationaux. « Il a une belle caisse », décrit Jules Chappaz. « Il est capable d’aller chercher loin la douleur », poursuit le compétiteur qui avoue, sur ce point précis, le prendre en exemple. Il ajoute : « Il a envie d’avancer, il ne se fixe aucune limite. » Sur la piste, Hugo Lapalus exprime donc pleinement son « âme de compétiteur ». Revers de la médaille : « Je suis hyper mauvais perdant », concède-t-il. Mais il n’est pas homme à ressasser durant des heures. « Quand quelque chose est passé, il tourne la page », confirme Zoé Lapalus, sa petite sœur.
Dans le nordique, il n’y a pas que la glisse qui allait séduire le néophyte. Il a découvert une ambiance où il se sent comme un poisson dans l’eau. C’est que, pour lui, les copains sont « hyper importants ». « Tout tourne autour de cela », explique-t-il. Passer du temps avec eux contribue à ce qu’il appelle son « équilibre ».
Dès qu’il regagne sa station, il s’empresse d’ailleurs de les retrouver. « Avec eux, je reste le mec que j’ai toujours été », martèle celui qui vit en colocation avec un de ses amis, Samuel Collomb-Clerc. Au sein de sa bande, le jeune homme joue les boute-en-train. « Il aime bien provoquer », s’amuse Arthur Jalle qui le connaît depuis qu’ils sont tout petits. Leurs parents sont amis. « C’est un mec qui met le sourire aux lèvres des autres », apprécie Camille Laude qui décrit un « mec hyper attachant ». « Sans copain, il ne serait pas là où il est maintenant, affirme carrément sa cadette. Il ne peut faire sans. »
Une médaille de bronze pour son premier relais
Pour l’équipe de France, cette personnalité se révèle un véritable atout. Elle correspond à l’ADN des Bleus qui réussissent de belles choses dès lors qu’ils se présentent en grappes. D’ailleurs, leur coach répète à l’envi que chacun a besoin du collectif pour progresser individuellement. Hugo Lapalus adhère naturellement à cette philosophie. Aussi, quand Alexandre Rousselet l’a choisi pour ouvrir le relais des Mondiaux allemands, le premier à ce niveau pour le Cluse, il n’a nourri aucune « inquiétude » pour ce que celui-ci allait montrer.
C’est donc entendu, Hugo Lapalus n’est pas un solitaire. S’il peut paraître « timide au premier abord », son naturel le pousse volontiers à aller vers les autres. C’est ainsi que, dans un bar d’Annecy (Haute-Savoie), en marge du Martin Fourcade Nordic Festival, il n’a pas hésité à apostropher Tiril Eckhoff, Sturla Holm Lægreid et autres stars scandinaves. « Quand nous étions en coupe d’Europe, tout le monde lui disait bonjour », se rappelle Camille Laude. Il avait l’image du « gars qui déconne mais qui performe. »
Aussi Hugo Lapalus attend-il avec impatience le mois d’avril. Au printemps, débarrassé des obligations du sportif de haut niveau, il aime faire la fête. Taquine, sa sœur retrouve alors son côté « immature ». Arthur Jalle parle d’une « soupape de décompression ». Avec le sportif, il est investi dans la Team Farté qui prépare, pour le 17 avril prochain, un boardercross qu’ils veulent débridé. « C’est un truc qui me fait vibrer », reconnaît le skieur.
Avec ses potes, il ne roule pas les mécaniques. Et ne comptez pas sur lui pour raconter ses exploits par le menu. « Ça le gène qu’on lui dise qu’il est champion du monde », s’amuse Camille Laude. « Il est très humble, trop parfois », regrette presque Zoé Lapalus. « Je ne sais pas s’il se rend compte de ce qu’il est en train de devenir sur le plan international », confirme Jules Chappaz.
« Hugo est un très bon skieur. Je le connais bien car j’ai beaucoup couru contre lui depuis un certain temps », considère le Suédois William Poromaa. « Pour moi, c’est un très bon athlète et un ami, témoigne l’Américain Gus Schumacher contre qui le Français bataille sur la piste et dans les classements. Il a un très bon esprit sportif. Il est toujours positif. J’aime vraiment le voir réussir ». « Un type formidable », résume-t-il. Mais aussitôt d’avouer qu’il s’en méfie comme de la peste dès lors que la course emprunte des parcours difficiles. À ce moment-là, il sait que le Frenchy peut « tenir le rythme et creuser l’écart ». Et, par là même, l’ennuyer comme les Amundsen et autres grands de demain.
L’admiration pour ses adversaires
« Moi, ils me font peur », glisse le Haut-Savoyard. Ce qui amuse Jules Chappaz. Ce dernier se rappelle qu’aux courses d’avant saison en Scandinavie, il a déjà vu son copain écarquiller les yeux et lâcher : « Ils sont tous trop forts. » Le week-end suivant, poursuit son compère, « il les allume tous ».
S’il est ainsi impressionné, c’est peut-être parce que Hugo Lapalus a vécu un décollage un peu difficile. Jusqu’à la classe de seconde, il suivait une scolarité « normale ». Après, les choses se sont gâtées. Il se souvient de la « réunion de crise » entre ses parents et son entraîneur. Qu’allaient-ils donc faire de lui ? Décision a finalement été prise de l’orienter vers un cursus adapté lui permettant de s’investir encore davantage dans le ski de fond. « J’ai eu la chance qu’ils me laissent le choix », remercie le fiston qui, depuis, a su leur montrer qu’ils ne s’étaient pas trompés.
Avec Jules Chappaz, il est notamment passé par deux ans d’enseignement à distance (CNED) et d’entraînement – partagé aussi avec Axel Maistre – pour « rattraper » le niveau du comité régional de ski du Mont-Blanc. Une fois dans la place, tout s’est enchaîné à la perfection pour le coéquipier de Maurice Manificat, Clément Parisse et Adrien Backscheider.
Alors même qu’il n’avait pas encore intégré les effectifs fédéraux, il disputait déjà ses premiers championnats du monde juniors à Rasnov (Roumanie), où il décrochait, en février 2016, la médaille de bronze du relais avec Martin Collet, Jules Lapierre et Camille Laude. Quelques semaines plus tard, il remportait un 10 km classique à Arber (Allemagne). Lors de la saison 2016-2017, Hugo Lapalus rejoignait logiquement l’équipe de France. « J’étais surpris que ce soit allé si vite », commente-t-il avec un peu de recul.
Au début, se rappelle Camille Laude, qui est resté très proche de lui au point de séjourner régulièrement dans la station des Aravis, « il ne s’entraînait pas énormément », quand d’autres ne s’accordaient aucun répit. « Moi, je suis un acharné, approfondit le fondeur du Vercors. Lui, il sait qu’il n’a pas besoin d’être tout le temps impliqué à 100 %. Il s’entraîne intelligemment. »
« C’est comme cela qu’il fonctionne, assure Jules Chappaz. Mais je ne suis pas sûr qu’en allant chercher plus de rigueur, il irait mieux. » On est loin de l’étiquette de dilettante qui lui est parfois attribuée. « Il a de la rigueur dans le travail. Je n’ai pas besoin de le mettre sur le droit chemin », confirme d’ailleurs Alexandre Rousselet, l’entraîneur des distanceurs tricolores. Mois après mois, il voit son poulain se bonifier. C’est qu’ensemble, ils ont œuvré à faire disparaître « certaines lacunes » que le skieur avait.
Celui-ci a aussi pris de l’épaisseur et gagné en régularité. De quoi lui permettre, à chaque saison, de gravir une marche supplémentaire. Cette progression et le potentiel qui en découle n’y sont pas pour rien dans son récent recrutement au sein de l’équipe de France militaire de ski (EFMS).
Aujourd’hui, le ski de fond, c’est l’essentiel de sa vie. Son beau parcours, Hugo Lapalus le partage avec son papa qui a longtemps été boulanger, avant de travailler avec sa maman, agent immobilier. Lui qui ne savait pas se servir d’un smartphone envoie désormais de longs messages. « Sa maman est assez protectrice », observe Arthur Jalle. « Elle veut être proche de lui, mais il est assez pudique », complète la frangine. « Je suis super fier de les rendre fiers », assure un fils pour qui ses parents ont toujours été présents « sans être trop là ». Comme lorsque, avant de partir pour le travail, ils mettaient le lait du petit-déjeuner au chaud dans le thermos.
En février, Hugo Lapalus va réaliser un rêve. Il va participer aux Jeux olympiques de Pékin (Chine). Rentrer avec une médaille en relais, spécialité tricolore, le comblerait. Il en raserait même sa fameuse moustache, comme pour marquer la fin d’un cycle et le début d’un autre.
Chose certaine, il va goûter son plaisir. « Je profite tellement de chaque instant, de la chance que j’ai de vivre tout cela », confie-t-il. Il se sent comme un « gosse à Noël ». Il se retrouve dans la peau d’un batteur qui partagerait la scène avec Dominic Howard ou d’un guitariste côtoyant les Keith Richards ou Carlos Santana. « J’admire tous les gars du circuit, je suis fasciné par leur façon de skier », répète-t-il.
Alexandre Rousselet juge positif qu’il ait gardé « cette petite fibre » et cette « fraîcheur » dans une saison où il joue les premiers rôles. Hugo Lapalus n’est plus le rookie qui pousse la porte de l’Olympe. Il y a désormais son rond de serviette, ses habitudes. De quoi lui donner bien des envies. Le Manigodin a déjà coché plus d’une case, mais il en reste, comme, à court terme, « aller chercher un podium » en coupe du monde (son meilleur résultat est une septième place à Val di Fiemme en janvier 2021) et, plus loin, se battre pour le petit globe de la distance. « Je le vois un peu comme le Manificat des années 2020 », avance Arthur Jalle.
Quelle que soit la suite de l’histoire (il se voit bien enchaîner sa carrière avec un poste d’entraîneur, « ou même comme technicien »), Hugo Lapalus pourra compter sur ses amis. Loin de chez lui, il se nourrira des moments partagés avec eux dans les montagnes qui l’ont vu grandir. Comme il éprouvera toujours du plaisir à emprunter la même piste d’entraînement parce qu’au final, quand il se bat loin de chez lui, tout cela est bien réconfortant.
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