« La génération sacrifiée », pour Carole Gomez de l’IRIS
Le 24 février dernier, la Russie envahissait militairement l’Ukraine entraînant alors de multiples sanctions de la part d’une majorité de la communauté internationale. L’une d’entre elles a frappé de plein fouet les athlètes russes, qui se sont vus interdire l’accès aux compétitions. Alexander Bolshunov et Natalia Nepryaeva sont donc rentrés à la maison, sans disputer la fin de la saison de coupe du monde.
Quel est l’avenir de ces sportifs russes ? Peut-on espérer un jour les revoir au départ d’une coupe du monde ? Carole Gomez et Lukas Aubin, chercheurs et spécialistes de la géopolitique du sport au sein de l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques), ont répondu aux questions de Nordic Magazine.
- Les sanctions sportives prises par le CIO, l’IBU et la FIS à l’encontre de la Russie vont-elles être s’inscrire dans la durée ?
Carole Gomez : Il faut avoir à l’esprit que la situation des sportifs russes est fortement dépendante de la situation géopolitique de la guerre en Ukraine. Il est donc difficile d’affirmer avec certitude l’avenir de ces sportifs qui symbolisent pour le moment une génération sacrifiée. Une chose est sûre, l’exclusion totale des athlètes russes remet en cause l’apolitisme sportif, qui est d’ailleurs l’une des valeurs essentielle du CIO. En ce sens, la Russie a saisi le Tribunal arbitral du sport qui a la lourde tâche de confirmer ou non les sanctions formulées à l’encontre des athlètes. Pour autant, le TAS ne rend que des décisions suggestives à laquelle les instances internationales du sport ne sont pas obligées d’obéir. Quand bien même le TAS proclamerait l’injustice de ces sanctions, le CIO, l’IBU et la FIS restent maîtres de maintenir ou non l’interdiction d’accueillir des athlètes russes au sein de leur évènements.
Lukas Aubin : Une chose est sûre, c’est que ces sanctions ont été prises par certaines instances simultanément aux sanctions diplomatiques, économiques financières… qui pèsent actuellement sur la Russie. Dans l’immédiat, ces sanctions ont été décidées pour limiter la Russie de bombarder l’Ukraine et symbolisent un arc de conséquences immédiates. Il n’est pas possible de déterminer si celles-ci vont perdurer puisqu’elles dépendent complètement du contexte géopolitique.
- Pourront-ils courir d’une autre manière sous les couleurs d’un autre pays ou de nouveau sous une bannière neutre comme aux Jeux olympiques ?
Carole Gomez : Les sanctions dues au dopage d’Etat étaient individuelles, elles ne voulaient pas faire reposer sur l’ensemble des sportifs russes l’interdiction de participer à un évènement olympique. Or, aujourd’hui, il existe une interdiction pleine et entière symbolique pour condamner Vladimir Poutine. Quant à savoir s’ils pourront courir sous l’égide d’un pays tiers, cela pose la question d’un statut de réfugié politique ne pouvant pas être généralisé à l’ensemble des sportifs. Il s’agira plutôt de rares exceptions.
- Ne pas se confronter pendant plusieurs années à l’élite internationale peut-elle les faire régresser dans leur performance sportive ?
Carole Gomez : Cette réflexion s’était déjà posée lors des sanctions prises à la suite du dopage d’Etat en 2014. Des compétitions nationales et continentales avaient été organisées afin de permettre aux athlètes russes de s’évaluer et continuer à s’exercer autour d’un évènement sportif international. Toutefois, le contexte est bien différent aujourd’hui puisque rare sont les athlètes et les nationalités qui vont accepter de les confronter.
- Pour que les athlètes russes fassent leur retour, ne faudra-t-il pas que Vladimir Poutine quitte le pouvoir ?
Lukas Aubin : La destitution de Vladimir Poutine serait évidemment l’une des conditions nécessaires au retour des Russes, mais les conséquences de son invasion ne se limiteront pas à sa possible absence du pouvoir. Sans compter que nous sommes ici dans un régime autocratique sanctionnant toutes oppositions et Vladimir Poutine ne semble nullement décidé à quitter le pouvoir.
- Certains athlètes ukrainiens ont tenté de sensibiliser le public russe. D’une façon générale, quelle est l’opinion du peuple russe à propos de cette agression de l’Ukraine ?
Carole Gomez : Il est difficile de dire quelle est l’opinion publique russe en ce moment. La population est coupée de tous les réseaux sociaux, notamment Facebook et Instagram. Si les sportifs pouvaient faire passer quelques messages au travers d’Internet, ce n’est dorénavant plus le cas et se pose la question de quel canal utiliser pour faire entendre un certains nombres de sujets.
Lukas Aubin : L’Histoire a montré que la population russe soutenait systématiquement son président sous l’adage « Reunited under the flag » (Traduction française : « Tous réunit sous le drapeau »). Or, cette fois ci, la population russe est infiniment divisée sur la question ukrainienne, d’autant plus que les arguments de dénazification donnés par Vladimir Poutine en guise de justification, ne sont clairement pas audibles.
Certaines manifestations à Moscou et Saint-Pétersbourg avaient fait le tour du monde, tout comme cette journaliste qui avait brandit une pancarte « No War » à la télévision nationale mardi. La semaine dernière, Vladimir Poutine a fait passer une nouvelle loi interdisant formellement à sa population de contester l’invasion ukrainienne sans être considérée comme traître à la nation.
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Pour en savoir plus sur les instances internationales du sport et leur lien avec la géopolitique, réécoutez l’épisode 14 de notre podcast Piste Nordic disponible ICI.
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