Le grand portrait de Mattéo Baud
[Portrait publié dans le numéro 39 de Nordic Magazine datant de février 2023]
Il est le combiné français qui a mis fin à la longue traversée du désert. Le 27 novembre 2022, dans la nuit noire finlandaise et par un froid polaire, Mattéo Baud, vingt ans, réalisait un saut « extraordinaire » sur le Rukatunturi, le tremplin qui accueillait l’ouverture de la coupe du monde.
Durant cent quarante-cinq mètres, le Jurassien avait repoussé les lois de la gravité. Après une course de ski de fond prometteuse, il prenait la tête de cette mass-start qu’il allait finalement terminer deuxième, derrière le dominateur Jarl Magnus Riiber. Le Doubiste remettait, par la même occasion, la France sur la carte de cette discipline nordique qui souffre aujourd’hui d’une trop faible notoriété [lire Nordic Magazine n° 38].
Le régime eau/pain sec avait duré 2 079 jours pour les tricolores. Leur dernier représentant à avoir pu se faire une place sur le podium appartenait à la génération dorée portée par Jason Lamy Chappuis. « Cela a remis notre sport en avant », se félicite l’entraîneur Alexandre Villet.
Qu’un tel exploit soit réalisé par Mattéo Baud n’a rien d’illogique. C’est qu’avec son père, Frédéric, sixième de la coupe du monde de Chaux-Neuve (Doubs) un jour de janvier 2003, le combiné nordique appartient à l’histoire familiale. Mais attention, le paternel n’a jamais poussé son garçon à marcher sur ses traces.
« Habitant Métabief (Doubs), on a logiquement mis Mattéo sur les skis assez tôt. Le but n’était pas d’en faire un athlète », explique-t-il. D’ailleurs, le garçon s’essaye au ski de fond, au ski alpin, au saut à ski et même au biathlon. « J’ai tout de suite bien aimé le saut que mon papa m’a fait essayer en m’emmenant à Chaux-Neuve », se rappelle Mattéo. C’est d’ailleurs dans le stade de la Côte Feuillée que remontent ses premiers souvenirs, qui ne sont pas que sportifs, ce qui est normal à son âge : « Déjà, on s’amusait énormément avec la bande de copains », glisse-t-il.
L’heure du choix
Néanmoins, le saut spécial prend progressivement de plus en plus de place dans sa vie. « Cela lui a beaucoup plu et lui a donné l’envie de continuer », indique Frédéric Baud. « Je suis tombé dedans et je n’ai pas arrêté », confirme son fils. Sur les tremplins de vingt-huit mètres, il enchaîne ensuite les compétitions, notamment les tournées des Vosges et du Mont-Blanc.
C’est finalement à son entrée au collège de Mouthe (Doubs) qu’il se dirige vers le combiné nordique. « Le challenge et la difficulté d’associer deux disciplines opposées m’ont intéressé, explique le sociétaire de l’Olympic Mont d’Or. Il n’y a pas de monotonie et beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte si l’on veut performer. Quand tout s’aligne parfaitement, cela donne vraiment de super sensations. »
Le mardi et le jeudi, c’était ski de fond ; le mercredi et le samedi, saut. Des années passées en compagnie de Joséphine Pagnier, actuelle leader de l’équipe de France féminine de saut. « J’ai l’impression de l’avoir toujours connu. On faisait tous nos entraînements ensemble, se rappelle-t-elle. C’était Joël, mon papa, qui nous entraînait. On s’est toujours bien entendu, c’était vraiment une époque sympa où on rigolait bien ! » Valentin Foubert, autre cadre chez les Bleus, était également régulièrement de la partie.
À son arrivée au Comité du massif jurassien, Mattéo Baud est pris en charge par Alexandre Villet qu’il a retrouvé à la rentrée en tant que chef d’équipe du combiné français. « Avec Joël Pagnier au tout début, c’est le coach qui m’a le plus construit, estime-t-il. Ce sont eux qui ont bâti les bases de mon saut. »
Le Franc-Comtois progresse vite et de manière linéaire. En trois années, il intègre ainsi l’équipe de France juniors, puis la B, et enfin la A. Parallèlement, il passe aussi son baccalauréat. « J’avais des entraînements la moitié du temps et c’était difficile à gérer, se souvient-il. J’ai eu pas mal de boulot pour rattraper les cours. » Il obtient son diplôme mention bien.
L’homme des grands rendez-vous
Son premier vrai coup d’éclat international, le Français le réalise en février 2021 à Lahti (Finlande). Il décroche la médaille d’argent des championnats du monde juniors, derrière la star autrichienne Johannes Lamparter. « C’est à ce moment-là que j’ai vu qu’il avait vraiment quelque chose de plus, lance Alexandre Villet. C’était une course très difficile qu’il a accomplie en costaud. Il avait de l’allure. C’est là que j’ai pris conscience qu’il pouvait encore franchir des étapes. »
Passer des paliers n’est pas un problème pour le sportif de Métabief qui, selon sa petite sœur Romane, sait « parfaitement combiner sa vie sportive et personnelle ». « Ce qui est bien, c’est qu’il a fait très peu d’étapes de coupe continentale parce que sa médaille lui a donné un quota nominatif pour faire la coupe du monde pendant un an et s’aguerrir sans se stresser. Cela lui a ouvert la voie et il a su en profiter en se rendant incontournable », reprend Alexandre Villet.
Du genre obstiné, il n’en faut de toute façon pas beaucoup pour faire progresser Mattéo Baud qui en veut constamment plus : « Je vise toujours plus haut et je suis motivé à passer des caps parce que je m’en sens capable. Dès que j’ai une idée en tête, je fais tout pour y parvenir », lance-t-il. Ainsi, son premier top 20 arrive lors des Mondiaux seniors d’Oberstdorf (Allemagne), quelques jours seulement après sa médaille planétaire.
Il signe ensuite un top 15 en mars 2021, à Klingenthal, haut lieu du combiné nordique en Allemagne. « Je ne dirais pas que sa progression a été rapide, mais plutôt que s’il parvient à gagner une coupe du monde, ce ne sera pas une surprise », estime Frédéric Baud.
Surtout, le compétiteur se démarque lors des grands rendez-vous. L’hiver dernier, il s’est révélé lors de ses premiers Jeux olympiques, disputés en 2022 sous restrictions sanitaires à Zhangjiakou (Chine). Dix-huitième sur le petit tremplin, puis vingt et unième sur le grand, il a participé à la jolie performance collective des Bleus, cinquièmes de la compétition par équipes. « J’en garde un super souvenir d’autant que, en plus de la grandeur de l’évènement, j’ai pu répondre présent sur le plan sportif », se rappelle-t-il.
Un passionné de saut à ski… sûr de lui
Mattéo Baud a ensuite entamé l’hiver 2022/2023 avec le plein de confiance et dans un nouvel état d’esprit que décrit son père : « Il s’est amélioré sur sa façon de voir les choses et de rester calme quand cela ne va pas comme il le veut. Par exemple, il a compris qu’on pouvait discuter ensemble sans pour autant s’énerver. Avant, il y avait des prises de becs, mais comme entre tout père et fils ! » Le jeune homme dessine leurs relations : « Mon père n’est pas un mentor que je suis à la lettre. Par contre, il m’apporte beaucoup, me motive et a toujours été là pour moi. »
C’est porté et nourri par tout cela que Mattéo Baud a signé son premier podium en coupe du monde il y a quelques semaines. « Voir que tous ses efforts et ses sacrifices payent, c’est magnifique, avoue Romane, de quatre ans sa cadette, elle aussi combinée (elle a effectué ses premières sorties internationales cet hiver). Depuis le temps qu’il fait des efforts, voir que cela débouche sur quelque chose de concret, c’est beau à voir. »
Jarl Magnus Riiber, l’idole
Le Doubiste, bien entouré, a, lui, gardé la tête froide. « Il a su se remettre en cause dès la semaine suivante à Lillehammer (Norvège), félicite Alexandre Villet. Il est bien conscient qu’un top 10 est toujours une performance et qu’il ne fera pas de podium tous les week-ends, même si, maintenant, il sait qu’il en est capable. » À condition de constamment s’améliorer et se renouveler. « Je veux trop bien faire tout le temps, avoue-t-il. Je suis borné. Dans tout ce que j’entreprends, c’est à fond ! Que je fasse un match de tennis de table, de volley ou un saut aux JO, je mets la même intensité. »
Son entraîneur abonde : « Mattéo ne vient jamais à l’entraînement à reculons. » C’est que l’exercice passionne l’athlète. Il en connaît aussi les enjeux. « J’ai toujours insisté beaucoup sur le saut, peut-être plus que les autres, parce que je sais que la performance en combiné nordique passe par là », reconnaît-il. « Sa plus grande qualité, c’est sa détermination parce que c’est un gamin qui bosse énormément », complète son père. Ce perfectionnisme permet à Mattéo d’avoir une grande confiance en lui. « Je doute très peu de moi et de mes capacités », convient-il, avec honnêteté.
En combiné nordique, Jarl Magnus Riiber occupe la première place mondiale depuis plusieurs saisons. Le Scandinave est l’idole du Jurassien. « Je m’en inspire dans mes entraînements. Je regarde aussi beaucoup de vidéos de lui. J’essaie de m’en rapprocher parce que je l’admire, je ne le cache pas. Il survole la discipline, mais il est très avenant et ne prend personne de haut. Cela m’a d’ailleurs vraiment fait quelque chose qu’il me tape dans la main et me prenne dans ses bras quand j’ai fait mon podium », admet-il.
L’homme aux quatre globes de cristal est touché de servir de modèle à « un talent comme Mattéo ». Un adversaire qu’il a bien remarqué et qu’il encense bien volontiers : « J’aime beaucoup ses sauts. Il fait du bon travail, je le vois. Mattéo peut voler très loin ! S’il continue sur sa lancée, tout en continuant de progresser en ski de fond, nous partagerons beaucoup de podiums à l’avenir. » Le Norvégien doit dès lors se méfier, le tricolore a de l’ambition, comme le résume son père : « Il sait ce qu’il veut : être un jour le meilleur. »
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