Le grand portrait de Jérémy Royer
[Portrait publié dans le numéro 40 de Nordic Magazine datant de décembre 2023]
Cet hiver, Jérémy Royer, tête blonde, yeux bleus, portera les espoirs sportifs du Team Nordic Expérience Coste – Fromageries Marcel Petite. Il succède à Thomas Joly, ancien leader, actuel meilleur spécialiste français de la poussée, qui s’est engagé avec l’équipe norvégienne Næringsbanken.
« Il ne tient qu’à moi d’être fort et régulier », commente le skieur de Chamrousse (Isère), qui ne s’attendait certainement pas à endosser ce rôle aussi tôt. « Il a la tête sur les épaules et les pieds sur terre », rassure Maxime Grenard, son coach qui, durant l’été, a observé son poulain partager sa motivation avec les autres membres du groupe.
De l’envie, l’athlète n’en manque pas depuis qu’il a décidé de poursuivre sa carrière sur le circuit professionnel des longues distances. Un choix réfléchi qui l’a contraint à renoncer au fond spécial et à ses envies de coupe du monde et de Jeux olympiques. « Il se sentait plutôt bien en équipe de France et aurait pu avoir un parcours fédéral », note Rémi Salacroup, ancien biathlète chamroussien qui fut, durant trois ans, son entraîneur au sein du Team Vercors Isère.
Dans ses jeunes années, Jérémy Royer – qui a connu son lot de chutes et bris de bâtons – était notamment remarqué pour ses qualités de sprinteur. Mais pas seulement, le skieur sait être polyvalent. Aujourd’hui, il a donc pris un autre chemin, celui de plus belles courses internationales. De plus en plus de compétiteurs s’y engagent sans qu’ils le considèrent comme un pis-aller. Autrement dit, il n’y a pas qu’une façon de pratiquer le haut niveau dans la discipline nordique. Encore faut-il l’admettre et s’en convaincre. « Il a mis un peu de temps à franchir le pas, mais c’est désormais sa priorité. Il se donne les moyens de réussir », se félicite Maxime Grenard.
Au cœur de la mêlée
Le jeune homme de vingt-quatre ans n’a rejoint le TNE qu’il y a un an. La première fois qu’il a goûté à la Ski Classics, c’était à l’occasion de la Diagonela, la saison précédente (il avait terminé à la 36e place). En Suisse, se souvient-il, « c’était la guerre ».
Une bataille acharnée pour ravir les meilleures places qui n’avait rien à voir avec ce qu’il avait connu jusqu’ici. Il n’en avait pas été effrayé pour autant. Loin de lui en tout cas l’idée de renoncer et se contenter du confort des populaires hexagonales, où il a brillé à plusieurs reprises. Il est déjà monté sur le podium de la Transju’classic (2022 et 2023). Son palmarès comprend aussi une victoire sur le Marathon international de Bessans (Savoie) et sur le 25 km de la Foulée Blanche, dans le Vercors, où il habite aujourd’hui. En ski-roues. Il a encore disputé une OPA à Prémanon (Jura) et remporté les deux éditions du Porsel Criterium, la mass-start classique de quarante-quatre kilomètres du Dupaski Festival.
De toute façon, la cour des grands n’a jamais fait peur au benjamin d’une fratrie de trois garçons. L’envie irrépressible de faire aussi bien, en tout cas la même chose, que les grands a constamment été son carburant. « Nos parents nous ont toujours poussés à faire du sport. Jérémy avait la volonté de faire comme nous faisions, malgré sa petite taille », raconte Gabriel, cinq ans de plus que le « classiqueur ». Le ski de fond, c’est David, l’aîné, qui l’a installé dans cette famille d’ingénieurs (des parents aux enfants, « dans le sang »). « Mon frère a été performant dès le début », ajoute-t-il, non sans fierté dans la voix pour ce que réalise le petit dernier.
Rémi Salacroup se rappelle pour sa part du garçon qui effectuait « les mêmes sorties [du Ski Nordique Belledonne Chamrousse (SNBC), présidé par le père de Jérémy] que nous, avec cinq ans de moins ».
Ce trait de caractère, l’athlète l’a gardé sur les skis. « Il ne s’est jamais posé de limite : “Les autres sont capables, je suis capable” », décrypte celui qui a encore accueilli son protégé lors d’un stage à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales) mi-octobre. Les héros de la discipline ne sont dès lors pas appréhendés par Jérémy Royer « comme des modèles à suivre, mais comme une motivation » au minimum à les égaler, analyse Gabriel.
C’est dans cet état d’esprit que, sur la saison 2022-2023, le fondeur a découvert la Ski Classics dans son intégralité. Pour lui, chaque départ a été un baptême du feu. Heureusement, raconte-t-il, les anciens l’ont tenu par la main, à l’exemple d’Antoine Auger qui l’a pris sous son aile. « Je vais pouvoir l’aider pour ce qu’il ne sait pas faire », s’est alors dit le Haut-Jurassien, fervent défenseur de l’« esprit cycliste » dans le ski de fond.
Immédiatement, il a été impressionné par la « maturité » du rookie. Son niveau ne lui était certes pas étranger : « Avant de nous rejoindre, il nous donnait déjà du fil à retordre. Avec Yan Belorgey [également membre du Team Vercors Isère], il était l’homme à abattre », rit-il. Mais le « petit nouveau » montrait une surprenante capacité à se « donner les moyens de faire une bonne course à chaque fois ».
Au fil des mois, le Dauphinois a naturellement beaucoup grandi. Le binôme qu’il a formé avec Thomas Joly n’y est pas étranger. « Ils se marquaient à la culotte », image leur ancien coéquipier. « Ils se tiraient vers le haut », juge Maxime Grenard.
Le Haut-Doubiste reconnaît, lui, « une belle progression sportive mutuelle » : « On a quasiment le même niveau, mais pas les mêmes qualités. Par exemple, je suis performant à plat et sur les finishs ; Jérémy performe dans les montées et les efforts longs et continus ». Dès lors, sur les épreuves, les deux frenchies se sont retrouvés à skier ensemble. De quoi leur permettre d’échanger sur la stratégie à mener, d’« effectuer les efforts au même moment pour que ce soit plus facile pour chacun » et de se donner un coup de main quand l’occasion se présentait : « On étaient deux et pas tout seuls », a apprécié le Franc-Comtois.
Apprendre à donner un coup d’épaule
Le 26 août dernier, sur l’Alliansloppet, la course de ski-roues la plus populaire de Suède, les deux compères en ont d’ailleurs agacé quelques-uns. Bien que défendant des couleurs différentes, ils ont joué la carte tricolore. Si Thomas Joly a gagné, c’est notamment, de son propre aveu, grâce au « petit coup de pouce » donné par Jérémy Royer. « Je n’avais pas les cannes pour gagner. J’ai aidé Thomas », a confié ce dernier à son frère, après l’arrivée. « Il connaît ses limites. Il a conscience de son niveau », explique encore Gabriel, qui n’a jamais entendu le compétiteur reporter ses fautes et ses manquements sur autrui.
Depuis un an et demi, la jeune recrue du printemps 2022 a donc réussi sa reconversion, démontrant décidément sa « capacité d’adaptation » que souligne une nouvelle fois Rémi Salacroup. Les résultats le prouvent : à la fin de la saison, il occupait certes le 29e rang du classement général, mais n’était que le troisième non Scandinave.
Celui qui a participé aux Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) en 2016 entend d’ailleurs encore progresser. Il espère signer son premier top 10, et lorgne du côté du maillot rose (pourquoi pas un top 5 dans cette hiérarchie des meilleurs jeunes ?). Pour cela, il va devoir encore approfondir sa « science de la course ».
Il doit améliorer son alimentation, son endurance – « il a réglé ces problèmes », prévient Thomas Joly, qui l’a beaucoup vu durant les mois de préparation – et se lâcher quand il s’agit de donner des coudes. « Je dois oser prendre davantage ma place », admet-il. Un comportement agressif qui va à l’encontre de sa personnalité. « Ce n’est pas dans sa nature », observe Maxime Grenard. « Dans l’emballage final, il manque aussi un peu d’expérience », ajoute-t-il. En fait, il se laisse parfois enfermer. Sa sixième place sur l’impressionnante montée du Lysebotn, épreuve inaugurale du Blink Festival norvégien, confirme néanmoins les progrès.
Mais voilà, l’homme est un gentil. Sur les skis, « c’est sa qualité et peut-être son plus grand défaut », juge son frère. Mais l’élève ingénieur en génie industriel à Grenoble (Isère) aime plus que tout partager de bons moments avec les copains, être entouré des gens qu’il aime. Il vit d’ailleurs dans une grande colocation qui a vu passer Jules Chappaz, Martin Collet…
« Passionné » selon les uns, « autonome et débrouillard » pour les autres, Jérémy Royer a encore de belles pages à écrire. « Il a un très gros potentiel physique, d’importantes capacités musculaires. Il est capable d’aller très vite, de suivre les meilleurs du monde, sur n’importe quel profil », prévient Thomas Joly, qui reconnaît aussi apprécier leurs « petits duels entre potes », histoire de savoir qui a le dernier mot. Aussi, cette saison, espère-t-il courir « contre Jerem en France et avec Jerem sur la Ski Classics ».
« C’est aussi l’une des personnes les plus besogneuses que je connaisse », complète son cadet. Il se souvient de ses interminables séances de skierg dans le garage familial durant le confinement. S’il n’a pas encore réalisé tous ses nouveaux rêves – dont il a fait ses priorités –, il s’en donne en tout cas les moyens. En attendant, Jérémy Royer vit « sa plus belle vie ».
A lire aussi
- Grand portrait : Lou Jeanmonnot, fine gâchette
- Grand portrait : Joséphine Pagnier, magistrale envolée
- Grand portrait : Clément Dumont, le biathlon dans le sang
- Grand portrait : Jacques Jefferies, pour le plaisir
- Grand portrait : Jules Chappaz, l’opiniâtre
- Les skis de Jérémy Royer dans les mains de l’ancien farteur de Johannes Hoesflot Klæbo
- Jérémy Royer à Nordic Magazine après l’annonce de son transfert au Team Eksjöhus : « Une énorme opportunité d’aller là-bas pour progresser »
Les cinq dernières infos
- Saut à ski | Championnats d’Autriche d’été : Jacqueline Seifriedsberger et Michael Hayboeck titrés sur le grand tremplin de Bischofshofen
- Combiné nordique | Bischofshofen : Thomas Rettenegger champion d’Autriche d’été sur la mass-start
- Saut à ski | Combiné nordique : tous les résultats des championnats d’Italie d’été organisés à Villach
- Biathlon | Challenge national U15 d’été de La Féclaz : le second sprint féminin pour Lilou Marguier, de l’AS Oye-et-Pallet
- Rollerski | « Les raisons sont multiples » : pourquoi la troisième édition du Dupaski Festival d’Arnaud Du Pasquier n’a-t-elle pas eu lieu ce week-end ?