Le Jurassien Lucas Humbert dit ce qu’il pense. Ses critiques sur l’univers du trail sont féroces, aussi féroces qu’est grand son amour du trail. Qui aime bien, châtie bien ! L’adage se vérifie une nouvelle fois.
Dans un entretien à Nordic Magazine, le coureur évoque aussi le team Trail Jura qui vient de se constituer et qui est en pleine formation.
Vous avez annoncé aujourd’hui que vous quittiez l’organisation de la Maxi-Race et le team Hoka. Pour quelles raisons ?
Quand je vous aurai dit ce que je pense de l’évolution du trail, vous aurez la réponse. Comme je suis quelqu’un d’assez « intègre », je me dis qu’il serait ridicule de penser et d’afficher quelque chose et de faire complètement l’inverse.
Vous êtes souvent critique par rapport à l’évolution du trail. Est-ce à dire qu’un sport populaire – car il le devient – ne peut pas être fidèle à ses valeurs d’origine ?
Peut-être trop effectivement car j’en ai aussi profité. Les valeurs d’origine, encore faudrait-il les définir, d’autant que chacun peut avoir les siennes ! Pour ma part, j ai toujours considéré que le trail devait respecter des valeurs qui sont aussi celles des montagnards : respect, humilité, entraide, courage…
Moi-même, pour en avoir discuté avec Dawa Sherpa récemment, je me suis parfois pris trop au sérieux, notamment au Solukhumbu trail au Népal l’année dernière.
Cette évolution est le reflet de la société et ce n’est pas parce que la discipline est populaire qu’il faut nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je ne vais pas refaire le monde, mais il y a des choses qui finissent par me mettre hors de moi : auriez-vous mis beaucoup d’argent dans une paire de chaussures ou dans une inscription il y a 15 ans ? Quand on connaît le prix de revient et le prix de vente de ces matériels et textiles censés vous faire gagner, ça laisse rêveur !
Ce n’est pas respecter la montagne”
Ne pensez-vous pas que trop de courses tuent la course ?
Le calendrier est toujours plus garni. Il y a bientôt une nouvelle course toutes les semaines, si ce n’est pas plus. Je ne parle pas des grosses cylindrées qui vont s’installer chez les autres pour profiter de la manne. Je ne parle pas non plus des distances qui ne cessent de s’allonger chez tout le monde. C’est la course à l’échalote pour surfer sur la vague. Dawa lui-même est assez critique par rapport à cette évolution.
Il y a aussi les organisations qui prennent une carte IGN, tous les chemins blancs et qui posent des ravitos au plus facile. Le tour est joué, sans aucune recherche d’itinéraire.
Et les coureurs dans tout ça ?
Les coureurs eux-mêmes, et notamment en tête de course (je ne parle pas de tout le monde) ne donnent pas l’exemple ! Que je termine 4e ou 5e d’une course m’est complètement égal ; ce qui m’est moins égal, c’est que des concurrents vont se faire ravitailler sur le parcours par leur staff alors que le coureur lambda va porter ses 3 kg durant toute la course. C’est une question d’éthique. Chacun fait ce qu’il veut, comme se trimballer avec 50 cl alors que le règlement stipule 1,5 l. Ce n’est pas respecter la masse des coureurs (celle qui fait vivre les teams et les organisations des courses), ce n’est pas respecter l’organisation et ce n’est pas respecter la montagne. Signe que les temps ont changé et que l’on ne pratique peut-être pas la même discipline.
Chacun est libre de faire et penser ce qu’il veut. On a tous le choix, j’ai donc fait des choix !
Pourquoi rejoindre l’organisation de l’UTTJ à Saint-Claude et de l’UTAT dans l’Atlas marocain ?
J’ai décidé (rapidement) de rejoindre l’organisation de l’ UTTJ et de l’ UTAT car elles sont exactement le contre-exemple de tout ce que je viens de vous dire. Tout d’abord, j’ai énormément sympathisé avec les équipes organisatrices. Que ce soit Sam, Olivier et Minou Blanc sur l’ UTTJ, ou Cyrille et Brice sur l’ UTAT. Avec les autres membres, ce sont vraiment des gens adorables ! Dans un cas comme dans l’autre, l’équipe organisatrice et les bénévoles très impliqués pour proposer quelque chose de très fort aux coureurs, dans une atmosphère qui se rapproche plus de la colonie de vacances que de la course. Bien sûr, et je parle pour moi, il y a toujours un peu de « compétition » entre nous (disons qu’on essaye d’arriver avant l’autre), mais humainement, lorsque j’ai participé à l’une et à l’autre en 2011, c’était très fort. Pareil cette année en tant que bénévole ! Bien sûr, les parcours sont exceptionnels tant pour l’ UTTJ (le Jura en a déjà surpris plus d’un) que pour l’ UTAT, qui est vraiment, à mon sens, un vrai voyage, une immersion complète dans la culture berbère. Bref, j’adhère complètement à ces deux organisations, elles sont vraiment ce que j’entends moi, par trail, quand je suis coureur. Et je le serai pour les deux épreuves l’année prochaine. Pour l’ UTTJ, je fais partie de la commission parcours alors je propose, j’étudie et je défriche. Pour l’ UTAT, c’est à définir mais, comme cette année, je vais me rendre sur place avant pour leur prêter main-forte au niveau logistique.
On a tous intérêt à faire connaître le Jura”
Parlez-nous du projet team Trail Jura. À quoi souhaitez-vous qu’il ressemble ?
Le team Trail Jura existait déjà cette année. Quand on m’en a parlé, ça m’a fait rigoler et j’ai rapidement accepté car j’avais déjà eu aussi cette idée. Là aussi, je considère ce projet comme le contre-pied parfait à l’évolution du trail dont je parlais avant.
Les fondations de l’association ont déjà été posées mais cela reste à étoffer. Nous étions tous occupés sur différents fronts jusqu’à maintenant, mais nous allons nous occuper de ça cet hiver. L’objectif de ce team est de courir pour un territoire dont nous sommes tous fiers. Nous allons collaborer avec quelques magasins pour nous équiper, tenter d’obtenir un peu de financement de collectivités publiques et de sponsoring avec des entreprises locales, les plus représentatives possibles du Jura. Bien sûr, l’objectif n’est pas de tirer de gros bénéfices mais juste de nous permettre de vivre notre passion, toujours avec le territoire en arrière-plan. Ce projet me tient très à cœur. Je pense qu’il peut fédérer les coureurs-montagnards du haut et du bas et je pense que l’on peut faire parler du Jura de temps en temps. On a tous à gagner à faire connaître notre massif. C’est un jeune diplômé accompagnateur en montagne qui vous le dit.
Qui pourra en faire partie ?
L’idée est de constituer une équipe d’une dizaine de membres. Quelques-uns y étaient déjà l’an passé : Cyril Bouvier, Séverin Panigot, Romain Gavand. Sébastien Jeu nous quitte pour aller chez Scott. D’autres vont nous rejoindre pour le mercato… L’idée serait aussi d’essayer d’avoir 1 ou 2 jeunes. Pour ce qui est des filles, je sais qu’il y avait Elizabeth Moine l’an passé, mais là, on se connaît moins !
À titre personnel, brandir le drapeau “Jura” au sommet du Toubkal (point culminant du Haut Atlas avec 4 167 m) a été un moment fort ?
Bien entendu, comme devant l’ Everest l’an passé ou à d’autres occasions. C’est une façon de dire que l’on est fiers de notre massif, et si l’on est fiers, c’est qu’ il faut y venir !
Comment souhaitez-vous vivre le trail en 2013 ?
Simplement comme l’année passée en me faisant plaisir à découvrir de nouveaux endroits et faire de belles rencontres. Au niveau sportif, l’année passée a été exceptionnelle, en résultats et en émotion. Simplement avec cette arthroscopie il y a 15 jours et cette année où je n’ai pas couru plus de…. 65 km, l’ année prochaine sera une année de transition. Mes gros objectifs seront des courses de 2×55 kms et de 105 kms !