Ski de fond : avant sa dernière coupe du monde, Maurice Manificat se confie
« L’aventure avec les équipes de France va s’arrêter en fin de saison. Ce dimanche 10 mars, je prendrai mon dernier départ en coupe du monde à Oslo. Après plus de vingt ans en sélection et près de dix-huit en coupe du monde de ski de fond, je vais m’arrêter là. En revanche, ma carrière de fondeur en compétition ne s’arrête pas tout de suite. » Lorsqu’il prononce ces mots, Maurice Manificat fait face à quelques journalistes qu’il a réuni pour une annonce qui n’a rien d’anodine.
L’homme est un grand du ski de fond. Son palmarès compte quatre médailles de bronze olympiques, trois médailles mondiales, dont une couronne de vice-champion du quinze kilomètres libre, devenant le quatrième médaillé français de l’histoire des Mondiaux en ski de fond, après Jean-Paul Pierrat en 1978 avec une médaille de bronze sur un cinquante kilomètres à Lahti, Hervé Balland deuxième du cinquante kilomètres de Falun en 1993 et Vincent Vittoz, champion du monde de la poursuite en 2005. Maurice Manificat, ce sont aussi dix victoires en coupe du monde.
Le Haut-Savoyard qui vit aujourd’hui dans le Vercors a écrit parmi les belles pages de son sport. C’est avec une grande émotion, des sourires et des larmes, qu’il répond aux questions. La modestie de ses réponses ne doit pas cacher la grandeur du bonhomme. Que d’émotions il nous a données par ses exploits, par ses prouesses, par (et pour) son amour du ski de fond.
- Quand et pourquoi avez-vous décidé de mettre fin à votre carrière internationale en cette fin d’hiver 2024 ?
C’était lors de l’étape de Goms, quand j’ai appris que je ne serai pas reconduit en équipe de France l’année prochaine. Il m’a fallu un peu de temps pour l’accepter. Cela implique plein de choses. J’ai beau avoir été dans le groupe relève cette année, je devais passer par des sélections. Je ne me vois pas suivre de nouveau ce processus. C’est très usant de vivre cela aujourd’hui à mon niveau et mon âge, c’est très différent que lorsque j’étais jeune. Je préfère donc me dire que c’est le moment. Ce n’est pas un choix plein et entier de ma part, ma dernière deadline était les Jeux de Milan/Cortina en 2026.
- Vous allez donc faire vos adieux à la coupe du monde ce week-end…
On m’a proposé l’opportunité de finir à Oslo. C’est l’occasion de bien clôturer les choses. J’aurais bien aimé aller aussi à Falun, mais ce n’est pas possible. Le 50 km d’Holmenkollen est une course mythique donc ce sera chouette.
- On vous expliqué pourquoi vous ne seriez plus en équipe de France la saison prochaine ?
Je n’ai pas fait les performances suffisantes aux yeux des sélectionneurs. On m’a dit que la vocation d’un groupe B n’est pas de maintenir un athlète de mon âge. Les raisons sont donc sportives. C’est pour cela que j’ai mis du temps à l’accepter, car je ne fais pas une mauvaise saison. Mon gros objectif de l’hiver était de revenir sur le Tour de Ski et je l’ai accompli. J’étais assez déçu, mais je ne suis pas surpris. Cela fonctionne ainsi ces derniers temps à la fédération. J’ai trente-sept ans et une grande carrière derrière moi, c’est donc plus facile à encaisser.
- Vous vous doutiez donc un peu que la fin de votre carrière approchait…
Je sentais déjà que, l’an passé, ils n’avaient déjà plus vraiment besoin de moi. C’est tant mieux, c’est que l’équipe actuelle a une belle densité. C’est vrai que mes performances sont moins récurrentes, mais c’était souvent lié à des maladies, comme cela a été le cas l’an dernier. Cette année, suite à une très bonne préparation, j’ai réussi à être présent sur les podiums et à gagner en coupe de France pour être sélectionné en FESA Cup, puis en coupe du monde. Mais j’ai trente-sept ans et mes dernières saisons ont tout de même été en dents de scie.
- Cela n’empêchait pas d’avoir, dans un coin de votre tête, les prochains JO…
Je le disais souvent : les Jeux de Milan [en 2026] sont proches et en même temps loin. Avec les maladies, je n’ai pas pu accomplir tout ce que je pensais pouvoir faire. Mais je ne me sens pas complétement mort. Si c’était le cas, j’arrêterai totalement le ski en compétition. L’équipe de France actuelle a de multiples atouts, on le voit sur cette saison. Ils visent toujours le record de podiums. Donc oui, avoir une place dans un relais aurait été plus compliqué.
- A Oslo, les souvenirs ne manqueront pas de se bousculer. C’est un lieu qui n’est pas anodin pour un skieur de fond de votre envergure…
C’est un lieu particulier, même si ce n’est pas mon lieu « favori ». Ce n’est en tout cas pas une coupe du monde comme une autre. Quand j’ai découvert la coupe du monde, je me suis toujours dit qu’il fallait faire ce 50 kilomètres. Quand j’étais plus jeune, ce n’était clairement pourtant pas mon format favori.
- Racontez-nous l’édition 2010 qui était votre première fois…
Je m’échappe avec Petter Northug Jr et Vincent Vittoz. Cela avait fait une course assez incroyable. Northug avait gagné et Toz’ avait fait troisième. J’avais explosé au bout de 35 ou 40 bornes, mais j’avais quand même terminé quatorzième. C’était la découverte de cette course mythique.
- Pourquoi est-elle justement si mythique ?
Ce qui est incroyable là-bas, c’est le public. L’ambiance est monstrueuse. En 2011, mes deuxièmes championnats du monde étaient presque les plus incroyables. Il y avait 150 000 personnes. On verra si c’est ce qu’il m’arrive dimanche, mais les clubs de supporters distribuent à manger et on a déjà pu voir des athlètes se servir pendant la course [Rires]. Cela peut être la course de gloire, comme la la plus mauvaise, mais où tu n’as pas envie d’abandonner car tu profites de l’ambiance.
- Comment vous sentez-vous à quelques jours du départ ?
Je suis très fatigué et j’ai été malade au mois de février. J’ai repris le ski il y a deux semaines et j’ai mis du temps à récupérer. J’espère surcompenser cela et que ça ira. On va pleinement profiter de cette dernière avec mes coéquipiers.
- Votre carrière est exceptionnelle. Si vous deviez ne retenir qu’un souvenir, quel serait-il ?
C’est dur d’en retenir un seul. Cela serait trop facile de citer les médailles, même si mon titre de vice-champion du monde en 2015 était une consécration. C’était une quête sur un format qui m’a souvent réussi [le 15 km, NDLR]. Les médailles en relais étaient aussi incroyables.
- Et au-delà du palmarès ?
Ce sont tous ces moments de camaraderie [Pleurs]… tous ces moments avec les copains et le staff, après les grosses performances, mais aussi après les moments difficiles. Ils sont devenus des amis, tout simplement.
J’ai souvent évoqué le relais de Vancouver en 2010 où l’on fait quatrième. Ce sont mes premiers Jeux et je ne me sentais pas pleinement intégré au sein de ce groupe coupe du monde. Finalement, c’était cette tristesse dans la défaite qui avait marqué mon entrée en équipe de France. C’est le début de tous ces moments. Toutes ces expériences avec le groupe sont ancrées en moi [Pleurs].
- Vous n’étiez pourtant pas le plus facile à vivre. Vous le savez, non ?
Je les ai rendus assez fous [Rires] ! Je me suis fait remarquer dès le début pour mes retards. Dans les groupes de la coupe du monde, j’ai vite appris la vie [Rires] ! Cela fait partie de mon personnage. J’ai essayé d’être parfois à l’heure, et j’y arrive de temps en temps.
- Mais quand vous êtes là, c’est parfois avec l’esprit qui vagabonde ailleurs…
On a bien rigolé pour tout ce que je suis. Tête en l’air, dans ma bulle… Quand je suis arrivé, j’étais quelqu’un de solitaire. Je vivais une dualité : d’un côté les stages et les compétitions où tu as envie de retrouver les copains car on va passer des moments fabuleux et d’un autre côté ta joie de rentrer chez toi car tu ne supportes plus [Rires] ! Et au bout de deux semaines à la maison, tu es à nouveau content de repartir en stage. J’aime bien la vie de groupe mais il ne faut pas que ce soit trop. Plus les jours de stage passent, plus j’arrive en retard.
- Pas au point de ne pas vous présenter sur la ligne de départ…
Heureusement, je ne suis jamais arrivé en retard sur les départs de coupe du monde. Cela m’est en revanche déjà arrivé sur les championnats de France. Je suis un sacré personnage et les autres témoigneront mieux que moi [Rires] !
- Est-ce ça frottait un peu du coup ?
J’ai aussi mon caractère. On me ressort souvent un moment sur le Tour de Ski. On était à Lenzerheide. Nous n’avions pas eu de très bons skis ce jour-là et j’avais dis : « C’est quand vous voulez pour les bons skis ! ». J’ai eu des coups de sang, mais pas autant que Toz’ qui était assez réputé pour cela [Rires]. On a tout de même bien rigolé avec le staff !
- Est-ce que le petit Momo était passionné de ski de fond ?
Avant d’arriver dans le groupe coupe du monde, je ne suivais pas mon sport. Je traçais mon chemin. L’équipe de France des années 2000 à 2010 – qui a défriché plein de choses – avaient fait cette première victoire en relais à La Clusaz (Haute-Savoie). Cela ne m’avait pas marqué, car je ne suivais rien. Je ne m’imaginais pas forcément faire une carrière dans le ski de fond. Les membres du groupe m’apprenaient un peu son histoire [Rires]. Petit à petit, j’ai pris conscience que je faisais un sport incroyable.
- Vous avez souvient dit que cela allait même au-delà du simple plaisir de disputer des compétitions…
Le tournant a été en 2011 quand Vincent [Vittoz] a arrêté. On a poursuivi avec Jean-Marc [Gaillard] et j’ai pris conscience qu’on prenait le relais. Quand j’ai eu mon contrat aux Douanes en 2009, j’ai pris conscience que c’était désormais mon métier et que je faisais cela pour quelque chose. Je représentais la France mais même plus que ça. Au lieu de courir pour moi, j’ai commencé à courir pour les autres. Dans les grands évènements, le relais était presque plus transcendant. C’est le résultat de toute une équipe et pas seulement des athlètes.
- Le résultat, c’était des médailles mondiales et olympiques. Mesureriez-vous ce que vous étiez en train d’accomplir ?
Je me suis rendu compte petit à petit, qu’avec les autres, j’écrivais l’histoire du sport français. Cela véhicule tellement de valeurs qu’on se prend au jeu. Cette volonté d’accomplissement devient primordiale. Je vis ski de fond, même quand je suis en vacances. Ces dernières années, j’essaie d’avoir plus de détachement.
- Ces derniers mois, c’était à votre tour de transmettre la flamme comme on le fait avec un rendez-vous olympique…
La plupart ont des cartes dédicacées ou des photos de moi chez eux. Cela m’a donne un coup de vieux [Rires] ! Ils m’ont dit qu’ils étaient fiers de s’entraîner avec moi et ils ne s’imaginaient pas un jour faire équipe avec moi. On a bien vu avec Rémi Bourdin ou Mathis Desloges qu’ils ont franchi un pallier. Avec ces deux-là, mais aussi Julien Arnaud, Gaspard Rousset, Arnaud Chautemps ou Victor Lovera, j’ai passé une super année.
- Dans quel état d’esprit étiez-vous au moment de les rejoindre ?
Cette relégation en groupe relève, je l’ai prise comme un défi. Finalement, avec cette camaraderie, j’avais l’impression de retrouver mes premières années d’équipe de France junior. On a pu faire des conneries, mais on a aussi travaillé et cherché à se dépasser pour accomplir des choses. Les années juniors te marquent aussi. Cette année était un peu une passation.
- Qui vous ressemble le plus dans ce groupe qui incarne le futur du ski de fond tricolore ?
Vincent Meilleur m’a dit que Rémi Bourdin me ressemblait. Sur mes premières sélections en coupe du monde, j’avais fait quelques performances assez vite, mais encore avec beaucoup d’irrégularité. Rémi a l’air d’avoir, pour l’instant, le même genre de profil. Mais je retrouve des tempéraments que j’ai chez chacun. Gaspard a cette capacité à avoir un certain détachement et à être dans la détente. C’est quelque chose d’important et cela m’a beaucoup servi d’avoir cela aussi. Ils ont tous des choses intéressantes et cela a l’air parti pour faire de grands athlètes.
- Qu’allez-vous faire maintenant ? Quels sont vos projets ?
On a la chance d’avoir un sport assez riche avec plusieurs circuits à plusieurs niveaux. J’ai pour idée de poursuivre sur la Ski Classics. Je n’ai pas encore creuser le truc, car je suis concentré sur ma fin de saison. C’est quelque chose auquel je pense depuis quelques années. En faisant des courses de longue distance, je me suis rendu compte qu’elles avaient beaucoup de renommée et que c’était une façon différente de faire du ski de fond. Avant, il va falloir sécuriser plusieurs choses, dont l’aspect financier.
- Doit-on comprendre que vous ne quittez pas le monde du ski de fond ?
Professionnellement, j’ai des idées mais, pour le moment, j’ai envie de profiter de ma notoriété pour rester en contact avec le milieu du ski. Je ne me vois pas encore coacher. Mais il ne faut jamais dire jamais ! Arrêter les équipes de France entraîne la perte de mon contrat avec les Douanes. Cela implique de gros changements. C’est un grand saut dans l’inconnu. Pourquoi pas trouver un poste aux Jeux de 2030 ?Je ne sais pas. Rien n’est sûr, car je ne connais pas les opportunités qui se présenteront à moi. Tant que je ne suis pas dans le concret, je n’arrive pas à me dire que ça va être génial. Je suis ouvert à tout et je suis assez curieux.
- Sous quelles couleurs allez-vous courir dans le circuit professionnel des longues distances ?
Le Haute-Savoie Nordic Team n’est pas sur la Ski Classics, donc je vais m’appuyer sur le Team Vercors Isère. Quand on est en équipe de France, on n’a presque pas le droit d’être dans ces teams. C’est un circuit intéressant avec une autre facette de notre sport qui se développe. Cela mériterait d’avoir autant de renommée qu’une coupe du monde.
- Et la Vasaloppet, la reine des longues distances : est-ce que vous y pensez ?
Le 90 kilomètres me fait très peur. Je l’ai eu fait en ski-roues, mais jamais sur les skis. Pour le côté mythique, il va falloir la faire et j’ai très envie. C’est aussi ce qui fait notre sport. J’ai envie d’explorer toutes ces grandes courses.
- Maurice, quelle vision avez-vous de votre sport ? Que faudrait-il changer pour qu’il puisse se développer et accroître sa notoriété ?
Je regrette qu’il n’y ai pas assez de formats comme le Tour de Ski sur une saison. J’aurai aimé faire plus de Tour de Ski. On voit que c’est un évènement phare et qu’il suscite de l’intérêt. Cela crée des histoires. Peu importe les formats dedans. On pourrait en faire trois : un en début d’hiver, un au milieu et un pour clôturer la saison.
- Pour faire aussi bien que le biathlon ?
On nous compare trop au biathlon. Le ski de fond, je le vois comme beaucoup plus proche du vélo. Il faut voir aussi comment le fonctionnement en équipes privées et nationales va évoluer.
- L’avenir passe-t-il par les épreuves mixtes ?
C’est dans l’ère du temps et c’est important. Ce qui est dommage, c’est que pour entrer dans les programmes olympiques ou des Mondiaux, il faut enlever une épreuve déjà existante. On a peur que les relais soient supprimés au profit du relais mixte. Je ne sais pas si c’est bien ou pas bien. On voit que cela marche très bien dans le biathlon. C’est aussi important car on a une équipe de France féminine qui devient très intéressante à suivre, avec des résultats probants avec Delphine [Claudel] ou Flora [Dolci]. J’ai pu faire ce relais mixte lors du test réalisé à Falun. Cela donne envie car ça peut encore plus souder une équipe.
- Que de bons souvenirs, au final…
Je suis hyper heureux et fier d’avoir fait cette carrière, car c’est un sport ancestral qui se dispute dans des endroits mythiques. Il y a des légendes et j’ai pu un peu y participer. J’ai couru avec des Northug ou Cologna jusqu’il n’y a pas si longtemps et c’était incroyable. C’était fou mais je vais suivre tout ça peu à peu avec un œil extérieur.
- Pas si extérieur que cela, comme si la vraie vie, celle en dehors du sport de haut niveau, ce n’était pas encore pour vous ?
Malgré moi, j’ai la passion de mon sport. J’ai besoin d’avoir des défis. Mon corps va encore pas trop mal. J’ai envie d’explorer et je sens que j’ai la caisse. J’ai fait mes plus belles performances en skate, mais j’adore le classique ! Je vais continuer le haut niveau, mais d’une manière différente. Il n’y aura plus la pression des sélections. Il y a ce côté rassurant de se dire que je vais continuer la même chose pour « fuir » la vraie vie. A l’heure actuelle, je n’ai encore aucune certitude. Je ne vais pas me cacher, il y a la peur de l’inconnu. Mais c’est humain et je ne sens pas que c’est le moment d’arrêter. En explorant la voie vers laquelle je me dirige, peut-être que je dirais que l’expérience n’est pas réussie et j’arrêterai.
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