« Comme me dit ma maman, (mais je ne pense pas pouvoir uniquement expliquer mon résultat par cette explication), voilà typiquement le genre de « course » où vous êtes touché par la « grâce ». […]
Le tour de l’Oisans était pour moi l’objectif !”
Je suis donc à nouveau rentré dans le monde de l’ultra à l’ occasion du tour de l’ Oisans Express. Le défi de l’Oisans, dans sa version classique (tour de l’Oisans par le GR54 en 6 jours) existe depuis 20 ans et c’ était l’ occasion, pour cette année, de le réaliser d’ une traite sous la forme d’ un ultra de 180 km pour 12 000 m de dénivelé +. […] Le TOE était pour moi L’ OBJECTIF principal de l’ année. Cela tient d’ une part à la beauté et à la difficulté du parcours, et aussi à des raisons affectives. Par le biais d’ oncle et tante et de mes grands parents, j’ai depuis tout petit fréquenté ce massif de l’ Oisans, et les images de montagne que j’ ai dans la tête correspondent à Ailefroide, la barre des Ecrins, le chazelet où les cendres de mon grand père sont dispersées.
L’avantage de l’ultra, c’est de pouvoir discuter avec les gens !”
[…] Lorsque le départ est donné je retrouve Cyril Cointre, Guillaume Millet et bien d’ autres connaissances. Comme je le disais à Cyril dans la descente des 2 Alpes, l’ avantage de l’Ultra, c’ est de n’avoir pas le stress des départs rapides et de pouvoir discuter et rencontrer des gens. C’ est donc partit pour une jolie balade autour de l’Oisans.
JUSQU’A SERRE-CHEVALIER. La 1re partie (jusqu’ à Serre-Chevalier) est moins difficile malgré quelques raidards bien sympas. Nous nous retrouvons rapidement à quatre devant avec Guillaume (qui arrêtera à Vallouise à cause d’ une blessure), Cyril et un Espagnol qu’ on ne connaît pas. Pour moi, la course ne commençait peut-être pas à La Chapelle-en-Valgaudemar, comme disait Arnaud Mantoux, mais à Vallouise où j’allais rentrer dans la nuit et dans le fond du fond du Parc national des Ecrins.
Le petit détail qui a son importance c’ est que ça doit être la première fois que ce tour de l’ Oisans est pluvieux et le moins que l’on puisse dire, c’ est que nous avons tous attendu avec impatience l’ amélioration prévue par le routeur météo.
ARRET A VALLOUISE. C’est vers 20-21h après mon arrêt à Vallouise qu’ il a enfin cessé de pleuvoir pour de bon. D’ une certaine façon, il faut s’ estimer heureux car les précipitations ont toujours été fines et le brouillard m’a épargné sur tout le parcours. Comme prévu, je fais ma première bonne pause (km 83) à Vallouise où j’avais vraiment blindé mon ravito, comme tous les autres d’ ailleurs, de manière à pouvoir parer à tout. Je mange sérieusement, me change complètement et repars pour la nuit après Cyril et Pablo. […]
Le temps des ravins, la panique me prend !”
Quelques kilomètres après Vallouise, à l’ endroit où l’ on retrouve les marques du GR sur l’ asphalte pour aller jusqu’ au fond de la vallée d’ entre les Aygues, de l’ autre côté du torrent, il y a un panneau de chemin de rando. Je vais voir. Tiens, il mène au même endroit. Et bien pourquoi ne pas le prendre plutôt que de rester sur la route comme le disait le road book. Allez, c’ est parti ! Je passe un ravin, deux ravins, je m’ éloigne parfois très très très abruptement du torrent, ça monte, ça descend. La panique me prend : vais- je revoir la route ? On a tous eu l’ expérience d’ emprunter des chemins qui mènent nulle part . Je fais demi-tour, je continue ? Finalement je persiste et finit par retrouver un pont qui traverse l’Onde et me refait prendre pied sur la route.
Résultat des courses, j’ai bien dû faire 200 m de dénivelé en plus, j’ ai peur de m’être fait bien passer et surtout […] je suis complètement trempé par les hautes herbes et les branchages alors que si j’ étais resté gentiment sur la route..
Côté course, j’ aperçois devant moi un mec qui a l’air d’ aller bien vite (il s’ agit d’ un duo), et plus loin Cyril. Au pire, j’ai quand même un tee-shirt, une polaire supplémentaire et des gros gants dans mon sac, mais il faut que j’arrive à aller jusqu’ à Chapelle-en-Valgaudemar où j’ai tout mon change et Jean-François qui m’ attend pour faire les 55 derniers kms avec moi.
CAULP MARTIN, POINT CULMINANT. Après avoir repris Pablo l’ Espagnol qui était partit assez vite, je passe finalement le col de l’ Aulp Martin (point culminant du parcours) sans avoir trop froid. J’ai l’ impression que ça s’ est radouci. J’ enchaîne la traversée au pas de la cavale accompagné de Pablo, car j’ ai discuté 3 mn au col avec les jalonneurs qui me disent qu’ il neigeait quand ils sont montés au col. Nous allons redescendre sur la pré de la Chaumette où, peut-être quelques amis-collègues d’ Orcières-Merlette accompagnés de quelques clients, devaient venir m’ encourager mais vu la météo qu’ il a fait les heures précédentes…. A quelques centaines de mètres du refuge, je vois scintiller plein de petits points. Il s’ agit des yeux du troupeau de brebis qui me regardent arriver. Au loin, j’ entends des voix. Oui, ils ont venus, ça fait super plaisir. […] Je fais bien sûr une petite pause à l’ intérieur. L’ ambiance est feutrée, il fait super chaud et sur la table, un morceau de tarte du Champsaur que je partage parfois avec mes clients du village club que j’ accompagne parfois ici. Je vais entamer une partie que je connais très bien.
Les pieds me font mal”
VALGAUDEMAR. Le fond du fond du Champsaur puis du Valgaudemar. Certains vont s’ en souvenir. Je croise les doigts. Les jambes sont toujours bien là, les pieds ne me font pas mal, tout est au top mais je continue à ne m’ occuper que de moi sans penser à un résultat. Enfin si!! vu l’ état des forces en présences, le top 3 est envisageable mais la course est encore très longue et il peut se passer plein de choses. Je repars requinqué du pré de la Chaumette, encore derrière l’ Espagnol, mais devant cyril.
Comme à chaque fois je reprends l’ Espagnol dans la montée et… je crois que je gagne la course dans le col de la Valette !
J’ avance toujours sur un rythme régulier et plus que correct après 110 km de course et je vois la lueur de sa frontale diminuer de plus en plus. Là, je me dis qu’ il faut peut-être, sans se mettre dans le rouge, persévérer et tenter de creuser un trou plus conséquent. La nuit est belle, étoilée, je n’ ai ni froid, ni sommeil. J’ enchaîne le col de Gouiran. Ce vallon suspendu me donne l’ occasion de voir la distance qui me sépare de Pablo et de Cyril qui est revenu. Viennent ensuite la descente du col et le départ de la sente qui monte au col de Vallonpierre que je mettrai bien 5 min à trouver bien que je connaisse le parcours. […] Je trouve cette course vraiment très engagée et c’ est la première fois que je me dis sur une course, qu’ en cas de pépin, ça pourrait vite faire du grabuge.
COL DE VALLONPIERRE. Au passage du col de Vallonpierre, je n’ oublie pas de déposer ma pierre sur le cairn dédié à Laurent Smag, initiateur de cette épreuve. La descente sur Chapelle en Valgaudemar est interminable mais je sais que la base vie m’ attend avec affaire sèches, repas, kinés et Mouxo, qui va faire toute la fin avec moi. Au refuge de Vallonpierre, je rattrape le 1er duo avec qui je ferai toute la descente sur Chapelle. […] Enfin nous rentrons à Chapelle et dans la base vie. […] Changement complet de nouveau, ravitaillement, pâtes/soupes, préparées et servies avec amour par Arnaud. Je cède également à la tentation du massage des quadriceps mis à mal par l’ interminable descente.
Entre-temps, Pablo est arrivé et est reparti légèrement devant moi, enfin devant nous, devrais-je dire, car, en plus d’ être accompagné par Moux, il y aura aussi Samuel. Comme à la précédente base-vie, je pense que j’arriverai à vite refaire mon retard.
Une fin de course sur le fil !”
Je commence à penser à une éventuelle fin de course sur le fil. Il faut que j’ essaye de garder le minimum qu’ il me reste au cas où on serait obliger de courir la remontée sur les 2 Alpes. Je commence cette dernière partie accompagné par mes deux pacers. Comme prévu, nous retrouvons Pablo à la sortie du village. Je vois quand même qu’ il a l’ air un plus entamé que moi, mais il est toujours là. Moi aussi, mais je connais la fin ! Il ne faut pas s’ enflammer sous prétexte qu’ il reste 50 bornes car je suis sûr que ça pourrait vite bloquer.
COL DE LA VAURZE. Je fais donc la bosse (+1400m) du col de la Vaurze sur un rythme régulier et plus que correct d’ après Samuel qui est chercheur en ultra endurance comme Guillaume et Grégoire Millet. Ce col est interminable mais je suis toujours conquérant. Je ne cesse de me dire qu’ il faut être patient comme depuis le début. Ce coup-ci, je crois que l’ Espagnol est en perdition et nous ne voyons plus personne. Le levé du jour au dessus de la mer de nuage est magnifique […]. Nous enchaînons le descente sur le Désert en Valjouffrey, hyper technique, et au rythme de Samuel que j’ essaye de modérer car les descentes me font maintenant bien mal.
Je commence à maudire les cailloux !”
Je commence à maudire ces cailloux que mes ongles d’ orteils rencontrent fréquemment et ça me gave…Je tourne la cheville une fois. Je crois qu’ il faut faire les descentes restantes beaucoup moins vite. Enfin, c’est plûtot mes cuisses et mes pieds qui décident car je me dis qu’ une erreur d’ attention à ce moment de la course serait fatale, j’ en suis sûr. Nous arrivons au Désert après une nouvelle descente toute aussi interminable. Elles le serons toutes de plus en plus maintenant !
LE DESERTIQUE DESERT. Au Désert, c’ est vraiment désertique. Il n’ y a que la tente de montée sans la bouffe et les boissons qui vont avec. Il faut dire qu’ on est peut-être à peine en avance ! […] Je crois qu’ il n’ y a désormais plus personne derrière et commence à penser au dénouement de l’ histoire sans penser à la victoire. Je suis comme ça, tant que je n’ ai pas passé la ligne d’ arrivée, je m’ efforce de rester concentré sur mon rythme, sur ma boisson…
Ma petite expérience d’ ultra-traileur me fait dire qu’ il faut pas vendre la peau de l’ ours et qu’ il reste à enchaîner côte-belle, la Muzelle et la petite remontée de Venosc. […]
LES DERNIERS COLS. La Vaurze c’ est interminable. Côte-belle, je crois que j’ ai jamais vu 1000 m aussi raide. La Muzelle peut-être encore plus raide ? J’ arrive à monter Côte-belle assez joliment toujours d’ après Samuel. Je le crois aussi car j’ ai encore un peu de jus et on se dit que si pour moi, c’ est dûr, c’ est la même chose derrière voire pire. On se retourne. C’ est maintenant le no-man’s land. J’ appréhende la descente sur Valsenestre où se tient la dernière base-vie à 18 km de l’ arrivée.
L’affaire est dans le sac !”
Finalement, je trouve cette descente assez roulante et plus agréable, je me régale presque! Ce coup-ci, je commence à penser tactique et me dis que si j’ arrive à repartir de Valsenestre avant que Cyril et Pablo n’ arrivent, à moins d’ une grosse défaillance, l’ affaire est peut-être dans le sac. Je décide donc de faire un ravito assez rapide à la base-vie (15 min quand même). Nous croisons Cyril et Pablo 2 km avant l’ entrée du village duquel il faut ressortir pour aller chercher le départ du dernier col. A ce moment, je dois bien avoir ½ heure d’avance. J’ y pense sans y penser mais je n’ y crois pas. Il faut rester concentré sur la Muzelle, où, pour de bon, je commence vraiment à être sec.
C’ est raide, c’ est austère, c’ est interminable. […] Franchement, je ramasse sévère et le passage au sommet est une libération. Personne de chez personne à l’ horizon. Je crois que c’ est gagné cette fois mais comme je suis comme saint Thomas et qu’ il y a maintenant la non moins interminable descente sur Venosc , je reste mesuré.
LA DESCENTE SUR VENOSC : UN CALVAIRE. Toujours stressé par un éventuel retour, je me retourne de temps en temps alors Moux et Samuel me disent que je peux ouvrir les bouteilles. La descente sur venosc est un calvaire et je pense à mes poursuivants et au reste des coureurs. Je cherche à la sortie de chaque virage si je n’ aperçois pas d’ habitations. La délivrance arrive enfin quand nous entrons dans Bourg d’ Arud. Il nous faut poursuivre jusqu’ à Venosc avec le téléphérique qui remonte aux 2 Alpes en point de mire. La chaleur est accablante dans le fond de vallée. Un petit détour par le ravitaillement installé en face de la gare de départ du téléphérique pour quand même bien s’ hydrater avant d’ attaquer les 800m nous séparant de l’ arrivée. Une défaillance ne serait peut-être plus fatale vue l’ avance que j’ ai, mais comme je n’ ai pas d’ infos précise sur l’arrière, je m’ éforce de rester sérieux jusqu’ à la ligne d’ arrivée.
Je me sens prêt à réaliser un colossal exploit !”
Je ne me suis jamais senti aussi prêt de réaliser un colossal exploit. Je sens que la station est proche car le sentier est très fréquenté et nous sommes encouragés par de nombreux piétons. Nous empruntons maintenant le sentier sous les bennes du téléphérique et nous sommes accompagné par le ronflement des cabines. Il sont loin les moments de grande solitude au fin fond du parc national des Ecrins. La montée est longue et beaucoup plus laborieuse qu’ envisagée. Il fait chaud et je m’ arrache pour franchir les nombreuses marches qui jalonnent cette montée. Samuel continue à m’ encourager inlassablement. 300 m, 200 m, 100 m, 50 m, une misère comparée à ces 11950 m+ déjà avalés… Puis c’ est le moment de la délivrance ! Nous arrivons au sommet accueillis par le Staff d’ organisation. Je comme
nce à réaliser que LA course est gagnée, THE course car sans être prétentieux, je crois que c’ est la plus difficile réalisée en France métropolitaine. […] Avec Samuel et Moux qui me tend le traditionnel drapeau made in Jura, nous effectuons un bon arrêt afin de me rendre présentable. Nous effectuons enfin le petit kilomètre qui me sépare de la ligne d’ arrivée. C’ est incroyable. Je réalise sans réaliser. Je me rends compte de l’ admiration dans le regard des gens, je suis très ému. Je coupe la ligne d’ arrivée en 32 h 34′ me semble-t-il.
Depuis jeudi, je suis sur mon nuage dont il va falloir redescendre un de ces jours. […] »