SKI DE FOND – L’Isérois Robin Duvillard a dû attendre longtemps pour s’exprimer au mieux. Mais, à 33 ans, le fondeur n’a jamais été aussi fort. Le fruit d’un travail colossal et d’une quête permanente pour trouver sa voie.
« Un profil comme le mien, on n’en verra plus trop », sourit Robin Duvillard. En cette belle journée d’octobre, l’Isérois affiche la sérénité d’un homme bien dans sa tête et dans son corps, heureux sur ce plateau du Vercors où il vit depuis trois décennies. Oubliés les tourments du début de carrière. Mais il a fallu du temps pour que le Villardien arrive à cette phase de maturité, celle d’un champion à même d’afficher les plus hautes ambitions.
« Plus jeune, je n’étais pas celui qui avait le plus de talent, reconnaît-il. J’étais loin de penser à l’équipe de France. Je voulais prendre du plaisir, c’est tout. » Comme lorsqu’il s’éclate au hockey sur glace et travaille déjà le pas de patineur. Puis survient le déclic : un podium aux championnats de France cadets. « Tout s’est alors enclenché, l’envie d’aller toujours un peu plus loin. Et à force de travail et de patience, j’y suis arrivé. »
En 2004, à La Clusaz (Haute-Savoie), Robin Duvillard découvre le circuit coupe du monde et assiste au succès historique du relais tricolore. « C’était fou, se souvient-il. On a fêté cette première victoire française en relais dans le bar de l’oncle de »Toz » [Vincent Vittoz, ndlr.]. Cela a été un élément fondateur des résultats à venir. »
Un an et demi plus tard, il dispute sa première « vraie » course sur le circuit mondial, à Oberstdorf (Allemagne). « Cette sélection, c’était une fierté ! Mais j’étais trop timide dans mes objectifs. À un moment donné, courir en coupe du monde était une fin en soi. J’ai mis du temps à comprendre que, si je regardais les choses différemment, je pouvais réussir. »
Premiers résultats probants
Les premiers résultats probants ne vont alors pas tarder : en 2008, une 21e place au 50 kilomètres d’Oslo (Norvège), ses premiers points en coupe du monde. Puis un top 10 (sixième) au 15 kilomètres libre de Davos (Suisse), en décembre 2009. « Cette performance a lancé tout le reste. J’étais qualifié pour mes premiers Jeux olympiques, je n’en revenais pas. » À Vancouver (Canada), Robin Duvillard se contente cependant du skiathlon.
« J’en ai quand même profité, j’en ai pris plein les mirettes. Cette expérience m’a servi pour Sotchi, quatre ans plus tard, où j’étais concentré sur mes objectifs, car j’avais déjà fait des JO côté spectateur. » Sotchi, où Robin avait déjà accompli sa lente mue, amorcée à 29 ans. « J’ai changé car j’ai complètement mûri, j’ai modifié ma façon de voir l’entraînement. J’étais curieux, je suis allé voir à droite et à gauche, j’ai fait des rencontres », explique-t-il.
Un ami proche le conseille dans sa façon de se préparer. Il entre aussi en contact avec les voisins du ski alpin. Taïna Barioz, qui a été sa compagne, l’a également « aidé à avoir des ambitions plus grandes. » Le jeune homme devient force de proposition pour ses entraîneurs. « J’ai poussé les portes de plein de domaines : la diététique, le matériel, la préparation mentale… J’ai mis du temps à me connaître, mais cela porte ses fruits maintenant. À un moment donné, les choses s’alignent. Ce n’est pas par hasard, il faut le provoquer, cet alignement. J’ai compris que la caisse seule ne suffisait pas. Il y a tellement d’aspects dans la performance : même si tu ne t’entraînes pas, tu peux quand même rentabiliser ta journée. »
Choix payants
Le Villardien a aussi su faire les bons choix. « Pour passer un cap, il faut savoir se recentrer sur certaines choses. » En l’occurrence, moins de courses et tout pour le skating. « J’ai arrêté de perdre de l’énergie mentale sur le classique et j’ai davantage ciblé mes objectifs. » Depuis, les résultats confirment la pertinence de cette orientation.
Avec tout d’abord une première médaille olympique en relais, en 2014, à Sotchi. « Une expérience folle. On a senti qu’il se passait quelque chose. » Joues peintes en bleu blanc rouge, « on n’avait peur de rien. » Troisième relayeur, Robin Duvillard lance Ivan Perrillat-Boiteux à quatre secondes de la deuxième place, et personne derrière. Avec le sentiment d’avoir fait le job, comme Gaillard et Manificat avant lui. Puis un bonheur immense.
« Une émotion monstrueuse, je n’arrivais plus à parler. Ce fut une journée incroyable. » Ponctuée par le plaisir de partager ça avec Vittoz, Rousselet et Jonnier, présents en Russie. « C’était cool qu’on puisse leur rendre hommage. » Une semaine plus tard, le 50 kilomètres libre offrait une autre possibilité de médaille : « J’étais en super forme. » Mais l’Isérois restera au pied du podium, sixième. Un peu frustré « car j’étais encore dans le coup au pied de la dernière bosse. »
Aux Mondiaux 2015, rebelote, le relais décroche une nouvelle médaille de bronze. « On avait envie de montrer que Sotchi n’était pas un accident. Cela a encore été une émotion dingue. » Car elle s’avère forcément plus forte lorsqu’elle est partagée. L’Isérois a donc eu davantage de pudeur pour célébrer sa deuxième place de la poursuite de Val di Fiemme (Italie), lors du Tour de Ski en janvier 2016. Son premier podium en coupe du monde, après « une course parfaite. » Un nouveau palier est franchi.
De quoi se retourner et constater le chemin parcouru depuis le temps où Vincent Vittoz, arrivé à Méaudre (Isère), partageait ses séances d’entraînement avec le jeune Duvillard. « Je ne le remercierai jamais d’avoir accepté que je vienne avec lui, insiste-t-il. Vincent m’a énormément apporté, il m’a forcé à m’entraîner de façon plus professionnelle. »
Jusqu’à devenir une référence en la matière. Roddy Darragon évoque « une volonté hors du commun. » « À force de travail et de détermination, Robin est devenu l’un des meilleurs skateurs du monde. » Le Villardien reconnaît que son pote lui a quelque part montré la voie de la réussite. « Roddy, c’est peut-être le seul qui m’ait fait pleurer devant ma télé », glisse-t-il, référence à l’argent olympique du Haut-Savoyard à Turin (Italie).
Le « fils adoptif »
Marie Dorin et Loïs Habert, qui l’accueillent chez eux depuis neuf ans, ne tarissent pas d’éloges non plus sur le personnage. « C’est un gros bosseur, qui se renseigne énormément sur sa discipline, souligne la quintuple championne du monde de biathlon. Il n’hésite pas à changer ses pratiques pour progresser et ne néglige aucun détail. » L’intéressé confie ainsi ne pas manger de dessert, ni boire une goutte d’alcool pendant six mois. « Il ne prend plus aucun sucre rapide, précise Loïs, son copain de lycée. Il fait gaffe aux graisses. Il a des périodes où il ne prend plus de glucides non plus, c’est un travail de pointe dans la micronutrition. »
Et l’ancien biathlète d’ajouter : « On peut le questionner sur tout ce qui concerne son sport, il pourra répondre. Il apporte beaucoup de choses à Marie sportivement, car il a cherché énormément dans plein de domaines. Le soir, nous discutons beaucoup sur les méthodes d’entraînement. »
De l’entraînement, mais pas seulement : le trio s’est lancé dans un projet commun, une structure d’accueil pour sportifs à Corrençon-en-Vercors (Isère), qui devrait ouvrir à l’été 2018. « Cela ne veut pas dire pour autant que j’arrêterai ma carrière, insiste le Villardien. Vu que je progresse d’année en année et que j’ai toujours envie… » Viendra quand même le jour où il disposera de temps pour ses passions : le golf, la guitare, la cueillette de champignons, le poker, les voyages, la cuisine… « Il est bon cuisinier, confirme Marie Dorin-Habert. Avec l’option range tout et fait la vaisselle ! C’est un super copain qui pense aux autres. »
Dans ses « Rendez-vous du lundi », publiés chaque semaine sur sa page Facebook, il a également su convaincre les internautes par l’espièglerie de son style et le piquant de son humour. Il publie aussi une chronique dans Nordic Magazine qui connaît le même succès.
« Il est hyper cadré, mais il reste toujours en lui une part de folie, c’est un mec qui sait débrancher dans une soirée », ajoute Loïs Habert. Roddy Darragon confirme : « Il a de la joie de vivre, il est un peu chien fou. Il a besoin de dégoupiller de temps en temps. »
Pour autant, « le fils adoptif » du couple Habert sait très bien s’occuper de la petite Adèle, 2 ans, qui l’adore. « Rob, en fait, c’est comme un frère pour nous, avoue Marie. Quand il va partir de la maison, ça va nous faire tout drôle. On n’a pas hâte que »le petit » mette les voiles ! »
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Portrait publié dans Nordic Magazine #21
Photos : Nordic Magazine, Archives et Nordic Focus.