SAUT | COMBINE NORDIQUE – Le directeur du saut et du combiné nordique français Jérôme Laheurte annonce l’arrivée du nouvel entraîneur des sauteurs français ce lundi à Courchevel. Et revient sur les conséquences du Covid-19 sur la préparation de la saison.
« La pause forcée a été bénéfique pour couper réellement »
- Jérôme Laheurte, d’abord comment s’est passée la reprise des entraînements en saut à ski dans les conditions imposées par l’épidémie de Covid-19 ?
Pas si mal en fait. Il faut dire que la période de confinement est tombée au moment où les athlètes nordiques observent une habituelle période de repos. Ça a fait du bien à tout le monde et ça a été finalement bénéfique pour couper réellement. On a fait beaucoup de visioconférences pour préparer la reprise, et de fait, davantage traité en profondeur des sujets avec beaucoup de temps et d’échanges dans le staff.
Au final, la reprise se fait à une date habituelle pour les athlètes donc pas de perte à ce niveau là. On a senti beaucoup d’envie pour les gars privés de saut depuis deux mois suite à la fin de saison tronquée. Il faut juste bien gérer les contraintes en extérieur mais on a la chance de faire un sport outdoor. Ils font moins de saut car on a un athlète par siège à Chaux-Neuve, pas plus de 4 dans le funiculaire de Courchevel… Mais cela ne doit pas générer de la frustration pour les athlètes, nous y veillons.
- Le calendrier international du saut à ski estival a été grandement impacté par la crise, comme celui des Grands prix d’été de combiné nordique pourrait l’être. Comment dès lors vous projetez-vous sur la préparation ?
La préparation sera un peu différente mais pas totalement car on se prépare pour l’hiver comme toujours. Nous n’aurons pas de questions à nous poser sur un état de fraîcheur recherché sur fin août, on sera pleinement dans l’entraînement sans ces programmations de pic de forme. C’est bien vers l’hiver qu’on se tourne. Grand Prix ou pas, ça ne change pas totalement les choses.
- La FIS réfléchit à de nouvelles mesures de sécurité pour les athlètes (contrôles accrus des chaussures et fixations). En savez-vous davantage ?
Il y aura un nouveau gabarit pour les cales (entre mollet et chaussures) qui va sortir. Tout comme une nouvelle réglementation sur la combinaison pour éviter les débordements. Je vois d’un bon œil ce cahier des charges bien que ça ressemble bientôt à une bible en trois tomes (rires) ! J’ai bon espoir que ça lisse les écarts entre les grosses nations et les petits budgets comme nous. Les Norvégiens, Autrichiens et Allemands ont des budgets énormes et on ne peut pas rivaliser sur le côté matériel.
Pour les combinés, ça va être doublement lisser sans forcément en créer d’autres avec la suppression à venir du fluor en fartage. Car on n’a pas de technicien à l’année qui peut se préparer à cette évolution. Pendant ce temps-là, les Suédois sont encore sur la neige à tester de nouveaux produits sans fluor. C’est une des craintes que j’ai.
« Il faudra faire preuve de calme et être bon dans l’adaptation »
- Et que pensez-vous de la position du coach de l’équipe de Norvège qui milite pour supprimer le télémark en réception de saut ?
Stockl est un grand entraîneur que j’admire… mais je ne suis pas trop d’accord. Je n’ai pas le sentiment que le télémark soit source de blessure. S’il est bien posé en avant, les genoux ramassent moins. Se poser en arrière sur les genoux les sollicite beaucoup plus et c’est là que les croisés lâchent, notamment à cause de la tension exercée par les cales dans les chaussures !
J’ai plutôt été surpris de son annonce dans ce cadre de la lutte contre les blessures. Les études montrent davantage de rupture de genoux chez les filles que les gars, je suis mitigé.
- Le calendrier est aussi susceptible d’évoluer cet hiver. Êtes-vous inquiet ?
On espère surtout de la neige l’hiver prochain pour faire un calendrier complet. Il y a aussi les Mondiaux pour l’instant programmés à Oberstdorf. Non je ne suis pas inquiet, on fera avec et on s’adaptera comme depuis quelques mois. Si ça doit bouger, ça bougera… Notre équipe est en construction, donc ça ne change rien en vue des Jeux olympiques dans deux ans. Il faudra faire preuve de calme et être bon dans l’adaptation en cas de mouvements dans le calendrier, que la frustration des athlètes ne prenne pas le dessus !
« Le manque de résultats des sauteurs hommes est devenu un poids »
- Pour en revenir à l’équipe de France, après un hiver mitigé pour les combinés, quels seront les principaux objectifs pour vos troupes emmenées par Antoine Gérard et Laurent Muhlethaler ?
Le début d’hiver a été compliqué mais ensuite Laurent a fait une belle deuxième partie de saison en gagnant 23 places au classement de la coupe du monde de combiné nordique ! Il fait de loin sa meilleure saison, tout en changeant son matériel en cours de saison.
Chez les juniors, ils font deux médailles aux Mondiaux donc très bonne saison également. C’est plutôt Antoine Gérard qui a été en deçà. Il n’a pas attaqué l’hiver aussi affûté que ce qu’il aurait voulu, si on ajoute un matériel limite, tout est vite remis en question. Il a aussi eu du mal à porter la pression… Et à chaque fois qu’il revoyait le jour, il subissait les annulations de compétition et manquait de rythme ensuite.
Il faudra arriver armé dès le début de l’hiver sans s’exciter ou paniquer en cas de souci. Qu’ils aient en tête de faire ce qu’ils savent faire, en se centrant sur soi et pas sur les performances des autres. C’est une leçon à retenir de cet hiver où les Norvégiens, dès novembre, ont fait passer leurs adversaires pour des cadets !
- Idem en saut à ski avec des filles qui ont sauvé les meubles cet hiver… alors que les garçons ont eu beaucoup de peine ?
Il y a plusieurs facteurs. Notre équipe de sauteurs est très jeune et deux athlètes ont été blessés. Jonathan Learoyd a eu beaucoup de mal à gérer la saison dernière. Leur capacité à croire en eux doit être davantage cultivée. Le manque de résultats des sauteurs hommes est devenu un poids, on a du mal à vivre avec ça, on se rajoute de la pression par dessus celle liée à la compétition. C’est ce constat qui aussi amené le souhait d’amener des choses nouvelles et de modifier l’encadrement. Les gars peuvent mettre des points en coupe du monde. Il faut démystifier les choses et travailler comme les autres.
Côté féminin, il y a eu de belles surprises avec Julia Clair, Joséphine Pagnier qui fait sa médaille aux JOJ mais qui est passée à côté de ses Mondiaux. Océane Avocat-Gros a fait des choses intéressantes. Une jolie dynamique dans le groupe et la possibilité de faire des Tops 10.
- D’où votre proposition au coach autrichien Heinz Kuttin de prendre en main l’équipe de France. Mais il a finalement choisi une autre nation en remplaçant la légende Ronny Ackermann en Allemagne…
Oui… son refus tardif a été vraiment dur à encaisser. Finalement, j’ai trouvé un coach étranger qui a beaucoup d’expérience avec qui on s’entend bien et qui a déjà mis des athlètes sur le podium en coupe du monde. Il a aussi l’habitude de gérer de petits budgets comme le nôtre. Il rencontrera les athlètes à Courchevel lundi. On a tout de même reçu dix CV après le changement de cap de Heinz qui m’avait donné son accord de principe le 10 avril ; on attendait juste le retour du contrat signé…
Bref, beaucoup se sont dit que le projet pouvait intéresser un gars comme lui grâce au potentiel de nos jeunes en équipe de France. Je suis rassuré d’autant que Francis Repellin (un ancien cadre technique de Salomon) va travailler avec Damien Maitre sur l’encadrement des dames : il avait envie de ce challenge. Et je me réjouis de son arrivée. Il a à cœur que les athlètes se réalisent et s’épanouissent.
Photos : Nordic Focus, Instagram et France Olympique.