Après une dernière compétition au niveau mondial à Oslo le 15 mars dernier, Nicolas Mayer a mis fin à sa carrière de sauteur à ski. Arrivé au plus haut niveau en février 2007, le Français n’a eu de cesse de vouloir promouvoir son sport, peu reconnu dans notre pays. A seulement 24 ans, Mayer se tourne vers une nouvelle voie mais il revient pour nous sur ses années de sportif de haut niveau et sur la situation du saut à ski en France.
Pourquoi arrêter le saut à ski ?
Il y a plusieurs raisons. La première, c’est que j’ai l’impression d’avoir fait le tour de ce que je pouvais faire, j’aurais peut-être pu évoluer dans le saut et percer un peu plus mais avec la situation actuelle du saut en France, ça aurait été difficile de percer à haut niveau.
De plus, en 2006 quand je suis rentré dans la fédération, on était 10 athlètes, cinq-six membres dans le staff et actuellement on est trois athlètes et deux-trois personnes du staff. Pour moi, c’est un élément principal pour réussir à performer : il faut une vraie équipe. J’ai vraiment besoin d’évoluer dans une équipe, c’est important pour moi d’avoir un groupe au quotidien pour s’aider mutuellement pour monter vers le haut et avec trois athlètes c’est dur.
J’avais des objectifs certes élevés, mais avec nos moyens présents, je suis sûr de ne pas y arriver donc j’arrête à cause de tout ça mais aussi à cause des aspects financiers, on ne fait pas du foot… La seule chose que je regrette c’est que je n’ai jamais pu faire les Jeux olympiques alors que c’était un rêve de gamin. J’ai manqué ceux de 2010 à Vancouver et je n’étais pas prêt pour ceux de 2014 à cause de soucis de santé et je ne pense pas pouvoir aller jusqu’à ceux de 2018, tenir trois ans et rester performant avec une petite équipe.
Qu’allez-vous faire maintenant ?
J’aimerais rester dans le milieu du sport. J’ai fait un DUT dans le commerce, une licence dans le commerce et j’aimerais continuer peut-être dans ce type d’études pour à terme trouver un métier qui me plaît dans le commerce et dans le sport.
Pourquoi avez-vous commencé le saut à ski ?
A cause des sensations. J’ai commencé à l’âge de 6 ans au Club des sports de Courchevel où ils nous faisaient découvrir tous les sports : ski alpin, ski de fond, saut à ski, snowboard… et j’ai choisi le saut parce que c’était quelque chose qui me plaisait, l’adrénaline, les sensations, le fait de sauter… Je suis parti là-dedans et je n’ai jamais arrêté.
Ne pas aller aux Jeux olympiques, c’était un peu la claque en pleine tête.
Quel est votre meilleur souvenir en saut ?
J’en ai plusieurs. Celui qui reste vraiment fort c’était il y a deux ans, quand on finit troisième au par équipe mixte de Courchevel. On en revient aux valeurs que j’apprécie : on était une vraie équipe à ce moment-là. A nous quatre (Vincent Descombes-Sevoie, Coline Mattel, Léa Lemare et moi) on a réussi une vraie performance. Je trouve que c’est toujours bien de gagner en équipe.
J’ai aussi apprécié le Grand Prix de Courchevel l’année d’avant, en 2012, quand je finis 6e. Ça reste ma meilleure place, j’étais à la maison, j’étais à mon meilleur niveau. Je me souviens très bien de mon entraîneur d’enfance, Anthony Delaup, qui est le speaker des compétitions à Courchevel et quand je suis arrivé en bas, que j’ai regardé le grand écran et vu ma place, j’ai entendu Tony crier si fort… Ca m’avait beaucoup ému. J’étais content de lui montrer ça.
Enfin un autre bon souvenir c’était à Kuusamo en 2007 lors de ma deuxième coupe du monde. Je passe la qualification et j’ai pu y arriver parce que Funaki avait fait moins loin que moi. Je l’avais battu et j’étais qualifié directement dans les 40. Funaki a toujours été mon idole en saut quand j’étais petit. Je venais juste d’avoir 17 ans et j’avais en quelque sorte battu mon idole donc j’en garde un bon souvenir. »
Et quel est le plus difficile ?
Ça restera le moment où on m’a annoncé que je n’irai pas aux Jeux Olympiques de Vancouver. J’ai vraiment mis du temps à m’en remettre mais malgré cela, j’en retire des bonnes choses. C’était un peu une claque en pleine tête mais c’est important, ça m’a appris à ne pas lâcher. J’ai continué et j’ai réussi à faire de belles années après. »
On comprend ce que ça veut dire de se faire mal et de travailler dur pour avoir ce qu’on veut.
Que retirez-vous de votre expérience dans le sport de haut niveau et le monde du saut à ski ? Quel est votre bilan de ces années ?
Il y a plein de bonnes choses. Dans tous les sports de haut niveau on apprend beaucoup de choses, beaucoup de valeurs. Le fait de faire des compétitions, d’être en concurrence ça nous apprend entre autres la persévérance, la combativité, l’humilité… En tant que sportif on comprend ce que ça veut dire de se faire mal et de travailler dur pour avoir ce qu’on veut et on apprend aussi qu’on ne peut justement pas toujours avoir ce qu’on veut. C’est la dure loi du sport et c’est vrai pour beaucoup d’autres choses. Ça nous apprend très vite, très jeune. Je suis rentré en équipe de France à 15 ans et ça m’a appris ce que c’était de travailler dur.
Avec tous vos bons souvenirs à domicile, pourquoi ne pas arrêter après le Grand Prix de Courchevel ?
J’y avais pensé mais pour moi, le travail se fait par saison et arriver à la fin de l’hiver, soit on s’engage pour une nouvelle année soit on arrête. Pour moi ce serait un peu faire les choses à moitié de s’arrêter à Courchevel. J’aurais pu baisser les bras cet été, penser qu’après Courchevel c’est fini. Il y a aussi la question de savoir si je fais une bonne performance, est-ce que j’aurais envie de continuer ou pas et est-ce que faire une mauvaise performance ne m’aurait pas un peu dégoûté du saut ? Du coup je n’y ai pas trop pensé. Quand on commence à se poser la question de savoir si ça vaut le coût de continuer pour juste un événement, je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Ça m’embête d’arrêter là-dessus parce que chaque année il y a un Grand Prix à Courchevel et je n’ai pas pu le faire l’an dernier mais je reste sur une troisième place par équipe en 2013 et une sixième place en 2012. Je suis content de rester sur ça.
Je veux rester lié au saut par amour de la discipline.
Vous en avez parlé parlé un peu avant : la situation du saut en France n’est pas forcément au beau fixe. Quelles en sont les raisons d’après vous ?
Le saut n’est en effet pas du tout développé en France et par rapport aux autres sports comme le biathlon ou le ski de fond qui montent en puissance ou même le combiné nordique où avant Jason, il fallait remonter à Fabrice Guy en 1992 pour des victoires, le saut n’a pas du tout réussi à évoluer. La principale raison, c’est le manque de jeunes et aussi peut-être le fait qu’il y a toujours dans les autres sports nordiques une « tête d’affiche ». Les enfants veulent devenir Martin Fourcade, Maurice Manificat ou Jason Lamy-Chappuis et c’est une force qu’on n’a pas : un leader.
Ensuite, il manque aussi un projet concret pour faire évoluer le saut avec des moyens mis en œuvre par la fédération et tout le monde. En tant qu’athlète, je me suis un peu perdu dernièrement parce qu’il me manquait un but, un projet d’avenir dans le saut.
De plus, tous ceux des autres disciplines ont aussi des contrats et une certaine sérénité financière ce qui nous manque beaucoup puisqu’un seul sauteur est sous contrat (Vincent Descombes-Sevoie avec la douane). Il n’y a pas de moyens mis en œuvre pour que les athlètes aient l’envie de devenir quelqu’un, d’accéder à une certaine sérénité financière. On n’a pas de médiatisation non plus et même si on est bon on ne sera pas vraiment reconnu, on n’aura pas beaucoup d’argent. Même si devenir le meilleur du monde c’est une motivation, sans équipe on ne peut pas y arriver à mon avis. La fédération a toujours dit qu’ils voudraient bien nous soutenir mais on a quand même manqué de moyens financiers. Sauf que c’est un peu le serpent qui se mord la queue : la fédération veut bien nous donner les moyens quand on a des résultats, ce qui est logique mais sans moyens on ne peut pas faire de résultats. C’est une situation un peu sans fin… »
Du coup, quel serait l’avenir du saut en France pour vous ?
Après notre groupe, ceux des années 1990, il n’y a jamais eu vraiment d’autre groupe pour nous pousser, prendre la relève ou nous donner envie d’avancer. Je veux rester lié au saut par amour de la discipline même si je ne veux pas pour l’instant devenir entraîneur ou quelque chose de ce genre mais ça m’embête vraiment qu’il n’y ait pas de jeunes qui prennent la suite. J’espère vraiment qu’il va y avoir un peu plus de jeunes et j’espère que c’est l’axe principal sur lequel va jouer la fédération.
Je pense aussi que le saut à ski est l’un des rares sports des JO d’hiver qui peut aussi être un sport d’été. Et il y a plein de lieux dans les autres pays où les tremplins ne sont pas dans des stations de ski alors que la France est restée cloîtrée dans cette image alors qu’on pourrait faire du saut dans des villes comme Annecy, Chambéry qui sont près des stations de ski mais qui peuvent amener plus de jeunes, plus de médiatisation.