Le grand portrait de Julien Arnaud
[Portrait publié dans le numéro 40 de Nordic Magazine datant de décembre 2023]
En ce 25 mars 2023, Julien Arnaud débarque à Lahti (Finlande) sur le circuit de la coupe du monde de ski de fond. S’il a obtenu son ticket pour cette étape de clôture de la saison 2022/2023, c’est qu’il vient de remporter le classement général de l’OPA Cup, l’équivalent de la coupe d’Europe. Une couronne arrachée au bout du suspense à Toblach, en Italie.
Elle lui donne aussi le droit de participer aux premières épreuves de l’exercice 2023/2024. De quoi faire entrer le Haut-Alpin dans une nouvelle dimension. « De commencer en coupe du monde, cela me fait un peu stresser, admet-il, quelques semaines avant cette échéance, dont il a si souvent rêvé. Je sais que je suis dans le concret. Là, je rentre dans le vif du sujet. »
Une entrée en matière peaufinée en réalité depuis trois ans dans les moindres détails, aux côtés de son entraîneur en équipe de France relève, Mathias Wibault. « On essaie de faire en sorte qu’il progresse chaque année sur la charge d’entraînement. S’il veut s’installer au très haut niveau, il doit arriver à supporter ce volume plus important », indique le coach.
Que de chemin parcouru depuis ses descentes sur les pistes d’alpin des Menuires (Savoie), station de son enfance, et ses premiers pas sur les skis de fond. D’abord en Savoie, puis dans les Hautes-Alpes. « Il allait tout seul à l’arrêt de bus en préparant ses skis pour se rendre au club. Déjà, ce sport l’animait », se souvient sa mère, Valérie.
Là où il a surpris son entourage, c’est en revêtant un dossard. A priori, il n’avait en effet rien d’un compétiteur. « Récemment, ma nounou me disait que, s’il y en a un qu’elle ne voyait pas faire de la course, c’était bien moi [Rires] ! J’étais assez calme et réservé. Prendre des départs m’a permis de davantage m’ouvrir aux autres », confie-t-il. Des propos confirmés par son entraîneur au sein du comité Alpes-Provence de l’époque, Guillaume Humbert : « Quand les résultats sont venus, il s’est mis en confiance sportivement, comme personnellement. » Au point de devenir « une machine » : « Il ne se met pas de contrainte. Il fait ce qu’il y a à faire dans la bonne humeur. Il ne râle jamais. »
Dès son plus jeune âge, Julien Arnaud a pris conscience des enjeux du sport de haut niveau. C’est à neuf ans que le premier déclic s’est d’ailleurs effectué. « J’ai un mental de gagnant que mon papa avait un petit peu aussi. Je me souviens, à l’époque, aux Menuires, il y avait le biathlète Vincent Jay. Inconsciemment, je pense que c’est son titre olympique [à Vancouver (Canada) en 2010, N.D.L.R.] qui m’a donné l’envie, raconte-t-il. Je me suis dit que je voulais faire comme lui. À partir de ce moment-là, j’ai procédé par étapes en voulant performer. »
La tête et les jambes
Et ses premiers trophées n’ont pas tardé à s’accumuler sur son étagère. Sacré champion du monde du relais lors des derniers Mondiaux U23 à Whistler (Canada), également médaillé de bronze sur la mass-start, l’éternel amoureux de la Provence et des Alpes possède déjà un beau palmarès. Des performances que le pensionnaire du ski-club Montgenèvre Val Clarée (Hautes-Alpes) a réussies sans négliger, dans le même temps, ses études.
La tête et les jambes. Il a récemment intégré le prestigieux parcours de Sciences Po, à Paris. Heureusement, le cursus est aménagé pour sa situation : « Je voulais faire cette formation depuis tout petit. J’ai passé mon BAC à Villard-de-Lans (Isère) avec cette idée et les profs m’ont toujours soutenu. Actuellement, je travaille sur l’Antiquité… et c’est tout ce que j‘aime », explique-t-il.
Une trajectoire qui séduit et rassure ses parents, qui l’ont encouragé dans ce double parcours. « Je suis très content et fier de lui et j’espère que ce n’est pas terminé. En même temps, j’essaie de l’orienter pour lui dire que ce qu’il fait aujourd’hui, c’est magnifique. Il faut qu’il aille jusqu’au bout, mais il doit prendre en compte que cela ne durera pas toute la vie, juge Patrick, son père. C’est pour cela que je suis très content qu’il en soit là. » Et la maman d’acquiescer : « Je suis fière, mais surtout heureuse pour lui. C’est l’objectif qu’il avait depuis toujours, s’enthousiasme Valérie, confiante dans la destinée de son fils. Julien, c’est une force tranquille. Il a un objectif et il va jusqu’au bout. J’ai toujours été persuadée qu’il y arriverait. »
Cette implication, Julien Arnaud ne l’a pas que pour son sport et son projet scolaire. Il est également incollable sur l’Histoire de France ou encore le cinéma. Il profite d’ailleurs du moindre moment de calme pour rejoindre son canapé et visionner quelques classiques du patrimoine français : « Ma photo de profil sur Instagram, c’est Belmondo ! J’adore les films de Belmondo et aussi ceux de Delon ou Lino Ventura. Parmi mes préférés, il y a L’Aventure, c’est l’aventure de Claude Lelouch. C’est le cinéma que j’adore », énumère-t-il. Une passion d’ailleurs partagée avec l’un de ses collègues de l’équipe de France, Clément Parisse : « On s’envoie souvent des vidéos sur les réseaux sociaux », glisse-t-il.
Romancier de l’Histoire
À côté des DVD, dans la chambre familiale, sont rangés ses livres. Bientôt, il pourra y glisser son roman commencé en classe de troisième, dont il vient de terminer l’écriture. Il y parle de la Résistance, passion inculquée par son ancien instituteur, Dominique Chopard, du Général de Gaulle et du débarquement de Provence : « Quand tu lis, tu vis mille vies. D’écrire ce livre et créer cette aventure me fait replonger dans la grande Histoire. Parler de cette époque me permet aussi de rendre hommage à ceux qui se sont battus pour la France et la liberté. La mémoire est quelque chose de très important pour moi. »
Son père, également passionné de lecture, avoue qu’il ne cesse d’être surpris par son fils. « Ce qui est génial dans notre relation, c’est qu’il m’apprend plein de choses. Je lui ai mis à disposition une bibliothèque plutôt garnie. Il a lu ce qui l’intéressait. Cela l’a amené vers ses propres choix, observe-t-il. Il me surprend et je suis très loin d’avoir sa culture cinématographique. Il y est allé naturellement et je ne sais pas d’où cela vient. Il a acquis par lui-même une culture qui m’impressionne ».
Si le fondeur est un fan de Bébel plutôt que de Clint Eastwood ou de Chuck Norris, c’est parce qu’il possède un vrai attachement pour tout ce qui incarne sa patrie : « Quand j’ai la veste tricolore sur le dos, je défends alors mon pays. Ce n’est que du sport, mais cela me procure des émotions. Quand tu as marqué “France” sur la combinaison, tu es obligé de te dégommer [Rires] ! », détaille-t-il.
Chauvin donc et fier de l’être, le skieur de vingt-deux ans est parfois comparé à Loránt Deutsch ou encore Franck Ferrand par ses coéquipiers. Le sportif en rigole : « J’exagère parfois un peu le trait avec les copains car ils savent comment je suis et que je me fais de la France une idée de quelque chose de très grand », insiste-t-il, dans un sourire.
La force est avec lui
Son meilleur ami et partenaire en équipe nationale, Gaspard Rousset, est pour sa part subjugué par sa culture. Il confirme qu’avec lui, il y a « toujours un sujet de discussion ». Il le qualifie même de véritable « encyclopédie ». Et de très bon conteur. « Quand il le raconte, c’est accrocheur », se félicite son pote moustachu.
Prolixe, le jeune fondeur n’en reste pas moins un garçon discret. Il est rare qu’il expose ses états d’âme. « Je ne l’ai jamais vu faire la tête », raconte Guillaume Humbert. C’est que, pas du genre à se plaindre, l’intéressé s’est forgé un mental de guerrier au fil du temps.
Même « s’il ne fait pas toujours partie des plus bosseurs », comme l’admet Mathias Wibault, le Haut-Alpin sait se « transcender dans les moments qui comptent ». Un comportement qui ne cesse d’impressionner ceux qui le côtoient. « Il a une vraie force psychologique qui est essentielle dans le sport de haut niveau, confie son entraîneur en collectif fédéral. C’est ce qui fait la différence chez les plus grands. »
Au ski-club, cette volonté à toute épreuve avait déjà été remarquée par Christian Fine, l’un de ses premiers coachs : « Au début, il a eu du mal, mais il a travaillé. Il s’est toujours accroché. Il se fait mal comme personne ne se fait mal. Il ne fait rien à moitié. »
Il n’est donc pas homme à venir pleurnicher après : « Quand ça n’allait pas, il ne l’a jamais montré. Pour la séparation de ses parents, il ne nous l’a dit que quelques mois plus tard. Cela ne devait pas être évident de tout gérer pour lui. C’est ce qui en fait une personne particulière », complète Guillaume Humbert qui l’a vu éclore au haut niveau sous sa houlette et celle de son collègue Mathieu Fort.
L’équipe, une seconde famille
Pour autant, Julien Arnaud n’a rien d’un loup solitaire. Il a besoin de se sentir entouré et protégé. « Cela fait trois ans que, lorsque je pars en stage, je suis comme en vacances avec les potes, déclare-t-il, sourire aux lèvres. Mes copains, c’est presque le socle. On se tire les uns et les autres vers le haut. Tu te soutiens, tu travailles ensemble, tu grandis ensemble. Mon équipe, c’est ma famille. »
En colocation avec Gaspard Rousset pendant la dernière préparation estivale à Prémanon (Jura), il n’est pas le seul à avoir besoin de cet « appui quotidien » pour performer. « On fonctionne de la même façon. Cela apporte une certaine sérénité car, quand l’un ou l’autre ne va pas bien, on peut en parler. C’est important d’avoir une relation comme celle-ci, apprécie le Savoyard. Avec Juju, on se dit toujours que le ski de fond est un sport individuel qui se pratique en équipe. Ce serait excellent de faire les saisons ensemble en coupe du monde. C’est même un objectif. »
Pas étonnant dès lors qu’il se transforme en président de fan-club pour son ami qui, cet hiver, va jouer en première division : « Il a clairement les capacités de s’installer dans le groupe A et de faire de belles performances. Je suis content qu’il nous montre la voie et qu’il prouve que ce n’est pas inatteignable. » Comme, à l’acmé de tout ce qu’il peut espérer, faire résonner un jour La Marseillaise lors d’un grand évènement international.
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