« Il s’est excusé. Que doit-il faire d’autre ? »
« Il est rare qu’il donne des interviews, il n’aime pas ça », affirme d’abord Markus Kramer, l’entraîneur allemand de l’équipe de ski de fond russe, dans les colonnes du quotidien régional Sächsische Zeitung. Il parle évidemment d’Alexander Bolshunov. C’est que le numéro un mondial, qui va recevoir ce week-end son second gros globe de cristal lors de l’étape suisse de coupe du monde, se méfie des journalistes. Mal à l’aise quand il s’agit de parler anglais, elle est d’ailleurs toujours accompagné d’un interprète.
Il traîne aussi comme un boulet l’image de « mauvais garçon ». Son comportement lors du 50 km d’Oslo l’hiver 2018-2018 (il a reçu un avertissement pour « conduite antisportive »), puis face au Finlandais Joni Mäki – il lui a donné un coup de bâton lors du sprint du relais de Lahti avant de le bousculer après la ligne d’arrivée – apporte de l’eau au moulin de ses détracteurs.
On lui reproche aussi de ne pas avoir attendu son coéquipier Gleb Retivykh lors du team sprint des Mondiaux d’Oberstdorf.
Markus Kramer balaie d’une phrase toutes les critiques qui s’en sont suivies : « Le soir, j’étais avec eux deux à la cérémonie de remise des médailles, tout le monde pouvait voir que tout allait bien entre eux », déclare-t-il.
Quant à l’incident survenu en Finlande pour lequel le jeune homme de 24 ans s’est fait taper sur les doigts par la Fédération internationale de ski, il temporise : « Il s’est excusé, que doit-il faire d’autre ? », questionne-t-il.
Mais voilà, encore une fois, le Russe a mauvaise réputation. Et il n’est pas le seul. Tous ses compatriotes sont logés à la même enseigne, ce que regrette Markus Kramer. « Quand trois Norvégiens sont sur le podium, personne ne dit rien. Si ce sont trois Russes , le discours sur le dopage revient immédiatement », fait-il remarquer.
C’est un solitaire, totalement concentré sur lui-même.Markus Kramer, entraîneur de l’équipe russe de ski de fond, à Sächsische Zeitung
Le récent champion du monde du skiathlon a aussi ses détracteurs dans le peloton. Parmi eux, on compte le Norvégien Emil Iversen. Un jour, ce dernier est allé jusqu’à conseiller à son rival de l’Est de payer le conducteur de la motoneige de la télévision parce qu’il avait passé trop de temps à skier juste derrière.
Alexandre Bolshunov qui a signé, en 2019, un nouveau contrat de quatre ans avec la région d’Arkhangelsk, n’évolue pas dans le groupe d’entraînement de Markus Kramer. Celui-ci le côtoie toutefois lors de la coupe du monde. Il le connaît bien, donc. « C’est un solitaire, totalement concentré sur lui-même, il ne regarde pas autour, fait plus que quiconque à chaque séance », décrit-il. Ainsi, le soir, quand ses coéquipiers sont encore à table à discuter, lui est déjà occupé à s’étirer dans un couloir ou il s’est installé sur une machine de la salle de fitness. En privé, il serait aussi assez drôle.
En quelques années, le fils d’un ouvrier forestier russe vivant près de la frontière ukrainienne (c’est son père qui a été son premier entraîneur), fruit de l’académie de ski de Bryansk, une ville de plus de 400 000 habitants située à 165 kilomètres de Podyvot’ye, son village natal, passé par Tyumen, est devenue une star. Celui qui a couru sa première course FIS en novembre 2012 gagne aujourd’hui bien sa vie. Grâce à son palmarès, il a ainsi reçu 176 000 francs suisses [environ 160 000 euros] en prize money pour cette seule saison (contre 54 000 € pour Klæbo]. Aux championnats du monde, a calculé Dagbladet, il est même celui qui a été le plus gratifié (près de 35 000 euros) chez les hommes.
Quant à ses sponsors russes, ils disent oui à toutes ses demandes. Pour que le lieutenant de la garde nationale ne prenne pas de risques face à la pandémie de coronavirus, il s’est ainsi rendu à la coupe du monde de sprint à Dresde en jet privé et c’est un hélicoptère qui l’a emmené à Oberstdorf.
Du haut de son 1,85 m, il ressemble à un guerrier, avec le patriotisme pour étendard. Mais dimanche, Alexander Bolshunov a pleuré. L’or du 50 km des Mondiaux venait de lui échapper. Il s’est appuyé sur un panneau publicitaire au bord de la piste, la tête baissée et enfouie dans ses bras. Le Norvégien Johannes Hoesflot Klæbo, vainqueur bientôt déchu de son trône, est alors venu le réconforter. Il a posé sa main dans le dos du Russe et lui a dit quelques mots. Puis, ce fut sa fiancée Anna Zherebjatjeva qui l’a consolé.
« Oui, j’ai pleuré, parce que ce n’était pas juste », a confié l’athlète à nos confrères de VG.
L’armure était fendue. Champion et humain à la fois. « À 24 ans, Alexander Bolshunov est sans doute devenu le meilleur skieur du monde », écrit le site Faster Skier qui vient de consacrer un long portrait au leader de la coupe du monde.