JO | BIATHLON – Après les deux premières épreuves individuelles de biathlon aux Jeux olympiques de Pyeongchang, notre consultante Sandrine Bailly revient sur les performances des Français. Et se projette vers les 15 et 20 km ainsi que les mass-start.
- A tout seigneur, tout honneur, avez-vous été impressionnée par la remontée de Martin Fourcade sur la poursuite olympique du biathlon ou vous y attendiez-vous après sa relative déconvenue sur le sprint ?
Je n’étais pas du tout affolée car les écarts du sprint étaient réduits même si la médaille n’était pas encore faite. En ski, je me disais qu’il pouvait revenir vite… Mon interrogation était de savoir s’il trouverait les clés pour maitriser ce vent sur Pyeongchang et notamment le couché pour ne pas accumuler les pénalités. Il a su bien réagir.
Sur BFM, j’ai essayé d’expliquer et de relativiser sa 8e place sur le sprint alors que les journalistes pensaient que c’était perdu. Martin a pris les rennes de la course. Sa 8e place l’a affecté, les messages qu’il a reçus lui ont fait du bien et j’ai trouvé ça touchant de sa part de le reconnaitre. Il se rend compte qu’il a le soutien de beaucoup de monde.
Le roi du biathlon en action
- Trois titres olympiques en biathlon et encore quatre courses à disputer sur ces Jeux. Foucade est-il capable de tout rafler ?
Je pense que c’est faisable mais très compliqué. A tout le temps penser qu’il peut être devant, on en oublie la difficulté du biathlon. Il peut aller chercher la médaille sur toutes les courses, oui, mais tous les titres, c’est une autre histoire. Le mental est important, Martin Fourcade met beaucoup d’implication sur ses courses. Il est soulagé, maintenant, il doit trouver la flamme en lui pour aller encore plus loin, plus vite, pour se surpasser encore.
La question c’est est-ce qu’il trouvera encore l’énergie et la motivation intérieure pour se battre sur chaque balle lâchée… On ne lui parle que de dépasser les médailles des autres champions français, est-ce que ça le motivera, je ne sais pas. Il doit trouver un booster supplémentaire car d’autres athlètes seront revanchards sur les prochaines courses. Je pense à Johannes Boe et à tous les Norvégiens qui ont un gros ego par exemple, ils seront vexés.
- Chez les dames, Laura Dahlmeier a signé une première dans l’histoire du biathlon en réalisant le doublé sprint-poursuite. Peut-elle devenir la reine des Jeux ?
Oui, elle est tellement stable, solide… Elle peut faire peur à ses adversaires. Elle n’a montré aucune faille et elle me parait partie pour une belle quinzaine. Comme l’an passé à Hochfilzen avec ses cinq titres mondiaux sur six courses.
Anaïs Bescond a un cabochon impressionnant
- L’autre très bonne nouvelle est évidemment la médaille de bronze d’Anaïs Bescond sur la poursuite. Vous qui la connaissez bien pour l’avoir côtoyé en équipe de France, qu’avez-vous ressenti en la voyant sur le podium olympique ?
J’ai été hyper contente et en même temps, pas étonnée de la retrouver sur la boite. Ce n’était pas improbable. Anaïs Bescond est toute en construction, elle cache bien son jeu, ne s’affole jamais. Je l’ai vue sur l’Envolée nordique juste avant de partir aux Jeux, elle était là pour encourager son petit frère, en toute simplicité. Jamais j’aurais osé faire un truc pareil en étant athlète !
Sur les Jeux, beaucoup sont comme elle, capable de faire super bien au meilleur moment. Elle est vraiment allée chercher cette médaille. Elle a un cabochon impressionnant, j’étais contente pour elle, c’était vraiment beaucoup de joie ! Dans le fond, ça ne m’a pas étonnée outre mesure. C’était bien de vivre ça même si ça a été ensuite éclipsé par la victoire de Martin. Elle prouve que Martin n’est pas le seul Français capable de briller aux Jeux.
- Marie Dorin-Habert semblait presque aussi heureuse que si c’était elle qui avait gagné la médaille. En quoi cet esprit d’équipe a-t-il galvanisé la Jurassienne, passée par des hauts et des bas ces dernières saisons ?
Anaïs a cette faculté de rebondir avec ou sans les autres. Par contre, elle a toujours été là pour saluer les bons résultats des copines. Elle est franche, a des valeurs, est authentique… Au sein du groupe, les filles étaient contentes pour elle. Anaïs n’a pas toujours eu la reconnaissance de tout le staff et a parfois connu des situations compliquées à gérer. C’est d’autant plus fort de décrocher cette médaille. Elle est passée au delà des remarques, elle a fait sa carrière de sportive sans se laisser démonter par des attaques personnelles.
Les athlètes dames se soutiennent et je les attends vraiment sur le relais où elles peuvent rêver d’or. Avec ce qu’elles vivent, une Marie optimiste qui se préserve pour le relais, et les autres très motivées, elles seront soudées et motivées par un objectif commun…
Ce que les biathlètes français peuvent faire
- Marie Dorin-Habert, contre tout attente, a aussi claqué une belle 4e place sur le sprint. Surprise de ce résultat ?
Non, c’est comme Anaïs. Je suis sereine par rapport à ce qu’ils peuvent tous réaliser. Marie, c’était compliqué moralement ou physiquement cette saison mais elle a su faire les breaks au bon moment, ce qui n’est jamais évident pour un athlète. Elle a la banane et profite à fond de l’événement. Le physique revient, elle se prend moins la tête sur le tir… Pendant une saison, un sportif suit une évolution faite de temps forts et faibles. En général, quand t’es cachée avant le jour J, ça paye parfois. On le voit aussi en alpin avec Pinturault qui a su revenir à l’essentiel.
- Justine Braisaz ou Anaïs Chevalier chez les filles, et Antonin Guigonnat et Quentin Fillon-Maillet ont peiné dans le vent coréen. Qu’est-ce qui leur manque pour retrouver des couleurs sur les prochaines courses ?
Il faut surtout éviter de rentrer dans la spirale négative du manque de confiance en soi. Ils sont dans un moment difficile, ils doivent essayer de très vite rebondir et claquer des 5/5. Il y a une sorte d’urgence à ça. Ils savent faire, reprendre les coups à sec, travailler les bases techniques…
- Simon Desthieux, comme à son habitude, réalise une belle entrée en matière avec une 12e et 7e places. La médaille semble à porter de carabine ou est-ce un plafond de verre que le biathlète de l’Ain doit casser ?
Oui, il faut qu’il s’énerve un coup (rires) ! Ça ne doit plus le satisfaire de réaliser ses belles courses. Quand on est en colère contre soi, on trouve une autre énergie, en pointant toujours les clés à améliorer comme a pu le faire Martin après le sprint. Simon Desthieux doit, s’il le peut, forcer son caractère sage et raisonnable. Et se dire, « non ça suffit les places d’honneur, j’ai aussi le droit de faire une médaille ». Il peut le faire avec la caisse qu’il a. Il doit être revanchard.
- Et quelles sont vos attentes sur les individuelles de jeudi ?
C’est une course qui est « simple » où on peut être récompensé avec un très bon tir. Antonin et Emilien auront l’occasion de faire le job et ils doivent aussi penser à faire un podium comme ils pourraient le faire en coupe du monde. Ce serait chouette qu’ils ne se mettent pas de barrière sous prétexte que ce sont leurs premiers Jeux. Il faut être à son maximum, ce sera une course ouverte sur une piste difficile.
Physiquement, les Français sont pas mal, à condition de se mettre dans le bon tempo. Chez les dames, c’est ouvert aussi. Physiquement, Kaisa Makaraïnen n’est pas la meilleure du moment pour moi. Elle n’a jamais eu de médaille olympique encore… Je vois plutôt Laura Dahlmeier ou Anastasiya Kuzmina vu ce qu’elles ont montré depuis le début. Darya Domracheva, Dorothea Wierer ou une Anaïs Chevalier revancharde pourront se mêler à la bagarre pour la gagne…
Photos : NordicFocus