Le grand portrait de Jacques Jefferies
[Portrait publié dans le numéro 41 de Nordic Magazine datant de février 2024]
« J’aurais pu devenir fondeur. » Aujourd’hui, c’est pourtant bien dans la peau d’un biathlète que Jacques Jefferies, vainqueur de la coupe de France il y a deux saisons, se présente dans les portillons de départ. Sur les circuits nationaux de ski de fond, le garçon d’origine britannique a pourtant longtemps rivalisé avec les leaders. « Une fois, j’ai fini troisième du classement général, derrière Mathis Desloges et Victor Cullet », se remémore-t-il. Ski de fond ou biathlon : il lui faut néanmoins faire un choix.
Il opte pour la seconde discipline, où il décroche notamment son premier podium sur la Junior Cup d’Obertilliach (Autriche) en décembre 2022. En mars 2023, il est sacré vice-champion du monde juniors du relais mixte à Shchuchinsk (Kazakhstan), en compagnie de Léonie Jeannier, Jeanne Richard et Théo Guiraud-Poillot. Aujourd’hui, il évolue au sein de l’équipe de France relève. Membre du groupe fédéral depuis désormais trois ans, le skieur des Gets (Haute-Savoie) ne « regrette pas » le chemin sur lequel il s’est engagé.
C’est que le garçon de Saint-Jean d’Aulps (Haute-Savoie) a rapidement trouvé ses marques. « Auparavant, j’ai fait du ski alpin dans le club de mon village. Mais je n’y suis pas resté longtemps [Rires] », se rappelle-t-il. « On s’est vite aperçus que Jacques n’était pas vraiment fait pour ce sport, indique sa mère, Samantha. À l’inverse, il a tout de suite bien aimé le ski de fond. L’esprit du club [Les Gets Ski Compétition, N.D.L.R.] lui a plu. En tant que parents, c’était le mieux pour notre enfant. »
Le plaisir a d’ailleurs toujours guidé le Haut-Savoyard. Et pas seulement dans les sports nordiques. Depuis des années, il pratique aussi la natation : « J’en fais encore, même si je n’ai pas toujours le temps. Je nage dans un club à Morzine. Si j’arrêtais le ski nordique, je ne pourrais par contre pas renoncer à la piscine. »
Déjà penser à l’après
Éclectique, il est aussi « un grand fan » de Formule 1 : « J’admire Lewis Hamilton, avoue-t-il. Il a montré qu’il était un sportif incroyable ».
Le septuple champion du monde possède le même passeport que lui. Jacques Jefferies est en effet né de parents britanniques, Samantha et Gareth, mais a vu le jour à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) et a grandi dans les montagnes. « Cela a toujours été une envie de mes parents de venir habiter dans les Alpes. Ils ont trouvé le meilleur endroit possible car Saint-Jean d’Aulps est à côté de Morzine et c’est plutôt réputé pour être très britannique », indique-t-il.
Chez les Jefferies, on n’a jamais cherché à élever un champion. « Cela a toujours été mon choix d’aller m’entraîner avec le club ou en dehors. Je n’ai jamais été poussé à faire une carrière à haut niveau. »
Un libre arbitre qui ne se limite pas qu’aux efforts physiques. Également étudiant en Bachelor de Digital et Business Development qu’il effectue à distance au sein de l’École de management de Grenoble (Isère), le biathlète voit plus loin que le bout de sa carabine : « C’est important de penser, dès aujourd’hui, à l’après. D’avoir ce double cursus permet aussi de rester actif pendant les mois d’avril, mai et juin. On peut également mener des projets à côté et ne pas toujours penser qu’au ski », détaille-t-il en homme prudent.
Ambassadeur de l’IBU
Depuis juin 2023, Jacques Jefferies occupe une place au sein du programme des ambassadeurs de l’IBU. Lui et plusieurs collègues ont en charge les questions de protection de l’environnement et de développement durable. « Notre but est de faire remonter à l’instance internationale ce qui pourrait être changé sur les différents circuits, explique-t-il. L’organisation est très ouverte et on peut tout leur dire. En échange, on est là pour promouvoir les bonnes actions que réalise la fédération. » Sa maman n’est pas surprise de voir son aîné – qui a deux sœurs plus jeunes – s’épanouir dans cette fonction. « Il s’est toujours intéressé aux autres. Déjà, quand il gagnait à l’échelle régionale, il était toujours le premier à féliciter ses adversaires, se rappelle-t-elle. C’est important pour lui. Son rôle à l’IBU le représente vraiment. Il veut aider. »
Si, dans le futur, il se voit bien évoluer au sein d’une institution comme celle-ci, c’est aussi pour mettre en lumière un autre sujet qui lui tient tout particulièrement à cœur : la santé mentale des athlètes. Une thématique trop souvent laissée de côté à son goût : « Il y a une énorme stigmatisation autour de cela et nous n’en parlons pas assez. Ce n’est pas normal que les gens aient peur de dire de ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent », déplore-t-il.
Pour faire évoluer les mentalités, il peut également compter sur l’important soutien de ses coachs en équipe de France, Claire Breton et Rachel Demangeat. « Cela nous tient à cœur à toutes les deux. On essaie de l’aborder de manière assez fréquente à l’entraînement, souligne cette dernière. On n’aborde pas forcément le sujet directement avec lui, mais je pense que l’on est sur la même longueur d’onde. On espère qu’il trouve son équilibre dans ce qu’on lui propose. On le soutient vraiment dans ses démarches. »
Cet esprit d’entraide, Jacques Jefferies le cultive depuis ses années de ski-club. Un passage qui a marqué l’enfant qu’il était. « Je suis très attaché à mes premiers coachs. René Copel, Jean-Yves Arvier, Bruno Koegler nous ont montré qu’on ne faisait pas du sport juste pour en faire, se souvient-il. C’était parce que l’on s’amusait et qu’on prenait du plaisir. J’étais toujours content d’aller m’entraîner. »
Arrivé au comité suite à de belles performances et un certain avantage sur les skis, le Montblannais a rapidement compris les enjeux de l’élite : « C’est là où je me suis rendu compte de ce qu’était la vie de sportif de haut niveau. C’est une immense chance d’avoir évolué au sein de ce comité », avoue-t-il, avec un brin d’émotion.
Un musicien qui a plus d’une corde à son alto
Un sentiment réciproque, comme l’explique son entraîneur d’alors, Aymeric Deschamps : « Jacques a une personnalité attachante et je pense être un coach assez proche de ses athlètes. On a travaillé ensemble pendant trois ans. Des années importantes dans sa construction. C’est donc naturellement que les liens se tissent et se gardent par la suite », confie-t-il à propos de son ancien protégé.
Durant ces années, le Gétois a aussi pu compter sur une camarade d’entraînement : la biathlète vainqueure comme lui de la coupe de France en 2022, Jeanne Richard, également membre du ski-club des Gets. Tous les deux champions d’Europe juniors du relais mixte aux côtés de Camille Coupé et Damien Levet à Pokljuka (Slovénie), ils ont noué une belle amitié. « La relation que j’ai avec Jeanne est hyper importante, décrit-il. Je la soutiens et elle me soutient aussi. Je suis hyper heureux de ce qu’elle fait. »
Jacques et Jeanne n’en restent pas moins de grands compétiteurs toujours prompts à mettre l’autre au défi : « C’est sûr que dans des sports comme le vélo, je vais plus vite qu’elle. Mais quand il faut aller faire une séance de course à pied en sa compagnie, ce n’est pas facile [Rires] ! » Se challenger, c’est aussi ce qui guide le biathlète. « C’est quelqu’un qui aime le défi. Il est hyper investi quand on lui propose une séance qui va être un peu dure sur le papier, explique Rachel Demangeat. Il aime bien répondre à ce côté challenge. Il est volontaire et il y va très rarement à reculons. C’est toujours un plaisir à l’entraînement. C’est un élément moteur du groupe. »
N’allez pas croire que le garçon de vingt et un ans ne consacre son temps qu’aux sports et à ses livres de classe. Comme tous ceux de sa génération, il passe aussi de nombreuses heures sur sa console. Grand amateur de jeux vidéo, en particulier Call of Duty et Farming Simulator, le jeune homme y trouve là un bon moyen pour « se détendre ». Même si ce dernier, finalement raisonnable, connaît ses limites et sait « qu’il ne faut pas en abuser ». Et lorsqu’il range sa manette au placard, l’altiste qu’il est n’hésite pas, dès qu’il le peut, à rejoindre le brass band de Saint-Jean d’Aulps, un ensemble avec lequel il se produit depuis quelques années. « Aujourd’hui, avec les entraînements et les compétitions, il est difficile d’aller aux répétitions et aux concerts, concède-t-il. Je joue pour la convivialité et pour être avec des personnes qui partagent la même passion. »
Un biathlète actif sur les réseaux sociaux
Également très actif sur X [ancien Twitter], le champion du monde juniors du relais en 2022 [avec Oscar Lombardot, Rémi Broutier et Paul Fontaine] s’intéresse vivement aux réseaux sociaux qui ont récemment pris de l’ampleur dans la sphère du biathlon tricolore : « Cela nous permet de montrer aux gens ce que l’on fait, car certains ne comprennent pas toujours ce qu’il se passe en dehors. » À condition de maîtriser l’outil : « Grâce à l’IBU, j’ai eu la chance de participer à des cours de media training pour savoir comment répondre à certaines questions, etc. Parler à un journaliste, c’est quelque chose qui s’apprend », admet celui qui confie recevoir « toutes les notifications de l’AFP et de la BBC ».
Peut-être qu’un jour, une des dépêches lui sera consacrée. « Je “kifferais” participer à des Jeux olympiques. Après, si je monte en coupe du monde, je serai déjà très heureux [Rires] ! Faire des podiums et des médailles serait tout aussi incroyable », énumère-t-il. Et pour lui, même si « l’échec fait partie du plaisir », il n’en oublie pas pour autant une phrase que lui rappelle encore aujourd’hui son sélectionneur en natation. « Né pour nager et nager pour gagner ». Une citation qui revêt une signification toute particulière pour le jeune biathlète : « J’y pense quand je fais du biathlon. Cela me permet de me focaliser à 100 % sur ce que je fais et, si j’y parviens, cela marchera un jour ».
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