Samedi matin, la Station des Rousses inaugure la piste des pensées. Nordic Magazine a interrogé la philosophe Isabelle Queval, enseignante-chercheur à l’Université Paris-Descartes, afin qu’elle analyse cette initiative originale. Entretien.
Peut-on réfléchir, méditer, “philosopher” en pratiquant du sport “loisirs” ?
Oui, de toute évidence. La marche ou la course à pied, activités de longue haleine sont souvent décrites comme propices à la réflexion. On peut bien sûr y associer le ski de fond qui relève d’un rapport à soi et au corps similaire. On pourra même dire, comme le fait par exemple Maine de Biran, que l’effort physique est emblématique de tout effort, y compris intellectuel. L’activité physique délie en quelque sorte la pensée, elle en favorise le déroulement, elle procure aussi des sensations qui procurent une approche des notions de performance, d’effort sur soi, d’émulation, de compétition, de douleur et de plaisir. Elle permet aussi, parfois comme le sommeil que « les choses se mettent en place ».
Pensez-vous qu’être en pleine nature (et non dans un stade) peut aider à une parenthèse intellectuelle ?
Tout à fait, mais les stades eux-mêmes sont historiquement déjà des parenthèses par rapport à la vie urbaine et professionnelle. Ils émanent au XIXe siècle d’une nouvelle répartition entre temps de travail et temps de loisirs. La nature propose un autre cadre, un autre risque, on est au milieu des éléments. Il y a là un rapport sans doute plus métaphysique à l’effort que dans un gymnase. Quoique…
Comment analysez-vous l’invitation à s’arrêter régulièrement dans un exercice physique, ce qui accroît le temps consacré à l’accomplissement du parcours, donc la performance physique ? Autrement dit, l’exercice intellectuel ne s’oppose-t-il pas à l’épanouissement de l’effort ?
Tout dépend l’effort que l’on vise. Si vous travaillez le sprint ou le slalom, mieux vaut en effet ne pas vous arrêter. Si vous pratiquez le golf ou le ski de fond l’arrêt n’est plus intempestif mais inclus dans la culture de ce sport. L’effort lui-même permet ce nouveau rapport à la temporalité que la vie quotidienne sans cesse prise dans des urgences et le culte de la vitesse ne permet pas toujours de déployer. Aux origines étymologiques du mot sport, autant le « desport » français, que le verbe anglais « to sport » signifiaient entre autres « s’évader ». On l’oublie parfois, captif que nous sommes de la performance à tout prix.
Isabelle Queval a publié Le Petit abécédaire du sport (Larousse) et Le corps aujourd’hui (Folio Essais).
Photo : J. Sassier/Gallimard
Lire aussi notre article dans le n°2 de Nordic Magazine.