BIATHLON – Consultante pour Nordic magazine, Sandrine Bailly, championne du monde de biathlon, dévoile ses bons points et ses déceptions après les championnats du monde de biathlon.
LES TOPS
Martin Fourcade
Il prend cinq médailles sur six possible ! Soit quasiment toutes les médailles du camp français. Cette moisson est impressionnante mais la récolte a été mouvementée en ouvrant la porte d’emblée sur le sprint, pour ensuite rétablir les choses sur la poursuite, puis rebelote sur l’individuel avec deux erreurs. Il a ouvert plus de portes que sur la coupe du monde. Il a permis à d’autres de briller. Il a sans doute moins dominé avec des erreurs qu’on lui a rarement vues en manquant des dernières balles. Physiquement, il était plus dans la difficulté. Comme il enchaîne tout, il laisse des plumes, il est humain après tout. Il a réussi à limiter la casse quand il était moins bien. En temps normal, s’il avait sorti la même chose qu’en coupe du monde, il n’aurait pas laisser de place. Il était seulement à peine moins bon. Et tant mieux pour les autres qui ont su saisir une opportunité.
Laura Dahlmeier
Elle a été impressionnante. Elle a parfois inquiété sur ses derniers tirs, notamment en relais, mais au final c’est toujours passé ! Elle arrive à être régulière sur la piste et assume ses choix après avoir fait l’impasse sur Oberhof envers et contre tous. Dans sa tête, elle est super solide pour prendre de bonnes décisions la concernant. Physiquement, elle semble voler sur la piste, elle profite de qualités musculaires impressionnnantes. Elle est “tankée”. Rien ne bouge, c’est parfaitement gainé et puissant. C’est pas commun pour une femme.
Anaïs Chevalier
Elle progresse gentiment et prend une belle médaille individuelle. Elle a changé de statut cet hiver. Physiquement auparavant, ça pêchait un peu et elle a réussi à monter son niveau. Ça a marché après une année difficile pour elle et ses problèmes de dos. Souvent, une année dans la difficulté permet de revenir au top. Elle est fraîche mentalement et a les crocs. Son implication et son sérieux ont fini par payer.
Les outsiders et les anciens
Des performances comme celle de Lowell Bailey, champion du monde de l’individuel, montrent aux plus jeunes qu’il faut parfois s’accrocher longtemps pour décrocher un résultat. Benedikt Doll (or en sprint) a aussi pris une belle récompense tout comme Simon Schempp (mass-start) qui a été solide pour décrocher son premier titre mondial. On peut aussi saluer Suzan Dunklee (médaillée d‘argent sur la mass-start) dans le même registre.
Je garde aussi en tête la performance de Gabriela Koukalova, bredouille l’an passé, qui a bien réagi cette année en gagnant trois médailles. Ou encore la réaction d’orgueil de Kaïsa Makaraïnen, en bronze, ou de Darya Domracheva, également médaillée, qu’on n’a pas vu depuis deux ans suite à sa maternité et sa mononucléose. Ce sont deux belles images de ces mondiaux. Surtout que c’est arrivé en même temps que la médaille de son compagnon Ole Einar Bjoerndalen. Preuve qu’un break fait parfois du bien.
Les techniciens
Les farteurs français ont aussi fait un super boulot sur ces mondiaux. Ce n’est pas négligeable pour jouer devant et ça ma paraît important de le souligner.
Le clash Fourcade / Russie
Martin a pris position clairement et fait bouger les choses comme jamais aussi vite en matière de lutte contre le dopage. Je trouve que c’est la classe d’avoir pris position de la sorte, de manifester son mécontentement de se retrouver sur le même podium que Loginov, de montrer aux jeunes les belles valeurs du sport où parfois on trouve malheureusement des tricheurs. Pour ces derniers, c’est parfois un peu trop facile. Les gens qui luttent contre le dopage doivent prendre les choses en main. Le dopage de masse en Russie avant Sochi m’énerve énormément. J’ai fait face à des athlètes chargées quand je courais, qui se sont ensuite retrouvées dans l’encadrement sans que ça gène personne. Deux ans de suspension, ce n’est pas assez pour des tricheurs qui ont pris des médailles et des podiums à des sportifs cleans. Il faut aussi sanctionner les fédérations qui cautionnent ces pratiques déviantes.
LES DECEPTIONS
Un tir compliqué
J’ai trouvé, de l’extérieur, que c’était compliqué pour le tir concernant les Français. Ils n’étaient pas dans une démarche de lâcher les chevaux, d’attaquer, de tenter… Ils avaient du mal à enchaîner des tirs propres. C’est ce qui est difficile sur un grand championnat. Quentin ou Justine ont réussi à le faire sur le relais. En cette année pré-olympique, ça fera beaucoup de négatif dans leur tête avant Peyongchang. J’espère qu’ils sauront le transformer en bonnes ondes pour les Jeux olympiques dont l’impact et l’intérêt est puissance 1000 par rapport aux mondiaux. Qu’ils retrouvent leur instinct au tir, c’est juste une observation. Je le sais pour l’avoir moi-même vécu.
Le groupe dames des Françaises
La médaille en relais est une belle médaille. Quand chacune des filles fera son bilan, elle se dira qu’elle n’a pas été aussi forte que d’habitude. Sauf peut-être pour Célia. C’était moins bon que ce qu’on pouvait attendre. Maintenant, l’attente était grande après ce qu’elles ont affiché tout ce début de saison avec de très bons résultats régulièrement. On s’habitue vite aux succès ! Il faut qu’elles acceptent de figurer parmi les favorites d’une compétition. D’afficher la couleur en fait. Ça aurait pu jouer pour chacune des Françaises sur ces mondiaux, ça ne se joue pas à grand chose.
Les attentes des médias et du grand public vont être de plus en plus lourdes pour les biathlètes. Y compris pour Marie Dorin-Habert qui n’aime pas trop ça mais devrait trouver une solution pour gérer la pression olympique l’an prochain. Elle sait répondre à la pression, elle l’a prouvé l’an passé à Oslo.
Un manque d’homogénéité chez les bleus
Chez les hommes, j’attendais un podium de Quentin Fillon-Maillet qui pouvait le faire sans souci, tout comme Jean-Guillaume Béatrix. Ça a été compliqué pour eux. Il y a eu trop de réflexion et ils n’ont pas été assez dans l’action. Notamment face aux cibles. Quand Quentin a lâché les chevaux sur le relais, il a fait une course de folie. Là encore, je ne juge pas, c’est juste une observation.
La Norvège et la Russie
Johannes Boe et Ole Einar Bjoerndalen sauvent l’honneur de la Norvège mais chez les filles, c’est une catastrophe. Le fonctionnement de l’équipe a éclaté : les filles ne sont pas sereines. L’encadrement se prend la tête sur certaines choses anecdotiques et laisse passer des choses importantes. Pour une grande nation comme la Norvège, c’est un résultat abérrant.
C’est le même cas de figure pour la grande Russie qui ne prend que deux médailles en relais. Un pays où les pratiquants sont les plus nombreux. Ces deux pays gagnaient tout certaines années. Là, on dirait qu’il n’y a pas eu d’anticipation pour préparer la génération à venir.