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Martin Fourcade | Jean-Christophe Péraud : la première rencontre

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BIATHLON – Avant ce jour d’été 2014, Martin Fourcade n’avait jamais rencontré Jean-Christophe Péraud, VTTiste puis coureur cycliste, aujourd’hui retraité des pelotons. A l’invitation de Nordic Magazine, les deux hommes avaient longuement discuté. « S’aventurer vers de nouveaux challenges est aussi un moyen de faire perdurer le plaisir », avait notamment confié le biathlète.

 

En 2014, nous avions réuni Jean-Christophe Péraud (qui venait de terminer 2e du Tour de France) et Martin Fourcade, alors double champion olympique à Sochi. En plein cœur de juillet, le patron du biathlon mondial avait comparé son envie de ski de fond au parcours de l’ancien vététiste. Les deux hommes ne s’étaient jamais rencontrés. Pour Nordic Magazine, ils s’étaient confiés.

 

  • On sent chez vous une attirance pour le sport de l’autre. Comment l’expliquez-vous ?

Martin Fourcade : On roule quand même beaucoup en vélo pour la préparation [Lire Nordic Magazine n° 11], alors on se prend vite au jeu et on s’intéresse aux résultats. Il y a peut-être encore plus de similitude dans l’effort avec le VTT.

Jean-Christophe Péraud : Je pense qu’il y a une transversalité totale. On a deux sports d’endurance, de résistance. On retrouve plutôt ça en VTT. Sur route, il y a d’autres aspects spécifiques à la course avec une échappée, le tempo qui est effectué derrière, etc. Dans le final, on revient sur le même genre d’effort qu’en ski où l’on est au seuil. L’hiver, même si ce n’est pas mon cas parce que je suis un fainéant, on retrouve pas mal de cyclistes sur les pistes. Les intensités de travail sont les mêmes, il y a un aspect ludique et tu travailles l’endurance.

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  • Martin Fourcade, cet été au moment de répondre aux médias sur votre envie de ski de fond, vous vous êtes comparé à Jean-Christophe…

Martin Fourcade : Le ski de fond et le biathlon, ou le VTT et le vélo de route, ce sont des sports proches mais complètement différents. Ce n’est pas le même effort, pas la même atmosphère. Ce sont deux mondes et des efforts qui s’opposent également. C’est remarquable ce qu’à fait Jean-Christophe en réussissant son passage sur la route. Au moment où je me lance un défi fond/biathlon, je me cherche des sources d’inspiration qui ont réussi.

 

S’aventurer vers de nouveaux challenges est aussi un moyen de faire perdurer le plaisir.

 

  • Quelles sont ou quelles ont été les sources de motivation pour sortir de votre zone de confort et vous aventurer dans un univers qui n’est pas le vôtre ?

Jean-Christophe Péraud : Le challenge ? Trouver de nouvelles sources de motivation tout simplement.

Martin Fourcade : Certains biathlètes ont fait ça pour montrer aux skieurs de fond ce qu’ils étaient capables de faire. Ça n’a jamais été mon état d’esprit. Je n’ai pas fait le Tour mais j’ai réussi beaucoup de choses dans ce que j’ai accompli en biathlon et j’ai envie de me lancer un nouveau défi. Ne pas rester sur quelque chose que je sais faire. S’aventurer vers de nouveaux challenges est aussi un moyen de faire perdurer le plaisir…

Je voulais garder une motivation intacte. Je ne me voyais pas repartir sur un schéma similaire aux années précédentes. Je ne voulais pas que ma maison devienne une routine. Ce n’est pas bon pour la performance.

Jean-Christophe Péraud : Pour moi, ce n’était pas une peur de la lassitude. Je prenais toujours autant de plaisir à être sur le circuit VTT. Je m’éclatais. Mais j’avais besoin d’autre chose. Et l’envie de découverte a fait évoluer les choses. Je savais que c’était dans mes cordes de passer sur route, c’était plausible. Et ça m’aurait ennuyé de ne pas le faire.

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  • Avant vous, des athlètes ont réussi leur transition vers d’autres sports. On pense notamment à Lars Berger (1) ou Ole Einar Bjoerndalen (2), mais aussi à Cadel Evans (3). Est-ce que cela vous a inspiré ?

Jean-Christophe Péraud : Moi ? Pas du tout… Je n’avais pas l’intention de reproduire ce que quelqu’un avait fait avant moi. C’est une quête personnelle. J’ai toujours vécu ma carrière sportive comme ça, à me fixer des challenges et à me donner des objectifs personnels. Effectivement, je me doutais bien que ça pouvait marcher au regard des exemples récents. »

Martin Fourcade : Je ne voulais pas imiter quelqu’un ou reproduire ce que certains avaient fait. Mais c’est vrai que de voir Berger performer en ski de fond et revenir le week-end d’après avec des temps moins bons que les miens, cela donne des idées. Je ne partais pas dans l’inconnu.

Jean-Christophe Péraud : Ce que j’ai « apprécié » en changeant de discipline, c’est aussi de prendre des roustes, découvrir un autre sport avec ses nouveautés. Enfin, je rectifie, quand tu prends des déculottées, ce n’est pas vraiment drôle. Mais après tu te bats et tu inverses la tendance, c’est chouette…

 

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  • Vous avez connu tous les deux des débuts difficiles en changeant de discipline…

Martin Fourcade : La course de sélection s’est très bien déroulée. La coupe du monde la semaine suivante, beaucoup moins…Ce n’était pas simple. Pour ma première, il y avait beaucoup d’incompréhension. J’avais mis beaucoup d’énergie la semaine précédente. Je voulais bien faire. Le soir, je me blesse un peu à la récupération. Je suis parti une semaine, j’étais en dehors de mes repères. Et mon échec vient de là… Au-delà du mauvais résultat qui fait mal, j’avais surtout l’impression d’avoir fait quelque chose qui ne me ressemble pas.

Jean-Christophe Péraud : Il y a aussi le paramètre de la glisse dans leur sport. Tu as beau être le meilleur, si tu n’as pas les bons skis lors de la bonne journée, tu es mort. C’est très technique, contrairement à nous. Concernant mes débuts, je découvrais un nouvel effort où il fallait repartir le lendemain. Je me souviens que j’avais vraiment les jambes défoncées au départ. Sur la distance, sur la manière de courir, j’ai eu pas mal de choses à apprendre… »

 

Je ne force pas la porte en disant c’est moi le meilleur et les autres se taisent.

 

Martin Fourcade : Ce que je n’ai pas eu à appréhender, contrairement à Jean-Christophe, c’est de passer d’un sport individuel à un sport « pseudo » collectif…

Jean-Christophe Péraud : Au début, je n’ai pas vécu le vélo de route comme un sport collectif. Je pensais que je pouvais faire la course tout seul. C’était une erreur.

 

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  • Sur cette notion d’équipe, Martin Fourcade, vous avez pris la tête de l’équipe de France très jeune. Jean-Christophe, vous avez dû apprendre le « métier » de leader avec une expérience de néo-professionnel. Comment avez-vous chacun vécu ces moments ?

Martin Fourcade : Ça s’est bien passé dans le sens où il y a une part de leadership qui est due à mes résultats, et l’autre au caractère. Je ne force pas la porte en disant c’est moi le meilleur et les autres se taisent. Il faut avoir l’intelligence de se taire et d’écouter. C’est du management. Il faut prendre en compte les besoins de tes coéquipiers, c’est comme ça que la vie de groupe se déroulera bien. Mon rôle consiste aussi à apaiser parfois les tensions et que l’équipe vive bien.

Jean-Christophe Péraud : Je n’ai pas un charisme naturel qui fait de moi un meneur d’hommes. Là où je rejoins Martin, c’est que mon palmarès et mes résultats me permettent d’être à ma place. Après, effectivement, c’est du management : il faut gérer une équipe et j’ai toujours des difficultés avec cela. Rester naturel amène de la confiance. Je le vis comme ça. Moi je ne suis pas le meilleur mondial dans ma discipline ; Martin, c’est le contraire. Il a un truc supplémentaire par rapport à moi. Il vise l’excellence là où je vais viser une médaille ou un accessit… Je pense avoir de la clairvoyance par rapport à mon niveau. Quand je peux, je ne me gêne pas pour gagner. Dans ma discipline, j’ai un niveau inférieur. Martin court en permanence pour la gagne. Pas moi.

 

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  • Vous avez connu tous les deux une exposition médiatique importante après vos différentes performances. Un moment facile à vivre ?

Martin Fourcade : J’ai eu la chance que ce soit progressif. J’avais déjà fait une médaille à Vancouver avant mes médailles de Sochi. Ma notoriété éclate le jour où je remporte la poursuite. Je m’étais préparé à ça. C’est parfois étrange quand tu passes dans le domaine public. Ta vie t’appartient et après ce n’est plus vraiment le cas tous les jours. Je me suis entouré, j’ai anticipé. Je travaille avec une attachée de presse, un avocat… Dans une certaine mesure, l’effet starisation, c’est aussi toi qui le veux ou pas. La relation au média joue sur l’image que tu vas faire ressortir au public. Quand les gens me reconnaissent, ils me félicitent et ça reste très cordial. Ici, à Villard-de-Lans, les gens me voient tous les jours. Quand ils voient que tu vas chez le boucher comme eux, ça désacralise un peu les choses. Certaines fois, on me demande si je ne suis pas frustré du manque de médiatisation du biathlon. On a la médiatisation qu’on mérite et je ne me verrais pas avec le train de vie de certaines stars du sport.

Jean-Christophe Péraud : Ce que l’on vit n’est pas comparable au foot. Ça reste gérable. Je ne peux pas comparer ma médiatisation entre 2008 et 2014. Ça n’a rien à voir ! Objectivement, on est sollicité mais cela reste raisonnable. Si je m’attendais à tout cela, j’ai quand même été surpris de l’intensité de la chose. Mais encore une fois, ça reste acceptable. Je ne suis pas Zlatan !

Martin Fourcade : Quand les gens te voient beaucoup à la télé, ils ont parfois l’impression que tu fais un peu partie de leur famille. Ils ont l’impression de te connaître ! Quand je rencontre quelqu’un, je le vouvoie. Dans le sport, tu apportes quelque chose à des gens qui sont dans leur salon. Cet été, devant le Tour de France, j’étais comme un dingue. Alors je peux comprendre que cette même réaction arrive quand tu regardes le biathlon.

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Bon, quand j’entends le discours de Martin, ça me donne envie de faire du biathlon.

 

  • On a eu l’impression que l’ensemble de la communauté du ski nordique soutenait Jean-Christophe l’été dernier. C’était notamment le cas de Jean-Marc Gaillard.

Martin Fourcade : Oui mais Jean-Marc, c’est pour l’âge ! Il veut prouver qu’on peut réaliser des grandes choses après 30 ans (rires) ! Plus sérieusement, le côté vététiste / routier nous a plu. Mais il y a aussi les valeurs que Jean-Christophe représente : sa manière de courir et sa façon de se faire mal sur le vélo. On ne connaissait pas Jean-Christophe, mais on s’est retrouvé dans l’image qu’il véhiculait à travers les médias.

Jean-Christophe Péraud : Ce que je ressens dans cette interview, ce que l’on a les mêmes valeurs.

 

  • On sort une baguette magique et l’on vous permet d’échanger vos vies. Ça vous intéresse ?

Martin Fourcade : Là où j’aurais du mal à me voir cycliste, c’est la répétition d’un même sport au quotidien. En biathlon, vu notre période de préparation très longue, on peut avoir beaucoup d’autres pratiques et j’ai besoin de ça. J’aurais du mal à me dire : aujourd’hui c’est vélo ; demain pareil, et après-demain encore vélo. Ce matin, j’étais en ski-roues, cet après-midi je vais aller courir. Demain, je peux rouler. Mentalement, je ne sais pas si j’aurais eu la force de faire le même sport. Et je respecte encore plus le sport pour cette raison. Un sport comme la natation est poussé à l’extrême dans ce sens-là. Effectuer des longueurs toute la journée dans un bassin, je ne pourrais pas.

Jean-Christophe Péraud : Je ne comprends pas les nageurs… Bon, quand j’entends le discours de Martin, ça me donne envie de faire du biathlon. Si c’est pour vivre les mêmes bonheurs, pourquoi pas changer de discipline ! Après j’ai quand même un gros problème : je ne supporte pas le froid.

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Entretien et photos réalisés par Frédéric Machabert publié dans Nordic Magazine n°13.

 

(1) Triple champion du monde ski de fond. Relais 4×10 km (2005-2007) ;
15 km libre (2007)

(2) Une victoire en Coupe du monde ski de fond

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(3) L’ancien vainqueur de la Coupe du Monde VTT, professionnel
sur route dès 2001, a remporté le Tour de France 2011.

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