Maurice Manificat, légende du ski de fond tricolore
Le nid familial se loge dans les contreforts du Vercors, à Saint-Nizier-du-Moucherotte. Face au balcon de la maison, un panorama à couper le souffle, lorsque le temps est dégagé : l’Oisans à droite, Belledonne en face, la Chartreuse sur la gauche et, tel l’observatoire privilégié d’un aigle, une vue plongeante sur l’agglomération grenobloise.
Un quart de tour plus à droite surgissent les Trois Pucelles, les fameuses aiguilles rocheuses qui dominent la capitale iséroise. Dans le creux, au cœur d’une vaste et dense forêt, se cache le tremplin de saut des JO de 1968. « J’ai tout, ici », se félicite Maurice Manificat. Les parcours pour partir en footing, à vélo et à ski-roues. « J’ai même ma propre piste tracée dans les hameaux de Saint-Nizier, avec montées et descentes. » Le leader du ski de fond français dispose aussi d’appareils de musculation à domicile : « Quand je peux éviter la voiture, c’est bien, dit-il. On en fait déjà tellement dans l’année. »
En montagne, mais à seulement un quart d’heure de Grenoble (Isère), Maurice, sa compagne Amandine et leur petit bout, Ethan, apprécient leur cocon. « Il me faut être proche de la nature, mais je ne veux pas vivre reclus non plus. » Histoire de pouvoir aller au cinéma ou au restaurant, voire de « manger des huîtres au marché de Noël » place Victor-Hugo.
Une paternité qui a tout changé
Un centre-ville dont il était encore plus proche lorsqu’il fréquentait le campus universitaire. « J’ai vraiment arrêté mes études, avoue Maurice Manificat. En 2011, j’ai obtenu ma licence en biologie moléculaire et cellulaire. En master, cela devenait plus exigeant ! » Incompatible, pour l’instant, avec ses multiples obligations. Celles d’une tête de gondole de l’équipe de France de ski de fond désireux de montrer l’exemple, et d’un tout jeune père de famille.
« Devenir papa a vraiment changé ma vie, admet-il. Avant la naissance, j’avais de l’appréhension ». Puis Ethan est arrivé, le 31 août 2014. « Ce n’est pas toujours facile avec un enfant, cela demande de l’organisation, mais je le vis très bien. Il y a des moments fabuleux, même s’ils sont rares. »
Amandine, sa compagne, a constaté la métamorphose : « Lorsque j’ai connu Maurice, il était individualiste, il vivait dans sa bulle. Avant la naissance, il avait peur, il était angoissé. Depuis qu’Ethan est né, c’est tout l’inverse : il s’est épanoui, il parle beaucoup. Cela l’a responsabilisé. Et il n’a jamais fait d’aussi belles saisons. Je pense qu’il a trouvé le déclic. Pourtant, c’est plus difficile maintenant de s’en aller, mais cela lui donne davantage de motivation encore pour réussir. »
L’intéressé ne le nie pas : « Quand je suis en stage ou en compétition, ce ne doit pas être pour rien. Je dois justifier le sacrifice de laisser ma femme et mon enfant à la maison. » Devenir père a donc exacerbé son souci de la perfection. « À la base, quand je fais quelque chose, je le fais à fond, peut-être trop, d’ailleurs. » Amandine confirme : « C’est un fonceur. Quand la saison de ski est finie, ce sont les travaux de la maison qui l’occupent. Il n’est pas capable de rester inactif. » « J’ai du mal à lâcher. Je suis très minutieux, ajoute Manificat. J’ai besoin d’aller au bout des choses, sinon cela me stresse. »
Pour autant, le Haut-Savoyard n’aime pas la monotonie. Il trouve ainsi son compte dans le tempo qui rythme une année de skieur de fond. « J’adore la variété de nos modes de préparation et des sites où l’on se rend. Je prends du plaisir à m’entraîner, tout comme je suis motivé à l’idée de porter les couleurs de la France et d’une institution comme les Douanes [Maurice Manificat est en contrat avec cette administration, N.D.L.R.]. Mais le jour où je ne prendrai plus de plaisir, il faudra que je me pose la question d’arrêter ou pas. »
Cette interrogation n’est vraiment pas à l’ordre du jour. À trente ans, le sociétaire du ski-club d’Agy Saint-Sigismond est au sommet de son art. En 2014, il est rentré des JO de Sotchi avec une médaille de bronze autour du cou. En 2015, il a ramené deux nouvelles médailles des championnats du monde de Falun (Suède), prémices d’une autre saison très aboutie l’hiver dernier, avec une cinquième place au classement général de la coupe du monde, et une deuxième position pour la distance, derrière l’intouchable norvégien Martin Johnsrud Sundby, avec qui il échange beaucoup et parle d’entraînement, dans une relation de respect mutuel. « Je suis très fier de cette saison, la plus aboutie de ma carrière, lâche-t-il. Même si je savais que j’en étais capable. » De fait, les limites tombent, désormais. « Un Sundby ne me fait plus peur, je peux aller le chercher. » Décomplexé le Frenchy !
Le besoin d’être chouchouté
Son passage chez Salomon, l’a également aidé à progresser. « Numéro un d’une marque, c’est important, concède Maurice Manificat. Un sportif de haut niveau a besoin d’être chouchouté. » Avec le bonheur de pouvoir « se reposer sur d’autres personnes. »
« On essaie tous de le porter pour qu’il se dépasse, lâche sa compagne. Le but, c’est qu’il ne reste pas sur ses acquis. Il peut être fier d’avoir su progresser dans les secteurs où il était moins costaud. » Notamment en style classique, « l’essence même du ski de fond », confie l’athlète, particulièrement heureux de son succès dans cette technique, en mars 2016, à Canmore, au Canada. « En classique, il a pris confiance et a accumulé de l’expérience, au fur et à mesure, note Jean-Marc Gaillard, son coéquipier. Et il a gagné en régularité, il sait gérer sa récupération dans une saison. »
Ceci lui ouvre des perspectives pour les Mondiaux de 2017 à Lahti (Finlande) et les Jeux olympiques de 2018 en Corée du Sud, sans oublier l’objectif de remporter, un jour, le classement distance de la coupe du monde. Sûr de son potentiel, en mode force tranquille. « J’ai tendance à positiver, assure-t-il. Pourtant, à la base, je suis quelqu’un d’anxieux. Je me sens capable de réussir mes objectifs et j’essaie de ne pas douter. » Avec, de surcroît, une capacité à relativiser les choses. « Ce n’est que du sport ! »
Une philosophie qu’il doit en partie à Jean-Marc Gaillard. S’il a été inspiré par la technique de en classique, « un gars que j’aime bien », et « le style » de Raphaël Poirée en skating, « la détermination, l’énergie et la passion » de Vincent Vittoz, Maurice Manificat concède qu’« avec Jean-Marc, il s’est « détendu » ; il a « su apprécier le plaisir de l’instant, dédramatiser les choses… »
Le doyen du groupe France minimise son influence : « Maurice, je ne l’ai jamais vu bien stressé. Il est sûr de sa force, possède un mental très solide. Après un échec, dès le lendemain, il sait se remobiliser. Et il a encore progressé en ce sens. » Puis d’ajouter : « C’est une grosse tête, attachant et foncièrement gentil. Même si, parfois, comme il vit dans son monde, il peut être un brin énervant. »
Rigoureux… et bosseur
« Je suis détendu quand je suis bien préparé, assure celui qui porte aussi les couleurs du Haute-Savoie Nordic Team. Ce que j’ai réussi jusqu’à présent, c’est l’aboutissement de tout ce travail. Le futur, je le prends comme un bonus. »
Cette philosophie suscite l’admiration de son père, Bernard. « Il pratique son sport avec beaucoup d’intelligence. Il est rigoureux et bosseur, mais a toujours le sourire. C’est un gamin exceptionnel. On n’a jamais eu besoin de lui dire de travailler, ça roulait tout seul. Il a le goût de l’effort. » Maurice Manificat renchérit : « Quand je mets un dossard, je ne peux pas me retenir. » Même quand il porte les couleurs du club d’athlétisme de Tullins, lors de courses en montagne : « J’aime la compétition. »
Ce portrait est paru dans le numéro 19 de Nordic Magazine publié en juin 2016
En 2018, à Pyeongchang (Corée du Sud) lors des Jeux olympiques, le Haut-Savoyard va ajouter deux nouvelles breloques à sa collection. A nouveau bronzé sur le relais quatre ans après Sochi (Russie), mais également sur le team sprint en compagnie de Richard Jouve, Maurice Manificat continue sa moisson.
Une médaille en relais qui est devenue, au fil des évènements internationaux, une véritable tradition hexagonale. L’équipe de France, où figure à chaque fois Maurice Manificat, décrochera également la troisième place à Seefeld (Autriche) en 2019 ainsi qu’à Oberstdorf (Allemagne) en 2021.
En 2021, à l’occasion du traditionnel Tour de Ski, le fondeur tricolore décroche deux podiums sur l’épreuve derrière les ogres russes. A la bagarre tout au long de la compétition, il s’offre son premier podium au classement général de la tournée en terminant deuxième derrière l’impressionnant Alexander Bolshunov. Jusque-là seul Français à avoir réalisé cet exploit, il a récemment été rejoint au palmarès par son compatriote Hugo Lapalus, troisième du général en janvier dernier.
En coupe du monde, Maurice Manificat ne retrouvera plus le podium après cet exploit et n’y retournera plus de façon pérenne, terminant sa carrière en disputant des longues distances et devant repasser par les cases FESA Cup et coupe de France pour regagner sa place au plus haut niveau international avant de mettre un joli point final à cette belle histoire ce dimanche 10 mars sur le mythique 50 kilomètres d’Oslo-Holmenkollen (Norvège).
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