SAUT À SKI – À 23 ans, il a impressionné le monde du saut à ski ces deux derniers hivers : Peter Prevc est le nouveau phénomène volant. Et ce ne sont ni ses coéquipiers ni ses rivaux qui diront le contraire.
Sur le tremplin de vol de Planica (Slovénie), le Velikanka, la foule est en délire. Dix-huit ans après Primoz Peterka, un Slovène remporte le gros globe de cristal attribué au vainqueur du classement général de la coupe du monde de saut à ski. Cet athlète, c’est Peter Prevc, le Peter Pan des tremplins, 1 mètre 82 pour 62 kilogrammes. À 23 ans, sa technique semble parfaite, il s’envole plus loin que la deuxième étoile, vers le pays des victoires, à l’instar du personnage de Disney.
Il est aujourd’hui l’homme à battre, comme le confirme le Français Vincent Descombes-Sevoie : « Quand on porte le maillot jaune quasiment toute une saison, on devient forcément la cible d’une horde de prétendants. » Celui qui a grandi dans un petit village près de Kranj, en Slovénie, première star du saut à ski du XXIe siècle par hasard, a débuté à l’âge de dix ans, bientôt suivi par ses deux frères, Cene et Domen, puis par sa sœur Nika. Seule la plus jeune des filles, Ema, sept ans, n’a pas encore été touchée par le virus.
Prevc le dominateur
Ce qui étonne d’abord chez Peter Prevc, c’est avec quelle rapidité le jeune homme, regard émeraude et silhouette féline, s’est imposé : « Il est très vite arrivé au sommet », constate le chef de file de l’équipe de France. Après sa première victoire en janvier 2014, à Kulm, le Slovène a en effet engrangé, en deux ans, vingt autres triomphes en coupe du monde, sans compter sa collection de titres en championnats du monde. « C’est cette dernière saison qu’il a vraiment explosé. Il a été plus régulier, plus dominateur, et même, certaines fois, intouchable », déclare le sauteur chamoniard.
« Avec une progression constante depuis le début de sa carrière [deuxième à égalité de points au classement général de la coupe du monde en 2015], il a littéralement assommé ses adversaires avec quinze victoires en coupe du monde et le titre de champion du monde de vol à ski », analyse quant à lui Nicolas Jean-Prost, ancien sauteur et consultant pour la chaîne de télévision Eurosport.
Un des coéquipiers de Peter Prevc, Jernej Damjan, l’affirme pourtant : son compatriote n’est pas un dieu, ni un extraterrestre. « J’ai travaillé avec lui bien avant qu’il n’arrive à ce niveau. C’est juste quelqu’un de normal. Il travaille beaucoup, mais comme tout le monde à ce niveau », assure-t-il. Quelqu’un d’ordinaire donc, mais qui réalise cependant des choses incroyables, comme l’admet le sauteur de Ljubljana : « Ce qu’il fait est étonnant. Je n’ai jamais vu quelqu’un sauter à ce niveau aussi longtemps ! »
Robert Treitinger, autrichien et coach de l’équipe de France, approuve : « Prevc donne l’impression que le saut à ski est facile. » Et ils ne croient pas si bien dire ! À chaque compétition, le scénario se répète : Peter Prevc domine le premier saut, avant de mettre KO ses rivaux en manche finale, et ce avec une aisance déconcertante. Si le sauteur verrouille ainsi la compétition, c’est aussi parce qu’il a difficilement digéré d’avoir perdu le gros globe de cristal en 2015 au nombre de victoires, alors qu’il était à égalité de points avec l’Allemand Severin Freund. Aussi l’athlète a-t-il veillé, dès la première épreuve de l’hiver 2015/2016 à Klingenthal (Allemagne), à occuper les premières places.
Indétrônable, il a ensuite enchaîné les performances et n’a quitté le top 3 qu’à sept reprises au cours des vingt-neuf compétitions inscrites au calendrier de la FIS. Impressionnant. Vincent Descombes-Sevoie, le douanier des Houches, énumère les points forts et points faibles du phénomène slovène. « Il a une régularité, une technique de saut hyperstable et une très grande force mentale. Mais parfois, sa technique est peut-être trop agressive. »
Décryptage d’un phénomène
En tout cas, ses résultats profitent à ses compatriotes, comme ceux de Martin Fourcade ont des répercussions sur le biathlon tricolore. Il ne fait aucun doute pour Robert Kranjec, champion du monde de vol à ski en 2012, qu’il est important, pour toute l’équipe, que Peter Prevc gagne autant. Jernej Damjan approuve : « Dès lors, notre motivation est plus grande, on a plus de visibilité, donc plus de sponsors. Et c’est aussi un bon point de comparaison. En ce moment, si on est plus fort que Peter à l’entraînement, on peut tout gagner ! »
Avec ce style slovène qu’affectionne tant leur coach Goran Janus, en poste depuis cinq ans. « Peter Prevc a une position d’élan ultra-agressive vers l’avant, c’est le sauteur le plus aérodynamique du circuit dans la phase de vol. En l’air, on a l’impression qu’il ne bouge pas, mais à chaque mètre qui défile, sa position évolue. Après 60 mètres, son corps et ses skis basculent dans la pente en piqueur, ce qui lui permet d’accélérer et d’accroître la pression sous ses skis. Il va très vite et se pose plus loin que les autres », décrypte Nicolas Jean-Prost.
Une star en Slovénie
La technique n’explique pas tout. Les athlètes du Triglav l’ont bien compris : dans le saut, le mental est une arme. Robert Treitinger, entraîneur-adjoint de l’équipe de France, est catégorique à ce sujet : « Prevc a une force mentale exceptionnelle, c’est l’une de ses plus grandes qualités. » « Nos coachs ont créé une bonne ambiance », se félicite Robert Kranjec. Or, quand « on vit avec l’équipe plus qu’avec nos familles », comme le rappelle Jernej Damjan, cela a son importance : « C’est ce qui nous rapproche », dit-il.
Forcément, quand un des garçons décroche la timbale, les autres laissent exploser leur joie. Combien de fois Peter Prevc n’a-t-il pas été porté en triomphe dans la raquette ? Dans les camps adverses, on s’amuse de cet enthousiasme. Tous ? « Non, pas les Autrichiens. Ni les Allemands, ni les Norvégiens… », rigole Kranjec. « Il y a vraiment un esprit positif », apprécie Peter Prevc qui n’est pas le dernier à blaguer… Hélas, personne n’en saura davantage. Comme l’affirme en souriant Jernej Damjan, « ce qui se passe dans l’équipe reste dans l’équipe. »
Le champion, jamais avare de compliments, se nourrit également de cette saine émulation. « Jurij Tepes, Robert Kranjec, Jernej Damjan sont très forts et je suis très content que les plus jeunes comme Nejc Dezman et Matjaz Pungertar deviennent aussi bons à leur tour », se félicite-t-il. L’équipe de Slovénie en fait d’ailleurs rêver plus d’un. Deuxième de la coupe des nations la saison dernière, les résultats réguliers des Slovènes ont su les faire briller aux yeux des fans du saut à ski. Ne manque à cette équipe qu’un titre en championnats du monde, qu’elle essaiera d’aller chercher à Lahti (Finlande) en février prochain.
Son leader en sera l’une des têtes d’affiche, lui qui, déjà, doit faire face aux sollicitations médiatiques. « Il est devenu une star en Slovénie, mais il reste très simple et abordable, » constate Nicolas Jean-Prost. « Je pense que je peux gérer la pression », confiait récemment le principal intéressé. Et d’ajouter : « Il faut juste que je la transforme en motivation et que je travaille d’autant plus dur. » Élu trois fois d’affilée « sportif de l’année » dans son pays, de 2013 à 2015, et décoré de l’ordre du Mérite, celui qui passait son temps dans son enfance à grimper au sommet des arbres ou à faire du parachute, n’a pas fini son ascension vers les étoiles, comme dans le monde de Peter Pan.
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Portrait publié dans Nordic Magazine #20
Photos : Nordic Focus et Agence Zoom.