COMBINÉ NORDIQUE – Depuis 2011, Nordic Magazine publie, dans chacun de ses numéros, un long portrait consacré à un athlète. C’est à chaque fois l’occasion de mieux connaître celle ou celui dont on admire les exploits. Retrouvez ici l’article qui évoquait, en décembre 2011, Jason Lamy Chappuis.
« Do the best you can ». Jason Lamy Chappuis a grandi avec ce leitmotiv maternel à l’esprit. Chaque jour, lorsqu’il quittait le domicile familial de Bois d’Amont (Jura) pour rejoindre l’école du village, ce conseil d’Annette, sa maman américaine, lui a insufflé dès son plus jeune âge la mentalité positive à la sauce US.
Depuis, le jeune écolier est devenu le fer de lance du nordique français. Champion olympique, champion du monde, deux fois vainqueur du classement général de la coupe du monde de combiné nordique, le brun aux yeux couleur noisette fascine et séduit. Y compris dans les rangs de l’équipe américaine de combiné qui aurait bien voulu le recruter juste avant les Jeux olympiques de Turin de 2006, où le Jurassien de 19 ans signait une quatrième place. Prometteur. Déjà… Le charismatique bois d’amonier est désormais l’homme à battre sur le circuit mondial. Les Américains font partie de ses sérieux adversaires.
Un modèle pour les jeunes
Malgré tout et faisant la part des choses, Jason Lamy Chappuis a su lier des amitiés avec les Bill Demong, Todd Lodwick ou Johnny Spillane. « On s’échange quelques mails pendant l’été, mais on ne se fait pas de cadeaux sur les pistes… Nous les recevons traditionnellement un soir lors de la coupe du monde de Chaux-Neuve (Doubs) à la maison pour leur faire découvrir la richesse gastronomique de la région », glisse Jason Lamy Chappuis. L’attention semble plaire. Tout comme l’homme d’ailleurs : la preuve avec cette remarque de Lodwick, double champion du monde en 2009 et médaille d’argent à Vancouver, parue dans les colonnes du quotidien sportif L’Équipe après le sacre olympique du tricolore : « Jason est 100 % français, 100 % américain et 200 % un bon gars. »
C’est justement, au-delà de ses performances sportives, le caractère du numéro un mondial depuis deux saisons qui fait l’unanimité. Et qui, quelque part, aiguille aussi les plus jeunes, y compris outre-Atlantique.
« Je décrirais Jason comme quelqu’un de très sociable qui reste d’un abord facile, aussi bien pendant qu’en dehors des compétitions de combiné nordique, note Nick Hendrickson, jeune combiné américain. Il semble très sûr de lui dans le sens où il sait comment se mettre en condition pour gagner tous les jours, mais pas au point de s’en vanter. »
Science de la course
La décontraction à l’Américaine d’un côté, la modestie jurassienne de l’autre : Jason Lamy Chappuis s’appuie en permanence sur sa double culture. C’est sa force. « Jason est un concurrent intelligent. Il utilise son énergie lorsqu’il en a besoin, mais reste calme et concentré à chaque challenge. Il a beaucoup d’expérience et réussit durant les concours de saut à répéter la performance de haut niveau, malgré la pression. Avec un tel mode opérationnel, il arrive souvent premier à l’issue d’une course », salue Bryan Fletcher, l’un des combinés originaires de Stemboat Springs, le Bois d’Amont de l’État du Colorado.
Pour lui, l’ascension du Frenchie doit servir « de modèle » à la relève, aux États-Unis. Mais pas seulement : « Jason vient de loin. Il n’y encore pas si longtemps, c’était encore un junior plein de promesses sur le circuit coupe du monde B. » Mais depuis, « il semble qu’il soit monté au sommet du combiné nordique mondial et n’a jamais lâché sa place depuis deux ans », constate lucidement Nick Hendrickson, qui ne se pose pas trente-six questions pour savoir comment battre le Jurassien volant cet hiver : « Il faudra sauter plus loin et skier plus vite que lui, c’est tout », lâche-t-il, dans un éclat de rires.
La pomme près de l’arbre
La reconnaissance envers le talent et surtout la personnalité de Jason Lamy Chappuis est de toutes les conversations avec les combinés américains : « La première fois où je l’ai rencontré, c’était en 2009 lors de la coupe du monde de Chaux-Neuve : les applaudissements nourris du public totalement fan resteront un moment à part pour moi, n’hésite pas à confier Clifford Antonio Field. À l’époque, je n’étais pas conscient de son héritage du Montana. Plus tard, lors d’une épreuve de saut spécial où il suivait son cousin Ronan, il a pris le temps de regarder tous les sauteurs en étant très enthousiaste. J’ai vraiment une haute opinion de lui et sa famille. Et quand je vois l’enthousiasme de ses parents, je me dis que la pomme n’est pas tombée très loin de l’arbre… », ajoute-t-il en saluant, comme d’autres compétiteurs, fans du futur pilote de ligne, « sa science de la course. »
Le finish de son 10 kilomètres du 14 février 2010 comptant pour l’épreuve olympique de Vancouver restera dans la légende du sport. À 25 ans, Jason Lamy Chappuis entre dans ses meilleures années de compétiteur de haut niveau. S’il réussit à préserver l’envie, le plaisir, le sérieux et l’intelligence de course qui l’anime, ses concurrents pourraient ronger leur frein encore quelques hivers. Et, honnêtement, on ne va pas s’en plaindre !
Les silences de Jason
« Alors quoi de neuf ? », large sourire, c’est Jason Lamy Chappuis qui pose la première question. L’appartement est fleuri, baigné par la lumière du matin. La rosée monte de l’Orbe voisine. Devant un thé, le jeune homme évoque volontiers ses centres d’intérêt hors du ski : « J’ai besoin de savoir que je n’ai pas que le sport dans ma vie. J’aime bien changer de milieu, ne pas parler que ski. » Question d’équilibre. Pour changer d’air. L’aérodrome d’Annemasse (Haute-Savoie) reste l’une de ses destinations favorites : « J’ai toujours cette passion pour l’aviation, avec l’idée de reconversion derrière ». Pourtant, ces derniers mois, un loisir a supplanté tous les autres : « Ça a été de retaper tout l’intérieur d’ici. Je me suis mis au bricolage et ça me plaît bien ! ». Finger, le chat de Jason, ronronne sous la table et se moque de tout ça.
Jez n’a pas encore installé internet chez lui. Dommage, sur Wikipedia, il aurait pu lire dans l’article consacré à Missoula qu’il figure bien (aux côtés de David Lynch) parmi les célébrités natives de la ville. Mais Missoula, c’est d’abord la ville des écrivains américains. S’il n’a pas lu beaucoup d’écrivains compatriotes, « peut-être deux ou trois », Jason connaît pourtant bien les auteurs de polars américains, comme Johan Grisham, John Irving, ou suédois, comme Henning Mankell : « J’aime bien lire en anglais, sinon je perds rapidement ». Et la musique ? « Un peu, genre AC/DC, le jour de la compétition, pour me mettre dans ma bulle ».
Sa bulle… Savoir la préserver est sans doute l’une des clés de sa réussite. « Je me suis un peu plus protégé depuis le Jeux olympiques de Vancouver. En fin de saison, je suis allé un mois aux États-Unis retrouver ma copine et, quand je suis revenu, j’étais plus reposé, je savais ce que je voulais, j’ai un peu plus mis des barrières ». L’art d’être à la fois seul et très entouré. Sa copine, les sorties au restaurant l’Atelier ou au golf du Mont Saint-Jean avec son petit groupe d’amis, et surtout sa famille : « Je n’ai ni frère ni sœur, donc je suis assez proche de mes cousins. Je suis souvent chez eux, ils habitent à deux minutes d’ici, donc c’est simple ».
L’heure tourne, le chat est fatigué. Nous avons parlé des dernières séries américaines, « j’aime bien, c’est court et bien fichu », de la politique sociale de Barack Obama, « il a apporté beaucoup avec la réforme médicale », de cuisine mexicaine…
En janvier dernier, la veille de la coupe du monde de Chaux-Neuve, Jason déclarait dans le quotidien L’Équipe : « J’ai l’impression d’avoir toujours été immergé dans la nature. Cette identité régionale, c’est important parce que c’est ce qui m’a façonné. C’est ma vie ». Rien d’étonnant donc au fait qu’il évoque La Dole ou le Mont Sala pour parler de ses endroits préférés. « Quand il y a du beau, ce que j’aime faire, c’est monter là-haut, ça donne un but et puis tu as la récompense avec la vue sur le lac Léman et les Alpes ».
Tout le paysage autour de Bois d’Amont est réveillé par le soleil. Dans l’encadrement d’une porte, la combinaison de saut jaune est accrochée. Dans quelques jours, Jason aura retrouvé les airs et ses habits de champion. Cette fois, le chat dort.
« J’ai grandi avec cette double culture »
- Vous êtes né le 9 septembre 1986 à Missoula dans le Montana. 25 ans après, que vous inspire cette région ?
Quand je retourne là-bas, je m’y ressource vraiment. Un de mes oncles y a un ranch avec beaucoup de chevaux dans des paysages très sauvages dignes de L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux.
- Avez-vous encore des liens aux États-Unis ?
Toute ma famille habite dans le Montana, mais j’ai en effet grandi au Club Med de Copper Mountain où mes parents étaient moniteurs de ski. C’est là que j’ai découvert le ski alpin. J’ai encore ma grand-mère et comme ma mère a sept frères et sœurs, j’ai une trentaine de cousins ! À chaque fois qu’on retourne aux États-Unis, environ une fois tous les deux ans, on organise une grande réunion de famille dans un camping avec tentes et camping-cars. Quelques oncles ont des bateaux, on en profite pour faire du ski nautique, aller à la pêche sur le lac. J’aime y retourner.
- C’est seulement à l’âge de cinq ans que vous posez le pied en France, à Bois d’Amont. Quel en est votre premier souvenir ?
Je me souviens de mon papa qui m’emmenait à l’école maternelle du village à cinq ans. À l’époque, on vivait chez mes grands-parents. Tout de suite, je me suis fait des copains au ski club. Pour moi, le ski a toujours été un jeu avec des pistes à 100 mètres de chez moi.
- Vous voyagez à travers le monde chaque hiver. Que vous apporte la double nationalité dans votre quotidien ?
Je suis assez ouvert et aime découvrir d’autres cultures. Le fait de parler parfaitement l’anglais est également une facilité pour échanger avec les gens, notamment en Scandinavie, où les chaînes télé sont en anglais sous-titrées dans leurs langues. En fait, cette double culture est ancrée en moi : j’ai toujours suivi le conseil de ma maman : « Do the best you can ». En compétition, j’arrive à donner le meilleur de moi-même grâce à la pensée positive prônée par les Américains.
- Chaque fin janvier, à l’occasion de la coupe du monde de combiné nordique organisée à Chaux-Neuve (Doubs), vous accueillez les combinés et le staff américain dans la maison familiale de Bois d’Amont alors qu’ils sont parmi vos plus rudes adversaires sur un tremplin ou skis aux pieds…
On les reçoit un soir dans la semaine avant Chaux-Neuve pour leur faire goûter les vins et fromages français. Le combiné est une petite famille : on est peu nombreux et on se côtoie depuis des années. Quand c’est la compétition, on ne se fait pas de cadeaux.
- Auriez-vous pu courir sous les couleurs américaines ?
On m’a demandé avant les Jeux olympiques de Turin si je souhaitais concourir pour les USA. Mais je n’avais pas l’envie : j’ai appris à sauter aux Rousses, à skier à Bois d’Amont. Je dois à la Franche-Comté mon amour pour le ski nordique. Je ne me voyais pas partir pour les États-Unis.
Cet article est paru dans Nordic Magazine #1 (décembre 2011)
Photos : NordicFocus.