Le grand portrait de Lou Jeanmonnot
[Portrait publié dans le numéro 40 de Nordic Magazine datant de décembre 2023]
« Je me souviens d’une de ses premières courses nationales chez les cadettes, aux Plans d’Hotonnes. Cinq minutes avant son départ, elle était toute stressée. Nos regards se sont croisés. Je sentais qu’elle avait besoin que je lui parle et je lui ai lancé : “Si tu fais ce que tu sais faire, tu vas gagner.” Avec un 10/10, elle l’a emporté. »
Cette anecdote, racontée par Ludovic Bourgeois, son premier entraîneur, résume parfaitement le personnage qu’est Lou Jeanmonnot, aujourd’hui une des têtes de gondole du biathlon féminin français. C’est après sa première place au classement général de l’IBU Cup en 2022 que la Doubiste a intégré le groupe d’entraînement A. Elle ne l’a plus quitté depuis.
Au point que la native de Pontarlier (Doubs) a connu ses premières grandes émotions en coupe du monde lors de la saison 2022/2023 : première cérémonie des fleurs dans la folie du Grand-Bornand (Haute-Savoie), premiers podiums individuels à Ruhpolding (Allemagne) et Östersund (Suède) et, même, premières victoires en relais à Hochfilzen (Autriche), Antholz (Italie) et Nove Mesto (République tchèque).
« On peut croire que j’ai percé tard, mais je n’ai aujourd’hui que vingt-cinq ans ! Je ne sais pas à quel âge Nanass [Anaïs Bescond] ou Anaïs Chevalier-Bouchet ont commencé à faire de très bons résultats, mais je pense que je suis largement dans le timing. Je n’ai jamais été en avance, ni en retard ! En plus, j’ai progressé chaque saison. »
Lou Jeanmonnot-Laurent au civil –pour accoler le nom de sa maman, Sylvane, qui ne figure pas sur son passeport et n’a donc pas été pris en compte par l’IBU – a eu très tôt l’assentiment fédéral. Avant même sa majorité, en 2015, elle intégrait le groupe juniors de la Fédération française de ski (FFS). Une sélection survenue quelques semaines après sa victoire sur la poursuite du Festival olympique de la jeunesse européenne (FOJE) disputé à Bürserberg (Autriche).
Plutôt introvertie, la jeune femme prenait alors en famille une décision importante : elle déménageait à Prémanon (Jura) et passait le bac avec le Cned (Centre national d’enseignement à distance). Une entrée dans la vie d’adulte en accéléré. C’est aussi l’époque des rencontres décisives avec ses camarades de jeu, Myrtille Bègue, Émily Battendier, Léna Arnaud et Caroline Colombo.
Avec sa coéquipière de Mouthe (Doubs), elle avait déjà écumé, l’été venu, les compétitions de VTT de toute la Franche-Comté. « Elle n’avait pas le permis, se souvient celle-ci. C’était Léna [Arnaud] et moi qui la véhiculions. Elle était très timide et trop cloisonnée dans le biathlon. » En tout cas, la petite bande s’entend bien. « J’ai parfois l’impression qu’on lui a un peu fait son éducation, s’amuse la Meuthiarde. Il y a mille anecdotes sur cette année qui lui a permis de se libérer et d’être davantage elle-même. Elle a vu qu’elle pouvait performer en ayant une vie cool. » Elle présente aussi sa condisciple comme « une grande travailleuse ».
Une acharnée de travail
Un trait de caractère que retient volontiers Ludovic Bourgeois, qui l’a entraîné du ski-club au comité, jusqu’à son passage en équipe de France. « Ce n’était pas une surdouée, mais une acharnée de travail qui, dès ses débuts chez les benjamines, me suivait toujours à la trace, estime le Franc-Comtois, devenu au printemps technicien des combinés tricolores. Maintenant, les carnets d’entraînement sont en ligne et se remplissent automatiquement. Mais, quand elle était cadette, c’était encore sur un classeur Excel. Il fallait envoyer un mail à l’entraîneur le dimanche soir et il n’y en a pas eu un seul où je n’ai pas reçu son fichier. »
Ce n’est peut-être pas un hasard si, comme Caroline Colombo, elle annonçait déjà à son coach avoir l’ambition « de faire du haut niveau ». « Ce qui est rare », note celui-ci. Depuis toute petite, Lou Jeanmonnot rêve en effet de médailles, de globes de cristal et de gloires olympiques. « De la Junior Cup à l’IBU Cup, je trépignais pour monter sur le circuit du haut. Même combat pour la coupe du monde », se rappelle-t-elle, sourire aux lèvres.
Or, la biathlète est obstinée. « C’est une qualité pour les sportifs de haut niveau, mais aussi un bon gros défaut », reconnaît-elle. « Elle est têtue et butée, confirme Caroline Colombo. Même si elle sait qu’elle a tort, elle ne le dira pas ! »
Léna Arnaud, monitrice de ski nordique à Val d’Isère, terre savoyarde de ski alpin, et créatrice d’une marque de lunettes solaires, Raised Together, avec son frère Léo, nuance un peu : « C’est la personne la plus contradictoire que je connaisse. C’est pour cela qu’on met du temps à la connaître vraiment. Elle est complexe, un peu comme le biathlon. » Selon elle, sa copine « est assez intelligente pour écouter les gens qui l’entourent et faire le tri. Je ne l’ai jamais vraiment vu s’entêter dans des conneries (sic). »
« Elle est très calme, mais très déterminée », corrobore sa petite sœur, Prune, ancienne biathlète du Massif jurassien. Une quiétude qui s’accompagne immanquablement d’une modestie toute doubienne. « L’hiver dernier, malgré ses résultats, elle ne se vantait pas, en rentrant à la maison, rapporte sa cadette. Elle nous racontait ses exploits pas comme si elle n’en était pas l’auteure, mais presque. »
Il n’empêche, sa famille est sa plus grande fan, à l’exemple de son grand-père qui, lors du Summer Tour d’Arçon (Doubs), en octobre dernier, est venu demander au dessinateur de la BD Première cible – la première consacrée au biathlon – de croquer sa petite-fille.
« Lou est hyper humble. Cela vient de son parcours. Je pense qu’elle s’est construite en ayant absolument conscience qu’un jour, sa course peut être phénoménale et, le lendemain, terrible. Elle a toujours travaillé dans cet esprit-là », analyse Léna Arnaud. Autrement dit, rien n’est jamais acquis. Un revers de fortune est toujours possible et personne n’est jamais vraiment arrivé à destination. Il faut donc avancer et en vouloir toujours plus. Lou Jeanmonnot valide : « Je ne suis pas du genre à m’entraîner pour me satisfaire d’une deuxième place. »
Une tireuse née
Dans ses jeunes années, la Franc-Comtoise aux nombreux tatouages (sans forcément de rapport avec le biathlon) avait déjà son petit caractère. Histoire racontée par Ludovic Bourgeois : « Aux Plans d’Hotonnes, elle fait un sprint avec énormément d’erreurs et termine loin des premières places. Après sa course, j’étais avec Frédéric Jean, qui s’occupait des Jurassiens. Elle est arrivée vers nous et, sans qu’on puisse parler, elle a dit : “Demain, je me venge.” Le dimanche, elle a pris le départ du relais par comité en première position et a lancé sa coéquipière avec cinquante secondes d’avance. »
L’hiver dernier, en coupe du monde, elle a en quelque sorte eu la même réaction. À Kontiolahti (Finlande), en décembre 2022, elle a plombé le quatuor tricolore, avant de réagir et de s’imposer comme l’un des maillons forts sur le format les mois suivants. « C’est fou l’athlète qu’elle est devenue en peu d’années. Pas grand monde l’attendaient à ce niveau. Elle est toujours restée un peu cachée, elle s’est construite dans son coin, un peu toute seule, mais en s’entourant des bonnes personnes », observe Léna Arnaud.
Pour progresser, Lou Jeanmonnot a pu s’appuyer sur son tir, indéniablement son point fort. L’explication est à chercher dans son parcours. Dès le collège, elle s’est en effet retrouvée devant les cibles. « À Mouthe (Doubs), j’ai eu la chance de bénéficier de créneaux libérés pour faire du sport. Tous les jeudis soir, on faisait du tir à dix mètres avec un monsieur qui s’appelait Norbert, ce qui m’a bien aidé ! »
De surcroît, son papa Didier – un ancien skieur alpin – s’occupait du club de tir du village. « Elle a eu des bases solides grâce à cela, estime Ludovic Bourgeois. En troisième, pour le premier debout de sa vie, elle a fait cinq sur cinq. Il y avait certainement une part de réussite, mais quand même… »
Une carabine chouchoutée
« J’ai toujours eu le feeling derrière la carabine », avoue la biathlète qui, en plus, reconnaît une vraie appétence pour l’exercice. Quand on lui en demande les raisons, elle répond dans un éclat de rire : « Ceux qui tirent savent. C’est une sensation que j’aime bien. Et, quand ça marche, c’est satisfaisant ! »
La recette magique de la Doubiste est décryptée par Caroline Colombo, son acolyte de (presque) toujours : « Elle réussit son tir par sa concentration instantanée. Elle branche le cerveau de manière efficace. Comme elle a très tôt été forte au tir, elle a capitalisé énormément de confiance. C’est une force pour elle maintenant. »
Des performances qui nouent l’estomac de Léna Arnaud : « Je me souviens d’une course à Prémanon où elle avait tiré à vingt-survingt sur une mass-start. J’étais sur la butte avec de la musique dans les oreilles, et c’était si bien fait que j’ai pleuré ! Elle était en train de devenir une athlète tellement forte. » Elle ajoute : « Déjà, quand c’était un tout petit bout de femme, qu’elle était toute jeune, elle faisait cela ! Autant elle est très discrète, autant elle a vraiment de l’assurance au tir. Elle se transforme et devient hyper sûre d’elle. »
Pour la Doubiste, qui a signé un contrat avec l’Armée il y a deux ans, l’outil qui lui permet de faire se lever les foules, sa carabine, a une vraie valeur sentimentale. « C’est un bel objet, commence-t-elle. Même si j’ai changé régulièrement des éléments, cela fait dix ans que je l’ai. C’est toujours mon papa qui la peint et qui la répare quand il y a un problème. » Une carabine 22 long rifle passée du gris au mauve l’été dernier. Et de confier : « Quand j’étais plus petite, elle avait régulièrement droit à son petit bisou. Maintenant, je suis adulte, je le fais moins ! »
En biathlon, le tir seul ne suffit pas quand on veut jouer avec les meilleures. Il faut aussi skier vite et bien. La Franc-Comtoise a longtemps cru que le ski de fond était son talon d’Achille. Aussi a-t-elle tout fait pour s’améliorer. Depuis l’arrivée de Cyril Burdet à la tête de son groupe d’entraînement, des progrès ont d’ailleurs été enregistrés.
« Je n’ai jamais autant évolué en deux ans sur les skis qu’avec lui », confirme-t-elle, n’oubliant pas de remercier Baptiste Desthieux, qui a établi sa programmation durant de nombreuses années. Au très haut niveau, c’est dans les détails que les championnes se révèlent. C’est justement ce que lui a apporté Cyril Burdet : « Quand j’ai découvert Lou, c’était une athlète vraiment complète, avec des grosses qualités physiques, aussi bien en aérobie, en VO2 max que sur les qualités musculaires. Cela me semblait assez étonnant de voir les temps de ski qu’elle faisait, se souvient le Savoyard. En la voyant évoluer sur les skis, j’ai vu qu’elle utilisait très peu ses jambes. Il y avait des lacunes techniques évidentes. » Des progrès rapides qui ont permis à Lou Jeanmonnot d’améliorer son rendement sur les skis de fond.
Des rêves plein la tête
En réalité, et contrairement à ce qu’elle croyait, Lou Jeanmonnot n’est donc pas mauvaise sur les planches. « Jeune, son ski était loin d’être ridicule, juge même Ludovic Bourgeois. Je me rappelle qu’elle fait une fois deuxième en coupe de France cadette en skate et quatrième en classique. »
« Je n’exploitais pas à 100 % mes capacités. J’avais tellement à l’esprit que j’étais meilleure en tir que j’en suis presque venue à penser que je n’étais pas bonne sur les skis de fond », dissèque l’intéressée. Cyril Burdet regarde donc l’évolution de son athlète avec une pointe d’émotion : « Voir quelqu’un se libérer ainsi fait forcément plaisir ! »
En été, la jeune biathlète sait aussi s’exprimer en ski-roues. En septembre dernier, elle l’a encore démontré en remportant la course du Martin Fourcade Nordic Festival d’Annecy (Haute-Savoie) devant des médaillées olympiques. « Je me doutais qu’elle serait dans le coup compte tenu de ce qu’elle montrait à l’entraînement et ce qu’elle était capable de faire sur des séances spécifiques. Après, face à des filles comme Victoria Carl et Teresa Stadlober, c’était difficile de se projeter. C’est le genre d’expérience qui doit la renforcer dans sa confiance », reprend son coach.
C’est d’ailleurs des skis à roulettes que Lou Jeanmonnot tient ses compétences de fondeuse. « On sait tous les deux d’où elle est partie il y a deux ans et il ne s’agit pas de vouloir griller les étapes. Il faut accepter qu’on puisse prendre son temps. Elle a certainement gagné les secondes les plus faciles, les dernières sont peut-être plus difficiles à aller chercher. »
Encore une fois, à remettre cent fois son ouvrage sur le métier, la jeune femme, qui rêve d’or et de cristal comme un certain Martin Fourcade avant elle, pourrait bien faire de ses rêves une réalité.
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