SAUT À SKI – Le sauteur à ski de La Sarraz, dans le canton de Vaud, a acquis un nouveau statut depuis sa médaille de bronze au grand tremplin lors des Mondiaux de Seefeld.
Il y a une dizaine d’années, lors d’une conversation avec l’ancien sauteur devenu entraîneur des jeunes, Sylvain Freiholz, concernant le manque de relève en Suisse derrière Simon Ammann et Andreas Küttel, le spécialiste devenu consultant pour la Radio Télévision Suisse (RTS) parlait d’un jeune de treize-quatorze ans « qui [avait] toutes les qualités pour atteindre un jour le haut niveau. » Et d’ajouter alors : « Mais quand on sait tous les petits détails qui doivent s’additionner pour réussir, va-t-il y parvenir ? »
Ce jeune, c’était Killian Peier. Dix ans plus tard, nous voici en face de lui pour évoquer son parcours, au moment où il est devenu le numéro 1 suisse du saut à ski. Depuis une année, il côtoie le gotha de sa discipline. De quoi rendre fier le village de son enfance, La Sarraz (Vaud). Le 29 juin dernier, le sportif a d’ailleurs été longuement et dignement fêté. « J’avais eu un contact avec lui après la Tournée des Quatre Tremplins dans l’idée de le fêter et nous avions déjà fixé la date, explique Daniel Develey, syndic [le maire dans le canton de Vaud, ndlr.]. C’est un honneur pour nous d’avoir un champion tel que lui. Nous en avons profité aussi pour honorer d’autres sportifs du village, en particulier Elliott Peier, le frère de Killian, qui est champion suisse de slackline [un sport qui s’apparente au funambulisme, ndlr.]. »
Pour le sauteur, la fête s’est poursuivie l’après-midi en participant à une initiation de saut sur le tremplin de Chaux-Neuve (Doubs), puis le samedi soir à la vallée de Joux.
Une belle surprise
Après deux ou trois saisons un peu poussives en coupe du monde, les résultats du jeune homme âgé de 24 ans sont allés crescendo depuis l’été 2018 et surtout la médaille de bronze du concours au grand tremplin des championnats du monde de Seefeld, en février dernier.
Pour le Vaudois, le déclic s’est produit au printemps 2018, provoqué, en partie tout au moins, par sa non-sélection pour les JO de PyeongChang. « Je ne cache pas que j’ai d’abord été très déçu, confesse-t-il. Mais après, je l’ai pris pour une opportunité. J’étais confronté à la réalité : je n’avais pas le niveau pour rivaliser avec les meilleurs. » À ce moment-là, il avait néanmoins conscience de son potentiel : « J’étais comme devant un puzzle dont j’avais les pièces, mais je ne savais pas comment les mettre en place. J’ai alors décidé de travailler avec un coach. »
« On a senti Killian un peu vaciller, relèvent ses parents, Jean-Pierre et Romana Peier. Il nous a dit qu’il ne voulait plus se contenter d’une 25e ou 30e place. C’est ainsi qu’on a vu qu’il n’allait pas se laisser abattre. » Pour Sylvain Freiholz, la non-sélection pour les JO s’est donc révélée « le gros déclencheur. » « Il s’est rendu compte que l’engagement qu’il avait jusqu’alors ne suffisait pas, poursuivent-ils. Il a pris des décisions importantes qui l’ont fait modifier son approche. »
Les résultats ne se sont pas fait attendre. Dès le premier concours du Grand Prix d’été, fin juillet 2018, à Hinterzarten (Allemagne), Killian Peier a terminé sur le podium. « J’espérais une belle performance, mais j’avoue que me retrouver sur le podium dès le premier concours, cela m’a étonné. J’ai eu alors la sensation que j’étais sur la bonne voie. »
Faire comme Simon Ammann
« Je me souviens qu’à la fin du printemps, il ne savait pas encore où se situer, précise Sylvain Freiholz. Alors ce fut une belle surprise. » Réussir de bons concours l’été est une chose, confirmer durant l’hiver une autre. « Au début de la saison, j’ai eu un peu de peine à être constant, reprend Killian Peier. Je faisais souvent une bonne manche sur deux. Le vrai déclic est arrivé lors du concours d’Innsbruck (Autriche) de la Tournée des Quatre Tremplins, lorsque je finis septième. »
Ce tremplin du Bergisel allait encore lui permettre de franchir un cap supplémentaire à la fin février lors du concours sur grand tremplin des Mondiaux : il termine médaillé de bronze après avoir été en tête à l’issue de la première manche. « Je n’ai appris que dix minutes avant le début de la seconde manche que j’étais en tête. J’ai su rester calme grâce à l’entraînement mental fait en amont avec mon coach. » Après le deuxième saut et quelques secondes angoissantes d’attente, il pouvait laisser éclater sa joie dans la raquette, devant d’innombrables spectateurs en liesse et des millions de téléspectateurs fascinés par les vols des leaders mondiaux du saut à ski. À ses côtés, ses camarades de l’équipe de Suisse, Simon Ammann en tête.
Simon Ammann… Évoquer le nom du quadruple champion olympique fait revenir dix-sept ans en arrière, aux sources de la motivation de Killian Peier de pratiquer le saut à ski. Le Sarrazin avait sept ans lorsque le Saint-Gallois a remporté les deux médailles d’or aux JO de Salt Lake City. Devant la télévision familiale, le garçon était fasciné. « Un mois plus tard, nous étions aux Tuffes pour voir les championnats franco-suisses où il y avait plusieurs milliers de spectateurs », racontent ses parents. « Je voulais faire comme Simon Ammann », ajoute leur fils.
Les débuts au Brassus
Ce n’est que quatre ans plus tard qu’il s’est retrouvé pour la première fois en haut d’un tremplin, celui d’initiation du Brassus. « Son père m’avait appelé car il avait appris que nous organisions des initiations, explique Sylvain Freiholz. Il est arrivé un samedi, équipé de ses skis alpins et j’ai tout de suite vu qu’il avait quelque chose de plus que les autres. »
À l’évocation de cette journée, les yeux de Killian Peier brillent. « À la fin de la journée, Sylvain m’a demandé si je voulais revenir le lendemain, se souvient-il. J’ai dit oui et quand je suis arrivé le dimanche, il avait pour moi tout l’équipement : skis, chaussures, combinaison. »
Le fait d’avoir commencé tard n’a pas été un désavantage pour le sauteur. « C’était même une chance, souligne le consultant de la RTS. Il avait du retard par rapport aux autres, ça l’a poussé. » L’intéressé confirme : « Je me suis retrouvé avec des gars du même âge que moi mais qui sautaient sur de plus grands tremplins. Cela m’a motivé. » Et d’ajouter : « À ce moment-là, c’était un rêve pour moi d’arriver au haut niveau, mais sans image concrète encore. Au fil des ans, je me suis rendu compte que j’avais du potentiel, sans pour autant savoir comment m’y prendre. »
C’est alors que les détails dont parlait Sylvain Freiholz se sont additionnés. À commencer par un encadrement familial très sain. « Nous sommes une famille très sportive et nous avons soutenu Killian dans sa volonté de faire du saut, reprennent ses parents. Une fois sa scolarité terminée à La Sarraz, il est parti à Einsiedeln et a fait une formation d’employé de commerce à Zurich. » Pour Killian, « le soutien familial, l’encadrement sportif, la volonté personnelle représentent un tout qui [lui ont] permis d’arriver là. »
Killian Peier est conscient que rien n’est définitivement acquis et qu’il sera attendu cet hiver. « Techniquement je suis sur la bonne voie, estime-t-il. Sur le plan mental, j’ai encore du travail pour gérer mon nouveau statut et rester calme et serein. Je ne me dis pas « il faut que », mais « je peux. » Ce qui n’est pas forcément simple car dans ma nature, je manque plutôt de confiance en moi. Quand je fais une erreur, j’ai trop tendance à me focaliser sur elle. Je dois encore apprendre à davantage regarder ce qui va bien. »
Ce portrait a été publié dans Nordic Magazine #31 (octobre 2019)
Photos : Nordic Focus.