Jessica Diggins sur les skis quand le Capitole de Washington est envahi
Dans la presse américaine, The New Yorker est une institution. Ce magazine fondé en 1925 diffuse à plus d’un million d’exemplaires. Ses couvertures sont en outre iconiques. Pour le Courrier International, c’est « un concentré du style et de l’humour new-yorkais, en particulier dans ses cartoons subtils et désopilants. Ses reportages au long cours, ses analyses politiques, ses critiques et ses fictions en font le magazine favori des intellectuels américains. »
C’est dire que, lorsque The New Yorker consacre un long article à Jessie Diggins, cela ne passe pas inaperçu. Il est vrai qu’elle est devenue la première non-Européenne à remporter le Tour de Ski en début d’année. Puis, elle réitéré l’exploit en devenant la tout première extra-Européenne à remporter le classement général final de la coupe du monde de ski de fond.
Comme peut paraître incongrue l’identité de son auteur, l’écrivain Bill McKibben, l’un des fondateurs de la campagne de lutte pour le climat 350.org.
Selon lui, ce qu’a accompli la skieuse cet hiver en Europe mérite – c’est le terme qu’il emploie – toute l’attention de ses compatriotes.
Déjà, il rappelle le contexte sanitaire qui a conduit Norvégiens, Suédois et Finlandais à s’éloigner durant plusieurs semaines de la coupe du monde — « une position raisonnable, étant donné que les poumons sont l’équipement le plus important qu’un athlète d’endurance possède. »
Les Américains, eux, ont choisi de ne pas quitter le bord. Rentrer aux Etats-Unis, qui affichaient des taux de contamination plus élevés que sur le vieux continent, n’aurait guère eu de sens.
Et, note The New Yorker, courir quand d’autres attendaient sur le banc de touche a servi leurs intérêts. Cela a d’abord profité à Rosie Brennan. De mi-décembre à début janvier, la fondeuse de l’Alaska a porté le dossard jaune de leader. Elle l’a ensuite donné à Jessie Diggins lors de la première épreuve du Tour de Ski.
Retenons cette description : « La fin d’une course met régulièrement en scène des skieurs étendus dans la neige juste de l’autre côté de la ligne d’arrivée, des poitrines qui se soulèvent – la scène ressemble moins à un événement sportif qu’à un daguerréotype d’un champ de bataille. Mais leTour de Ski magnifie tout cela. »
D’autant que, alors que Jessie Diggins disputait une poursuite à Toblach (Italie), Washington connaissait l’un de ses plus sombres épisodes. Mercredi 6 janvier, des manifestants pro-Trump envahissaient le Capitole, n’hésitant pas à se confronter aux forces de l’ordre. « Les étoiles et les rayures de sa combinaison étaient un spectacle courageux à cette époque, lorsque le symbole du drapeau était vraiment mis en doute », écrit Bill McKibben.
Au retour des Norvégiens – et donc de Therese Johaug, « la plus grande skieuse de fond de sa génération », le vent aurait pu radicalement tourné. De l’autre côté de l’Atlantique, on retient toutefois le 10 km de Falun (Suède). Ce jour-là, Diggins a battu la Scandinave. « Elle court avec le courage de Steve Prefontaine [un athlète américain spécialiste des courses de fond sur des distances allant du 1 500 m au 10 000 m, NDLR], et je suis sûr que la force la plus importante qu’elle a développée est cette capacité à supporter la douleur », a confié l’entraîneur américain de longue date, Matt Whitcomb, à l’auteur de l’article qui ajoute : « Sa tactique est de souffrir (…). »
Le conte de fées n’a pas duré lors des championnats du monde de ski nordique à Oberstdorf (Allemagne). « Elle était sans doute fatiguée, après une saison complète de courses et sa victoire au Tour de Ski, mais le problème le plus profond était peut-être la chaleur », avance le média américain qui a bien noté qu’elle avait raccourci sa tenue.
C’est l’occasion pour lui de rappeler que Jessie Diggins est une « véritable militante » de la lutte contre le réchauffement climatique que l’ancien président Donald Trump n’a cessé de nier.
L’engagement de Jessie Diggins ne s’arrête pas là. Sur son bandeau, aucun sponsor mais une référence au programme Emily de la faculté de médecine de l’Université du Minnesota, où elle a été traitée pour ses problèmes d’alimentation.
L’avenir, ce sont bien sûr les Jeux olympiques. A Pékin donc si le coronavirus le permet. « Si vous cherchez quelqu’un qui mérite d’être encouragé, ne cherchez pas plus loin », conclut The New Yorker.
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