SKI DE FOND – Maurice Manificat est entré encore un peu plus dans la légende de son sport. Après avoir signé un podium sur le classement général du Tour de Ski, le patron des Bleus est revenu pour Nordic Magazine sur ce début d’année 2021 fort en émotions sportives. Entretien.
Ski de fond : grande émotion, fierté et solidarité pour « Momo«
Sur le trajet du retour à la maison avec ses coéquipiers de l’équipe de France, c’est comme si le sourire de Maurice Manificat atterrissait jusque dans son salon tant ses paroles sont dotées de ce timbre joyeux, ému et fier. Et même les quelques turbulences téléphoniques causées par les tunnels présents sur la route ne peuvent perturber le grand « Momo » qui revient sur cette 15e édition « historique » du Tour de Ski.
- On imagine ce soir une immense fierté, beaucoup d’émotions et évidemment de la fatigue pour vous Maurice. Quel sentiment domine en ce moment ?
J’ai ressenti de grosses émotion à l’arrivée. C’était un Tour de Ski qui pouvait marquer l’histoire pour les Français. On était à la chasse du podium final. Dans la saison, tous les ans, le Tour de ski est le premier objectif qui vient, on le prépare à fond. Pour ma part, depuis que je le fais, c’est un objectif.
Il y a beaucoup d’émotions qui remontent. C’est un des Graal dans la carrière d’un fondeur. Et puis, en plus, l’équipe le méritait. Donc oui, vraiment de grosses émotions, même comparables à celles des JO. Une fois la ligne franchie, j’ai relâché la pression, il y a eu des larmes. Toute la semaine, j’étais serein, je n’avais pas de stress même si, hier, celui-ci commençait à monter, c’était dur à maîtriser.
- Et cette année, après la terrible ascension de l’Alpe Cermis, vous venez à bout de cet objectif que vous convoitiez tant…
Il m’a toujours manqué quelque chose, notamment sur le 15 km classique de Val di Fiemme. Cette année, il y avait tout pour faire. C’était un sans-faute, il fallait aller au bout. On a tout donné c’est une épreuve qui est dure, il faut se donner à fond mentalement et physiquement. J’ai passé une bonne nuit et j’espérais ne pas me lever sans énergie. Puis, à l’échauffement, je sentais que ça allais bien et je n’attendais qu’une chose : être sur les skis.
« Pour une fois, je pouvais maîtriser le temps »
- Quel effet le premier podium en carrière de Delphine Claudel a-t-il eu sur vous ?
Delphine nous a régalé juste avant, c’est incroyable ! On s’est dit « Là, c’est bon ! », ça met dans l’ambiance. Je suis monté sur les skis, j’étais en feu, j’avais hâte que l’échauffement passe et que tout se passe bien. Rien ne pouvait m’arriver. Au final, il y avait juste meilleur que moi.
- Justement la course, pouvez-vous nous en dire plus sur votre ressenti tout au long de l’épreuve ?
Je ne pensais pas au podium, juste au général. Au début de la bosse, Clément et Jules ont attaqué. Les Russes n’ont rien lâché et, une fois la ligne franchie, on était contents d’avoir tous bataillé, on s’est salués. Mais là, je n’en peux plus, je veux plus voir leurs combinaisons rouges pendant 15 jours (rires). Ils étaient plus forts à chaque fois, mais ça ne se jouait à rien avec eux devant.
Quand Spitsov est parti, il y avait moyen de le suivre mais je me suis dit : « Ne fais pas le con ». Il fallait doser l’effort parce que derrière, si ça coinçait, c’était terminé. Il y avait Yakimushkin qui n’était pas si loin en plus. Il ne fallait donc pas jouer avec ça. J’avais 26 secondes de marge sur Spitsov. Pour une fois, je pouvais maîtriser le temps. Je me suis dit que ce n’était pas grave de laisser filer.
« Au pied de la bosse, c’est chacun pour sa peau »
- On a pu observer le clan français toujours proche les uns des autres durant la course. Aviez-vous prévu une sorte de plan ?
Il y a deux ans, quand je jouais le globe du général, on avait fait beaucoup de plans et j’avais perdu cet objectif à Oslo. Malgré tout, on reste un sport où il n’y pas les phénomènes d’aspiration comme au cyclisme. Sur la course, c’est dur d’appliquer une stratégie. On est dépendants des faits de course. En plus, la partie descendante était abîmée par les scooters.
J’avais juste regardé les dossards à surveiller (4, 6, 8). J’ai dit aux gars de les surveiller de près pendant la course, mais pas de les faire tomber, hein (rires). Dans tous les cas, il fallait que je sois devant. Ensuite, il fallait que je visionne les limites de mes adversaires pour les faire sortir.
Clément [Parisse] et « Julo » [Lapierre] ont attaqué fort et c’était bien, car ils étaient en forme, mais attention, ils pensaient d’abord à eux-mêmes. Et, au final, ça a servi mes plans car les Russes ont fait l’effort pour revenir sur eux. Bien sûr, c’est évident que les copains n’allaient pas courir contre moi. De toute façon, une fois au pied de la bosse, c’est chacun pour sa peau. Ils ne vont pas me tirer avec une corde. Dans les faits, sur une pente à plus de 20%, si on n’a pas les jambes ça n’avance pas.
« On se sent invincibles, c’est dingue. On a kiffé ! »
- Et cette équipe de France est juste incroyable. De l’extérieur on peut observer une forte cohésion. Alors de l’intérieur, on n’imagine même pas.
Tout s’est super bien empilé. On a tous été dans une émulation de dingue. Les distanceurs, les sprinteurs, c’est incroyable cette ambiance, on a vraiment une équipe soudée. On a fait comme on sait faire : on fait le travail sérieusement et on ne se prend pas au sérieux. Beaucoup d’équipe nous envient pour ça.
Et puis, au sein du groupe, on se nourrit des performances des autres. Là, il y avait une belle densité et, pareil, on sent que ça parle de nous. Les Russes nous animaient, on avait envie de se battre contre eux. Quand l’équipe est moins bonne, on peut vite tomber dans la morosité. Là, on retrouve la lumière. C’est l’effet boule de neige qui nous propulse. On se sent invincibles, c’est dingue ! On a kiffé.
- Malgré une édition spéciale et sans spectateurs, vous avez soulevé des foules sur leur canapé. Le ressentiez-vous ?
Le Tour était incroyable, d’abord par les paysages et les conditions de neige. C’est enfin l’hiver. Quand on fait un sport d’hiver, c’est quand même mieux quand c’est l’hiver. L’année dernière, c’était compliqué car il n’y avait pas trop de neige, c’était marron.
Sinon, sur une année où il n’y a pas de spectateurs, on a ressenti que les gens s’intéressaient à nous. Pourtant, c’était dur mentalement, notamment avec les Russes. Mais c’est aussi ça qui fait la beauté du ski de fond. C’est ce qui a rendu ce Tour de Ski génial.
- Cette émotion grandiose que vous avez vécue et que vous avez transmise à tous vos suiveurs est-elle renforcée par la saison presque blanche (sans mauvais jeu de mot) de l’hiver dernier ?
J’ai tourné la page sur la saison passée. Je m’en suis servi. Nous, les sportifs de haut niveau, on a l’habitude de dire qu’on apprend des défaites. J’ai appris. Ça a été un coup derrière les oreilles et ça m’a permis de me dire que je ne suis pas le plus fort. T’as des coéquipiers et des étrangers qui sont meilleurs que toi.
J’aimerais m’appeler Bolshunov ou Klæbo et avoir une marge de dingue, mais non. Il faut que je me batte.
- Quel est le programme pour vous Maurice après ce Tour de Ski exigeant ?
D’abord on rentre, puis du repos, mais ne pas trop décompresser pour ne pas tomber malade. Cette performance peut être un tremplin énorme. Je reste motivé. L’objectif maintenant, c’est Oberstdorf et ça passe par courir sur les autres coupes du monde pour être prêt et arriver confiant sur les mondiaux.
Il faut rester focus et faire comme j’ai fait lors de la préparation, sans pression, sans prises de tête. J’ai du vécu, de l’acquis et ça c’est toujours bon. Il me faut juste maintenir le travail technique et mental.
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Photos : Nordic Focus.