SAUT À SKI – À la veille de disputer ses sixièmes JO, le Suisse Simon Ammann, quadruple médaillé d’or en 2002 et 2010, a toujours le même plaisir de sauter. Et encore faim de succès.
Extraordinaire hasard pour le sport suisse, l’année 1981 a vu naître trois des plus grands champions de son histoire. Le tennisman Roger Federer d’abord, avec ses dix-neuf titres de Grand Chelem. Puis le cycliste Fabian Cancellara, roi du contre-la-montre, triple vainqueur du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix et porteur du maillot jaune du Tour de France pendant près de trente jours. Enfin Simon Ammann, double champion olympique de saut à ski, en 2002, à Salt Lake City (États-Unis), puis, en 2010, à Vancouver (Canada), champion du monde sur le grand tremplin à Sapporo (Japon) en 2007 et à vol à skis à Planica (Slovénie) en 2010.
Simon Ammann, c’est une carrière de vingt ans au plus haut niveau, commencée l’hiver des JO de Nagano en 1997-98. C’est surtout une personnalité hors du commun qui a littéralement éclaté au cours de l’hiver 2001-2002, en remportant les deux concours individuels des JO sur les tremplins de Park City. Le Saint-Gallois, à l’époque totalement extraverti avec son visage à la Harry Potter, est apparu comme le véritable phénomène de cette olympiade. Quelques semaines plus tard, lors des championnats franco-suisses de saut à skis organisés sur le stade des Tuffes, à Prémanon (Jura), c’était l’effervescence. Combien étaient-ils, tant spectateurs que stations de radio et chaînes de télévision – RTL, Europe 1, TF1, France Télévisions notamment – venus voir de près celui qui avait consolé les Suisses attristés par les déboires de leurs skieurs alpins ?
Le héros consolateur
Un champion était né. Sa carrière aurait-elle pris cette envergure sans un petit coup de pouce du destin quatre ans plus tôt, lors du concours sur le tremplin de Saint-Moritz, le 26 décembre 1997 ? « Grâce au très bon résultat obtenu ce jour-là, Simon a été retenu pour la Tournée des Quatre Tremplins et, dans la foulée, il s’est classé quinzième du concours d’Oberstdorf (Allemagne), se souvient Sylvain Freiholz, ancien sauteur et consultant pour cette discipline nordique à la RTS. Swiss-Ski a alors fait le choix, intelligent, de le sélectionner pour les JO de Nagano. On ne peut pas dire si sa carrière aurait été différente sans cette première expérience olympique, mais je pense qu’elle lui a été très profitable. » L’athlète rigole quand on lui rappelle ce souvenir. « Je me souviens qu’après Oberstdorf, Sylvain est venu me dire que j’allais connaître le Japon. Je ne lui ai pas répondu qu’il était fou, mais je n’étais pas loin de le penser. »
Quand Simon Ammann a émergé dans les cadres nationaux, tant ses camarades de l’équipe que les entraîneurs ont repéré en lui un talent. Mais personne, à commencer par le principal intéressé, n’imaginait qu’un tel parcours allait suivre. « Quand tu as seize ans, que tu arrives au milieu de sauteurs expérimentés, tu ne penses pas que tu vas être champion olympique, fait remarquer Simi. Tu cherches juste à faire ta place. »
Pour Sylvain Freiholz, il est vite apparu que Simon Ammann « était en avance sur son temps sur le plan technique. » « À ce moment-là, ajoute-t-il, il était encore introverti, tellement gamin et très joueur… et on ne pouvait évidemment pas dire qu’il allait se hisser à un aussi haut niveau. »
Chef d’entreprise
Simon Ammann ignore certainement tout de Georges Brassens qui chantait que « sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie », mais le principe, il l’a très vite assimilé. Berni Schödler, son entraîneur jusqu’en 2007 et actuel chef du saut de Swiss-Ski, explique : « Ce fut le grand mérite de Simon de prendre conscience que son seul talent ne suffirait pas à le faire arriver parmi les meilleurs. Il a compris très vite que c’était à lui de tracer son propre chemin en travaillant beaucoup. Et c’est ce qu’il a fait. Bien sûr, l’entourage a aussi contribué à le faire grandir. Je pense en particulier à Sylvain Freiholz et Andreas Küttel [sauteur à ski retraité depuis 2011, ndlr.] qui ont été des soutiens essentiels. Pour moi, c’est vraiment une chance d’avoir pu l’entraîner et l’accompagner dans son développement d’athlète et d’homme. »
Le chemin ! Ce mot revient souvent dans la bouche de Simon Ammann. « Vous, les journalistes, avez souvent besoin que je parle de mes objectifs, de ce que j’espère réussir, dit-il. Mais j’ai mon chemin que j’entends suivre et je n’ai pas forcément envie d’exprimer tout ce que je ressens. » Sylvain Freiholz se plaît à relever « qu’on peut toujours essayer de suivre Simon dans son cheminement, on ne le rattrape jamais. » Et de préciser : « On se demande parfois ce qu’il cherche, mais on s’aperçoit que dans ses grandes périodes de succès, il a toujours eu une stratégie d’avance sur les autres. »
Si Simon Ammann est parvenu à destination aux Jeux olympiques – quatre médailles d’or – et aux championnats du monde – une médaille d’or, une d’argent et deux de bronze -, en revanche, la Tournée des Quatre Tremplins s’est toujours refusée à lui. Pire, elle a failli précipiter la fin de sa carrière, le 6 janvier 2015, à Bischofshofen (Autriche) lorsque le Saint-Gallois a été victime d’une très grave chute à la réception du saut de la deuxième manche. Souffrant d’un sévère traumatisme crânien, il n’a pourtant pas hésité, une fois remis, à remonter rapidement sur un tremplin. « J’ai eu la chance de pouvoir très vite vaincre la peur, souligne-t-il. La première fois que j’ai sauté à nouveau, je ne cache pas que j’ai eu des craintes, mais lors de la deuxième fois, j’ai ressenti l’air sous moi. La peur était passée. »
Malgré les séquelles, davantage techniques – le télémark à la réception – que psychologiques, Simon Ammann a fait le choix de continuer. « La seule fois où je me suis vraiment demandé si j’allais arrêter, c’est après les JO de Sotchi, relève-t-il. C’est à ce moment-là que j’ai d’ailleurs choisi d’investir dans ma région du Toggenburg, d’une part dans les remontées mécaniques, d’autre part en achetant une entreprise dans le bâtiment, avec mon frère. Finalement, j’ai continué le saut, mais c’est un vrai plaisir pour moi d’avoir investi du temps et de l’argent dans la région où je suis né. Et autant je n’ai jamais été étonné par ce que j’ai vécu dans le saut, autant je le suis de m’être engagé de la sorte dans ces entreprises. » En fait, le Suisse ne voulait pas, ne pouvait pas s’arrêter sur l’échec russe. Et pas davantage une année plus tard, après la terrible chute en Autriche. Car, pour lui, le saut, c’est une quête et, aujourd’hui encore, il n’est pas arrivé à destination.
En quête du saut parfait
Quand on lui demande quel sentiment domine en regardant dans le rétroviseur, il répond : « C’est difficile à dire ce que je ressens, car je n’ai pas encore fini. » Bien sûr, il n’est plus dans la même dynamique qu’en 2009, à la veille de ce qui fut sa meilleure saison. Il y a une année, à la question de savoir ce qu’il recherchait encore dans son sport, il répondait qu’il voulait « retrouver la sensation que procure le saut parfait. »
Aujourd’hui, Simon Ammann se fait plus mystérieux en évoquant cette recherche. On le sent engagé sur une voie plus intérieure. « Je ne pense pas que Simon croie qu’il peut retrouver son niveau et sa constance de 2010, estime Sylvain Freiholz. Alors je trouve admirable de sa part cette volonté d’aller malgré tout encore chercher ses limites. Par le plaisir qu’il manifeste, il me fait penser à Federer. »
Pour Bernie Schödler, « c’est fantastique de voir comme Simon est encore ouvert au travail et aux conseils qu’on peut lui donner. » Le chef du saut de Swiss-Ski est conscient des limites de son leader. « Sans un bon télémark à l’atterrissage, tu n’as aucune chance, admet-il. Mais le feu est tel chez Simon qu’il peut encore réussir quelque chose. » « Il est toujours aussi motivé pour chercher des détails susceptibles d’améliorer sa technique et je crois en ses chances de pouvoir encore se mêler aux meilleurs, complète Killian Peier, son jeune coéquipier de la Vallée de Joux. En plus, il n’est jamais avare de conseils. On le sent aussi animé par l’envie qu’il y ait une relève après lui. »
À Nordic Magazine, Simon Ammann ne dira pas s’il croit en ses chances de réaliser un nouvel exploit à PyeongChang. Mais il se dégage de lui une grande sérénité. Et de conclure : « Approcher la quarantaine en étant aussi en forme physiquement, c’est magnifique, non ? »
Portrait publié dans Nordic Magazine #24
Photos : Nordic Focus.