Mes voisines de tribune ont une vingtaine d’années et de grands yeux lumineux. Leur petit drapeau russe découpe frénétiquement les flocons de neige épais comme des plumes de cygne. Elles crient « Ro-Si-A » à s’en froisser les cordes vocales. J’aurais dû écouter ma maman qui voulait me faire apprendre le russe au lycée car elles n’ont pas choisi anglais première langue. Le seul mot que je comprends, c’est «Fourcade», qu’elles gloussent chaque fois que Martin apparaît sur l’écran géant ou longe la tribune.
Star au pays des Jeux, Martin Fourcade est acclamé comme on vénère une idole, juste un peu moins fort que Shipulin et les Russes lors de la présentation des biathlètes.
Comment imaginer dans nos vallées froides qu’un skieur nordique français soit répertorié parmi les symboles de notre culture, quelque part entre Charles Aznavour, Patricia Kaas et Gérard Depardieu.
Martin ainsi que son frère Simon sont plus que des champions. Avant les Jeux, leurs belles gueules de ténébreux décoraient des mugs et autres gadgets. Avec ses trois médailles olympiques, Martin a encore grandi et il sera à jamais l’homme de Sochi chaque fois qu’il posera ses skis sur les neiges de Sibérie ou du Caucase.
Qui sera la star des Jeux ? C’est la question que l’on se pose lorsque l’on débarque, le premier jour, l’œil encore vif et l’accréditation toute fraîche. C’est presqu’une question de culture et de géo-politique. Les Néerlandais et leurs 18 médailles en patinage de vitesse ont une réponse qui n’est pas celle des Slovènes, en pâmoison devant la boudeuse Tina Maze, première championne olympique d’hiver de leur histoire.
Martin Fourcade sera nécessairement l’étoile du Nord devenue Roi de France. Depuis le premier jour, on lui rabâche l’équation parfaite, les trois médailles d’or qui en ferait l’égal de Jean-Claude Killy… On lui parlait même de la quatrième qui l’aurait posé tout seul au sommet de l’Olympe bleu-blanc-rouge, ses pépites autour du cou.
Il y a toujours un côté subjectif à ces tableaux d’honneur. Comparer Killy, trois médailles d’or en trois courses dans les années soixante en ski alpin, et Fourcade, deux en quatre courses dans les années 2000, est un exercice de style purement mathématique. L’objectif de Martin était tellement plus personnel qu’une place dans les livres d’histoire.
L’essentiel est ailleurs. Dans l’attitude, le panache, le charisme et la recherche de la perfection autant que dans le palmarès.
Dans tous ces domaines, JCK, au détail près jusqu’à l’obsession, et Martin Fourcade, exigeant à chaque instant d’une saison, se ressemblent dans leurs différences.
Ce que le biathlète a réalisé ce midi, malade et le corps affaibli, mais capable d’aller puiser dans des tréfonds que le commun des mortels n’explorent jamais, démontre, une fois encore, que sa place est tout là-haut, tout simplement.
Le reste n’est qu’une opération purement comptable.